Les Maîtres italiens de la gamme des sentiments...

Les Maîtres italiens de la gamme des sentiments... ©Festival de Froville - Les Accents - Blandine Staskiewicz - Delphine Galou
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Pour le dixième concert de la saison, le Festival de Froville (54) accueille dans le sublime chœur de son église romane, un jeune ensemble Les Accents de par sa date de création.Cet ensemble créé en juillet 2014 lors d’un concert avec la mezzo-soprano Gaëlle Arquez dans le cadre du Festival International d’Opéra Baroque de Beaune est spécialisé dans l’interprétation des répertoires instrumentaux ou vocaux (oratorio, motets, …) de la musique baroque allemande et italienne.Le programme de ce début de soirée présente des œuvres de deux grands maîtres du baroque italien, Antonio Vivaldi (1678-1741) et Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736).
Malgré un effectif qui peut paraître modeste – seulement sept instrumentistes et deux chanteurs – et un éventuel goût de déjà vu ou plutôt entendu dans le choix de la programmation, l’ensemble Les Accents et leur maestro Thibault Noally vont démontrer qu’il n’est pas impossible de « faire du neuf avec du vieux ».

L’entrée des cordes sur le motet In furore justissimae irae - Dans la fureur de ta très juste colère - de Vivaldi donne le ton de la soirée. La fureur est ressentie avec force, les coups d’archets sont toniques, puissants pour porter à bras tendus la colère sublimement interprétée par la mezzo-soprano Blandine Staskiewicz allant jusqu’à l’humilité profonde lors de l’aveu de sa faute.
Le récitatif « Miserationum Pater piissime » - « Père très miséricordieux et très bienveillant » – livre avec foi le talent expressif de la mezzo. Le son est soutenu.
Les premières mesures des cordes, notamment des violons Thibault Noally, Claire Sottovia, Koji Yoda et Lika Laloum annoncent un Tunc meus fletus émouvant – Alors mes larmes -, douceur exquise de la chaleur des « perles de rosée » coulant sur le visage. Même si son timbre peut apparaître dur, à l’aigu parfois agressif, la mezzo posera avec délicatesse sa voix sur les cordes des instruments. «L’alleluia» porte avec grâce son nom, l’allégresse y règne. Soin et finesse dirigent ce premier motet du Prêtre roux.

Seule pièce purement instrumentale servant d’interlude entre la prestation de la mezzo-soprano et celle de la contralto, le Concerto pour violon, cordes et continuo en mi mineur, RV 275 de Vivaldi dresse incontestablement la grande qualité musicale de cet ensemble. Chacun des interprètes ne vise que le but ultime et si convoité du musicien, celui de faire vivre la musique. Ecoutez ce son pur qui s’élève dans la nef de l’église, s’élève avec humilité vers les Cieux !
Le mouvement Vivace est animé avec ferveur. Le continuo tient son rôle sans surcharge, sans exagération. Les instruments monodiques graves – violoncelle et contrebasse sous l’archet respectif d’ Elisa Joglar et de Clotilde Guyon jouent avec finesse la ligne de basse continue écrite et complétée harmoniquement par Mathieu Dupouy au clavecin sur lequel trône une inscription au revers du couvercle « Soli Deo Gloria ». Est-ce une référence à Johann Sebastian Bach, qui utilisait les initiales SDG pour signer ses œuvres, ou bien encore à la devise du monde protestant « A Dieu seul la Gloire » ? Le mystère demeure…La belle exécution dépend beaucoup plus de la souplesse et de la grande liberté des doigts du claveciniste que de la force en elle-même. Son style exhale un sens inné de la mélodie.
Le second mouvement, l’Adagio, se montre d’une sensibilité à fleur de peau. Le premier violon égrène les notes dans de suaves inflexions appuyées par l’accompagnement des autres violons. L’allegro emporte le public dans une « valse » folle de notes.
L’allégresse de Vivaldi est magnifiquement restituée par l’ensemble. Les caractères Affettuoso, agitato, cantabile, con anima, …, trouvent leur marque sous les doigts virtuoses des Accents.

Un autre moment de grâce se produit avec l’entrée en scène de Delphine Galou, contralto française, vêtue d’une robe noire de satin broché. Elle ne tardera pas à charmer l’auditoire par sa prestance, son noble maintien. A cela s’ajoute une voix profonde, veloutée révélée par le motet Vos invito barbarae faces - Je vous appelle Torches barbares pour contralto, cordes et continuo RV 811 de Vivaldi. Même avec une moindre projection, elle remplit pleinement ce lieu intimiste en envahissant toute l’église. Sa diction est excellente, démontrant une technique vocale maîtrisée à perfection. « O fere crudeles » - « Monstres cruels » sont paradoxalement ornés avec délicatesse et beauté. Le passage « Ergo impii tiranni nihil pertimesco » - « Tyrans impies, je ne crains rien » dévoile un timbre généreux et ample. L’émotion nous transperce grâce à la rondeur, la chaleur vocale du « Sunt delitiae » - « Ce sont des délices ». Ainsi se termine la première partie consacrée à Antonio Vivaldi.

Après une pause fort méritée, Les Accents se lance dans l’interprétation d’un des plus majestueux Stabat Mater de l’ère baroque, celui de Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736). Composé en 1736, deux mois avant sa mort, Pergolèse écrit son œuvre selon le modèle de la cantate italienne du XVIIIème siècle avec arias et duos. Basé sur un texte liturgique du XIIIème siècle, Pergolèse s’empare de la gamme des sentiments, celui des souffrances de la Vierge Marie.Qui mieux qu’une femme qu’une autre femme pour exprimer toute la richesse et la palette infinie des sentiments? La mezzo-soprano et la contralto se lancent à corps perdu avec une affliction non dissimulée dans cet enchaînement de douleurs, de cris d’une mère face au cruel destin réservé à son fils! Les deux voix se marient à la perfection dans de chaudes couleurs même si l’on peut craindre des pincements sur certains aigus, comme pour la note d’attaque du «Quando corpus morietur». Notons qu’initialement Pergolèse a composé son Stabat Mater pour soprano et alto d’où cette impression d’aigus plafonnés.Le plus difficile exercice pour un chanteur est celui d’écouter l’autre et le suivre, suivre son impulsion. Les deux interprètes ont su se guider mutuellement sur les chemins de la souffrance. Avec une réelle abnégation, elles ont offert au public cette magnifique incarnation de la souffrance, sentiment renfermé au plus profond de l’âme…

L’auditoire a su saluer cette sublime prestation par des applaudissements nourris, expression de leur gratitude. Adressons un grand merci à cet ensemble.



Publié le 04 juil. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND