Le couronnement de Poppée - Monteverdi

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Le triomphe de l'immoralité

Le Couronnement de Poppée, dernier opéra attribué à Monteverdi, met en scène des personnages historiques réels, ce qui constituait une innovation considérable. De l’œuvre originelle ne subsistent que deux copies, issues de séries de représentations différentes (Venise et Naples) et qui présentent des différences importantes. De plus, conformément à l’usage en vigueur, ces copies ne comportent qu’une ligne de chant et une ligne de basse, autorisant toutes les options d’instrumentation, plus ou moins raisonnables. Depuis les années 1970, l’option la plus souvent retenue est toutefois celle d’un orchestre réduit au continuo, ce qui est le cas pour cette série de représentations, la formation se limitant à dix musiciens, dont deux violons, et ne comportant que des cordes.

Autre particularité, l’œuvre est centrée sur l’humain et les passions humaines. L’ambition, le pouvoir et le désir y ont la part belle et le livret conte le triomphe sanglant et violent de ces passions sur les vertus classiques et sur l’amour légitime et raisonnable.

Cette production est réalisée par l’Académie de l’Opéra national de Paris et articulée autour d’artistes qui y sont en résidence. Elle est confiée à Vincent Dumestre, au pupitre, et à Alain Françon, à la mise en scène, tous deux partageant une même lecture de l’œuvre et une évidente complicité. Opéra vénitien populaire, Il Nerone est créé dans un petit théâtre, peu pourvu en machinerie et aux moyens limités. C’est cet environnement que recréent Dumestre et Françon : orchestre aux effectifs limités, suppression du Pur ti miro final, décors épurés et minimalistes…

Le résultat est celui d’une relecture moderne, dépouillée et passionnante de l’œuvre, dans une mise en scène respectueuse d’un livret qui se suffit à lui-même dans l’audace, les outrances et l’amoralité. Dressant un tableau sobre mais cohérent, coloré et en mouvement, Alain Françon apporte un soin tout particulier à la direction d’acteurs qui est également une vraie réussite.

Même réussite dans la fosse où la direction précise de Vincent Dumestre est très attentive aux chanteurs qui sont réellement accompagnées et soutenus par un Poème Harmonique aux accents superbes et aux couleurs soignées.

La distribution est composée de très bons chanteurs, très à l’aise en scène et parfaitement impliqués par leurs personnages. Pour tous, le style est irréprochable et la technique aguerrie.

La Poppée de Marine Chagnon déborde d’ambition et de cynisme, son incarnation est charnelle et triomphante. La voix est ronde, le timbre superbe. Elle est vraiment le centre de l’œuvre et de l’attention dans chacune de ses interventions.

Je suis un peu plus réservé sur le Néron de Fernando Escalona, qui n’est pas sans rappeler Fagioli, pour le meilleur et le moins bon. Son Néron est fantasque et extravagant, assez loin de l’image traditionnelle du dangereux psychopathe. Au fur et à mesure de la soirée, la fatigue induite par ce rôle lourd se fait sentir et la diction se fait parfois moins précise, la voix perd de son homogénéité et parfois même un peu de sa justesse.

Lucie Peyramaure est superbe en Octavie, à laquelle elle confère une noblesse souveraine et une jalousie qui confine à la trivialité. Elle est bouleversante dans ses adieux à Rome. L’Ottone de Leopold Gilloots Laforge est également une très belle réussite. La voix est chaude, très homogène, conduite avec un sens affirmé des nuances. Le Sénèque d’Alejandro Balinas Vietes, très sonore, est doté de graves profonds et très beaux qui soutiennent une incarnation inspirée du philosophe stoïcien.

Martina Roussomano a un joli timbre et une voix légèrement acidulée. Elle est plus convaincante en Drusilla qu’en Fortuna dont elle n’a pas vraiment les moyens.

Kseniia Proshina, qu’on avait apprécié en Barberina à Garnier, confirme en tous points notre impression. Elle est une parfaite maîtresse de cérémonie en Amore et dispose de tous les atouts pour incarner tout aussi subtilement un page moqueur et déluré.

Lise Nugier en nourrice et dans le rôle de la Vertu est tout à fait convaincante. La voix est belle, le timbre racé et l’actrice sait jouer des facettes de ses personnages. L’Arnalta de Leo Fernique est bien chantée, comique et ridicule à souhait, exploitant le ressort comique sans vulgarité.

Léo Vermot Desroches est tout à fait bien distribué en Lucain : sa voix claire et sa diction ciselée appuyées par une belle technique donnent beaucoup de relief au confident de Néron dans le duo trop court. Il était également remarquable dans son duo de soldats avec Thomas Ricart, l’autre ténor de la distribution, puis dans le trio avec le baryton Yiorgo Ioannou. Ces trois voix bien projetées se fondaient très harmonieusement et, au-delà d’une grande complicité, montraient un sens partagé des nuances et des couleurs.

Ce fut ainsi une soirée très agréable, dans laquelle l’énergie de cette jeune distribution contribue grandement au succès d’une lecture dépouillée et séduisante de ce chef d’œuvre. Outre les dates de représentation à l’Athénée, il est possible de voir ce beau spectacle à Amiens (le 1er avril) et à Dijon (du 20 au 26 mars).



Publié le 05 mars 2022 par Jean-Luc Izard