Baroquiade - Coulicam

Baroquiade - Coulicam © Eric Lambert : Vue aérienne du village de Montsoreau
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Un voyage musical à travers l’Europe baroque

Le quatrième concert de l’édition 2024 des Musicales de Montsoreau était donné ce vendredi 9 août dans la ravissante petite église romane Saint-Pierre de Rest du village de Montsoreau qui s’étend au pied d’un château rendu célèbre par un roman d’Alexandre Dumas. Dédiée à l’apôtre Pierre, pêcheur de Galilée, son nom n’est pas sans rappeler que l’économie du village au Moyen-Âge était essentiellement tournée vers la pêche sur la Loire. Elle fut construite durant les XIIIe et XIVe siècles dans l'ancien lit du fleuve aujourd'hui comblé, et fut ensuite agrandie au cours du XVIIIe siècle. Comme chaque année, un concert dédié à la musique baroque figurait à l’affiche de la saison, il était cette intitulé année… Baroquiade ! C’est au claveciniste Mario Raskin (voir mon entretien) que revenait la tâche de construire un programme pour l’occasion, essentiellement tourné cette fois vers les voix féminines avec deux artistes de talent. Barbara Kusa, soprano d’origine argentine, passionnée par le répertoire baroque, a collaboré avec de nombreux ensembles de renom tel Les Chantres et les Pages du Centre de Musique Baroque de Versailles, l’Ensemble Elyma de Gabriel Garrido ou La Chimera d’Eduardo Egüez… et Elise Guéroult, une jeune mezzo soprano qui n’est pas une inconnue pour le public local car elle avait déjà offert une prestation remarquée au château de Montsoreau en 2022. Après avoir étudié toute jeune le clavecin auprès de Mario Raskin, elle se tourne ensuite vers le chant et débute depuis peu une carrière d’artiste lyrique principalement sur des scènes suisses après de solides études à la Haute École de Musique de Lausanne. Bien qu’abordant tous les répertoires, y compris le jazz, elle est tout particulièrement intéressée par la musique baroque et a participé à des masterclass avec Véronique Gens, Patricia Petitbon et Emmanuelle de Negri avec les Arts Florissants. Le continuo se composait de trois musiciens, Mario Raskin au clavecin bien sûr, Nolwenn Tardy au violon et Lucie Arnold au violoncelle.

Le programme s’articulait en trois parties : de la musique française pour commencer, italienne ensuite, et allemande pour conclure. C’est à Elise Guéroult que revenait l’honneur d’entamer le programme par un air extrait de Circé, un opéra composé par Henri Desmarest. Contemporain d’André Campra et de Marin Marais, élève de Jean-Baptiste Lully, ce compositeur surdoué dont une bonne partie de l’œuvre est hélas perdue, dût s’exiler durant presque toute son existence pour une histoire d’amour avec une jeune femme issue de la noblesse, après avoir été condamné à mort par contumace. Il s’agit d’une tragédie musicale composée sur un livret de Louise-Geneviève Gillot de Saintonge qui fut créée à l'Académie Royale de Musique en 1694, donc avant son exil (voir le compte-rendu de l’enregistrement). Désirs, transports, cruelle impatience dévoile une qualité d’écriture digne d’un compositeur de premier plan, merveilleusement mis en valeur par le timbre de la voix d’Elise Gueroult. Venait ensuite une extrait de La mort de Didon, une cantate profane signée Michel Pignolet de Monteclair, un compositeur de l’ère baroque hélas trop méconnu du grand public de nos jours. Grand ami de François Couperin, il fut membre de l’Académie Royale de Musique et compte parmi les compositeurs qui ont œuvré pour une musique nouvelle réunissant les goûts français et italiens. On ne peut que saluer le choix de Barbara Kusa de proposer une œuvre inédite, d’une belle intensité dramatique (qui n’atteint cependant pas les sommets du lamento de Didon d’Henry Purcell). Quoiqu’il en soit, grâce à une interprétation très expressive, offrant de belles modulations, Barbara Kusa, a su mettre en avant les qualités de cette œuvre indéniablement intéressante.


Ensemble Coulicam © Eric Lambert

Quel prix de mon amour est extrait de Médée, l’unique opéra de Marc Antoine Charpentier. Connu principalement pour sa musique religieuse qui compte des pages parmi les plus belles de son siècle, ce compositeur a été au service du roi Louis XIV. Cet air célèbre a été interprété par les plus grandes artistes lyriques du monde baroque, Patricia Petitbon, Véronique Gens, Anne Sofie von Otter et tout dernièrement Lea Desandre à l’Opéra de Paris (voir le compte-rendu). Mais s’il est difficile de rivaliser lorsque la barre est placée aussi haut, force fut de constater qu’à travers une interprétation très personnelle et d’une grande musicalité, Elise Guéroult n’a pas démérité... loin de là.

Trois pièces originales de Jacques Duphly tenaient lieu de conclusion à la partie française du programme. Originales car il ne s’agit pas des pièces les plus jouées de ce compositeur rouennais souvent considéré à tort comme un compositeur secondaire. Né l’année du décès de Louis XIV et décédé le lendemain de la prise de la Bastille en 1789, sa disparition marque la fin d’une époque à la fois politique et musicale : la fin de la monarchie absolue et la disparition du clavecin, définitivement supplanté par le pianoforte. Duphly est donc l’un des tous derniers musiciens qui composera pour le clavecin ; cependant, il laisse à la postérité un œuvre d’excellente facture. La de Casaubon, La de Tailly et La de Valmalette forment à elles trois la première suite avec accompagnement de violon en la mineur. L’originalité de cette suite réside dans son écriture, le violon n’y occupe qu’un rôle de second plan et se contente d’accompagner le clavecin. Mario Raskin a dévoilé ce soir des pièces pleines de charme et de tendresse, et il est intéressant de noter que mesdames de Tailly et de Valmalette (Louise-Charlotte-Françoise de Valmalette, comtesse de Morsan), dédicataires de ces deux pièces, étaient deux artistes lyriques.

Cap vers l’Italie avec Claudio Monteverdi, considéré comme le premier compositeur de l’ère baroque. Le duo O come sei gentile écrit pour deux voix de soprano sur un poème de Bartolomeo de Mutiis est extrait du Settimo libro de madrigali. Ce texte charmant évoque un oiseau qui se morfond en cage, et on reconnaît d’emblée le style unique de la musique de ce compositeur. Ce madrigal fut restitué avec sensibilité par Barbara Kusa et Elise Guéroult qui ont su trouver le ton juste pour cette pièce qui marque les tous débuts de l’ère baroque, on notera également un bel équilibre entre les voix. En préambule, Barbara Kusa a récité et traduit le texte d’origine, ce qui a permis au public de mieux appréhender les subtilités et le raffinement extrême de cette musique créée spécifiquement pour ce poème :

O come sei gentile,
car' angellin,
o quanto è il mio stat' amoros' al tuo simile,
tu prigionio canti
io canti per colei che t'ha legato
ma in quest'è differente
la mia forte dolente
che giova pur à te l'esser canoro,
vivi cantando et io, cantando, moro !

Difficile de ne pas évoquer l’Italie sans faire référence à Antonio Vivaldi, le plus célèbre des compositeurs baroques italiens, enfin vénitiens plutôt ! Mario Raskin accompagné de Lucie Arnold proposaient donc une interprétation de la Sonate RV43 en la mineur en quatre mouvements. Les deux musiciens se sont attachés à mettre en avant les qualités d’écriture d’un compositeur qui fut l’un des tous premiers à donner au violoncelle une place de soliste en dédiant à l’instrument bon nombre de sonates et de concertos. La violoncelliste Lucie Arnold a offert au public une belle interprétation de cette sonate. On retiendra d’entrée dans le premier mouvement largo le son ample du violoncelle, suivi d’un second mouvement allegro impeccable dans les aigus d’une justesse irréprochable, un troisième mouvement largo d’une grande expressivité et enfin un mouvement final allegro brillant et techniquement bien maîtrisé.


Mario Raskin © Eric Lambert

Vient ensuite la musique allemande, avec Jean-Sébastien Bach bien sûr, mais aussi Georg Friedrich Haendel, né en Allemagne, et qui a fait l’essentiel de sa carrière musicale en Angleterre en composant dans un style très… italien ! De Bach, ce sera la fameuse Chaconne qui tient lieu de conclusion à la Partita pour violon seul n°2 en ré mineur qui sera inscrite au programme. Inutile de rappeler une évidence : cette splendide Chaconne d’une grande puissance évocatrice compte assurément parmi les chef d’œuvres absolus de l’histoire de la musique. Elle aurait, selon certaines hypothèses, été écrite par Jean-Sébastien Bach en mémoire de sa première épouse, Maria Barbara, décédée prématurément. Longue d’une quinzaine de minutes, écrite en mode mineur, elle comprend soixante trois variations d'une richesse saisissantes avec un judicieux changement de mode en son milieu. Bach a su construire une savante progression en jouant avec les atmosphères et les couleurs, produisant une pièce d’exception, d’une grande complexité, dont la beauté sombre demeure quasi hypnotique. Et avec une remarquable transcription et interprétation au clavecin, Mario Raskin a offert ce soir au public un moment d’une rare intensité, le temps se trouvant comme suspendu. Pas de doute, plus on écoute ce chef-d’œuvre dont il est impossible de se lasser, plus on y découvre des subtilités qui témoignent du génie absolu de Bach. Un grand moment de musique assurément !

La soirée s’achevait en beauté sur deux airs extraits d’opéras de Haendel. Tornami a vaheggiar extrait d’Alcina, un air qui requiert une technique sans faille, chanté par une Barbara Kusa inspirée maîtrisant a merveille la complexité intrinsèque à la musique vocale de Haendel, suivi d’un beau duo Tutta contenta extrait de l’acte III de Tolomeo, Re d'Egitto. dans lequel se mêlent avec bonheur expressivité et virtuosité, accompagné de façon magistrale par les trois musiciens du continuo.



Publié le 19 août 2024 par Eric Lambert