Le Couronnement de Poppée - Monteverdi

Le Couronnement de Poppée - Monteverdi © Matthias Jung
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La nature humaine selon Monteverdi et Busenello

L'Incoronazione di Poppea (Le couronnement de Poppée) de Claudio Monteverdi, l'une des œuvres les plus anciennes du répertoire lyrique, est un joyau de la musique baroque, écrit près de cent ans avant les chefs-d'œuvre de Haendel. Présentée à l'Opéra de Cologne et mise en scène par Ted Huffman, cette production révèle la complexité et la richesse de l'intrigue qui raconte l'histoire de l'empereur Néron, qui se sépare de son épouse Octavie pour épouser la belle et ambitieuse Poppée.

Composée en 1642, à la fin de la vie de Monteverdi, L'Incoronazione di Poppea est remarquable non seulement pour sa musique, mais aussi pour son histoire audacieuse. Contrairement à de nombreuses œuvres de son temps, cette pièce n'a pas été écrite pour une maison d'opéra spécifique, qui n'existait pas encore, mais pour le carnaval des théâtres publics de Venise, qui venaient d'ouvrir leurs portes aux productions commerciales, rendant l'opéra accessible à un public plus large. L'intrigue est centrée sur les manœuvres politiques et personnelles de Néron pour installer Poppée sur le trône impérial, évinçant sa femme Octavie et conduisant au suicide forcé de son conseiller, le philosophe Sénèque, qui osait critiquer ses actions. Ce drame historique est enrichi par des personnages allégoriques tels que l'Amour, la Vertu et la Fortune, qui disputent leur influence sur les actions humaines, illustrant finalement que seul l'amour, ou plutôt l'érotisme et le désir, détient le véritable pouvoir.

Cette production a été initialement créée sur la petite scène du Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence. Elle a été soigneusement adaptée à la scène de l'Oper Köln, qui elle-même s'adapte à chaque production pour offrir des représentations flexibles et immersives. Depuis la saison 2015-16, le StaatenHaus de Köln-Deutz sert de quartier temporaire à l'Opéra de Cologne, qui continue de présenter des œuvres exceptionnelles avant de retourner à son siège historique sur l'Offenbachplatz. Dans cette production, tout se passe sur scène, y compris les changements de costumes. La distribution sert ainsi de cadre humain constant à l'action, survolée par un cylindre latéralement opaque et transversalement translucide, tournant au-dessus de la scène. Cette mise en scène unique et inventive renforce l'impact visuel et dramatique de l'opéra.

La musique de Monteverdi, interprétée sur des instruments historiques par le Gürzenich-Orchester Köln sous la direction experte de George Petrou, crée une ambiance authentique qui transporte les spectateurs dans la Rome antique. Les instruments comme la viole de gambe, le théorbe, la harpe baroque et le clavecin sont utilisés pour reproduire fidèlement le son de l'époque, ajoutant à l'immersion et à l'authenticité de la performance.

Cette production moderne, issue d'une collaboration entre le Festival d'Aix-en-Provence, le Palau de les Arts Reina Sofía, l'Opéra de Rennes, l'Opéra de Toulon et l'Opéra de Cologne, parvient à faire résonner cette histoire de passion et de pouvoir avec une pertinence contemporaine, soulignant l'intemporalité des thèmes explorés par Monteverdi. L’équipe alternative de jeunes interprètes n'a pas déçu, offrant des performances vocales et dramatiques qui captivent et émeuvent le public.

Un des premiers moments remarquables de cette production est l'interprétation d'Alberto Miguélez Rouco dans le rôle d'Ottone. Le contre-ténor galicien excelle particulièrement dans la scène E pur io torno qui, où il incarne un jeune garçon ivre avec une intensité et une vulnérabilité saisissantes. Dans cette scène, Ottone, désemparé par la perte de l'amour de Poppea et manipulé par les intrigues de la cour, revient sur scène dans un état d'ébriété. Rouco dépeint ce mélange de désespoir et de confusion avec une telle authenticité que le public est immédiatement captivé. Sa voix, à la fois puissante et expressive, transmet la douleur intérieure de son personnage, tandis que ses gestes et expressions corporelles ajoutent une profondeur émotionnelle palpable. La capacité de Rouco à naviguer entre les nuances subtiles de l'ivresse et la douleur de l'amour non partagé montre non seulement ses compétences vocales, mais aussi son talent d'acteur. Il parvient à faire ressentir au public la fragilité d'Ottone, rendant ce moment particulièrement poignant. Son interprétation offre un contraste saisissant avec les autres personnages, soulignant la diversité des émotions et des motivations qui animent l'intrigue.


Nicolò Balducci et Tamara Banješević © Matthias Jung

In un sospir che vien est une scène capitale de l'opéra, mettant en lumière la relation complexe et intime entre Néron et Poppée. Dans cette scène doublement érotique, les personnages sont représentés partiellement dévêtus, intensifiant la nature sensuelle et intime de leur rencontre. Néron, interprété par Nicolò Balducci, et Poppée, interprétée par Tamara Banješević, se livrent à un moment de passion intense et de désir. La musique et le livret de Monteverdi capturent avec éloquence la tension émotionnelle et physique entre les personnages, exprimant leur attraction mutuelle et leur profonde connexion. Les compétences vocales de Balducci brillent dans cette scène, alors qu'il navigue avec agilité et sensibilité à travers les lignes vocales complexes. Sa voix de contre-ténor est puissante mais nuancée, transmettant le désir de Néron. La capacité de Balducci à interpréter le rôle avec profondeur et une gamme émotionnelle ajoute à l'authenticité de la scène, rendant les sentiments de Néron palpables pour le public. De l'autre côté, l'interprétation de Poppée par Banješević complète parfaitement celle de Balducci en Nero. Sa voix de soprano est agile et expressive, transmettant l'attrait et la ruse de Poppée. Ensemble, Balducci et Banješević créent une scène dynamique et captivante, entraînant le public dans le monde intime et passionné de leurs personnages.

Arnalta, interprété par John Heuzenroeder, apporte une dimension comique et émouvante à la soirée. Son personnage, Arnalta, se travestit en servant, rappelant les célèbres personnages comiques de l'opéra italien tels que ceux de Pergolèse ou de Mozart (Leporello). Ses répliques, comme Io nacqui serva, e morirò matrona, sont déclamées avec une touche d'ironie et de tendresse, offrant un contraste rafraîchissant avec le drame qui se déroule autour de lui. Arnalta est à la fois une confidente et un soutien pour Poppée, ajoutant une touche de légèreté et de familiarité à l'ensemble de l'opéra. Les moments musicaux d'Arnalta, tels que Ahi figlia, voglia il cielo et Ben sei pazza, se credi, sont presque déclamés, mettant en valeur le talent d'acteur de Heuzenroeder. Son interprétation astucieuse et pleine d'esprit donne vie à ce personnage attachant, tandis que ses interactions avec les autres membres de la distribution apportent une dynamique intéressante à la scène. Enfin, la scène où Arnalta est déguisé en garçon, utilisant même un aspirateur, ajoute une touche de comédie et de fantaisie à l'opéra. La réplique Astutello, garzoncello et les duos O caro, godiamo ! et O cara, cantiamo ! montrent l’agilité de Heuzenroeder en tant qu'interprète, capable de jongler avec différents registres et émotions avec aisance.

La scène finale, Pur ti miro, est un moment d'une rare intensité, où Poppée et Néron expriment leur amour éternel dans une harmonie parfaite. C'est un rappel poignant que, malgré les intrigues et les manipulations, l'amour triomphe toujours. Cette scène finale empreinte de grâce et de beauté musicale reste gravée dans l'esprit du public bien après la dernière note. Cette production de L'Incoronazione di Poppea à l'Opéra de Cologne ne laisse pas indifférent. Elle nous rappelle combien l'opéra de Monteverdi continue de fasciner et d'émouvoir les auditoires du monde. C'est une expérience magistrale qui mérite d'être célébrée et savourée pour sa profondeur musicale et sa réflexion sur la nature humaine.



Publié le 30 mai 2024 par Pedro Medeiros