Les Orphelines de Venise - Les Cris de Paris - Geoffroy Jourdain

Les Orphelines de Venise - Les Cris de Paris - Geoffroy Jourdain © Luc - Festival de Froville - Les Cris de Paris
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Le Festival de Musique Sacrée et Baroque de Froville reçoit le soutient financier du Conseil Départemental de Meurthe et Moselle, de la Région Grand Est, de la Caisse des Dépôts et Consignations, de l’Adami (société de gestion collective des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes), de l’Auberge de La Colline de Sion Vaudémont, et de la Fondation Orange.

Depuis trente ans, la Fondation Orange est un important mécène musical. Elle découvre, encourage et soutient activement de nombreux artistes et une vingtaine de festivals, dont celui de Froville.
La Fondation Orange intervient dans plusieurs domaines : éducation et formation, santé.

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En clôture de sa XXème édition, le Festival de Musique Sacrée et Baroque de Froville (54) a convié l’ensemble Les Cris de Paris.

Créés par Geoffroy Jourdain, les Cris de Paris parcourent un vaste domaine musical s’étendant du répertoire vocal et instrumental du début du XVIème siècle à celui de nos jours. A géométrie variable, ils redécouvrent des œuvres oubliées ou méconnues et explorent les limites vocales des créations contemporaines.

Le programme proposé, en cette fin d’après-midi, nous conduit dans la Venise du début du XVIIIème siècle, notamment derrière les murs des orphelinats pour jeunes filles, appelés Ospedali.
A cette période, la République de Venise comptait quatre Pio Ospedali (Pieux hospices) : l’Ospedale dei Mendicanti, l’Ospedale degli Deleretti, l’Ospedale degli Incurabili et l’Ospedale della Pietà.
Les orphelinats étaient constitués de jeunes filles douées, sélectionnées pour leurs aptitudes musicales (instruments ou voix) et destinées à chanter lors des offices et fêtes religieuses.

Toute l’attention porte sur le dernier orphelinat cité, l’Ospedale della Pietà, fondé en 1346. L’église de la Pietà se dresse sur la Riva dei Schiavoni le long du bassin de Saint Marc. L’église est indissociable du nom d’un de ses prêtres Antonio Vivaldi (1678-1741), surnommé le « Prêtre roux ».
Vivaldi occupa également le poste de « maestro di violino » – « maître de violon » de 1703 à 1714, puis celui de « maestro dei concerti » – « maître de concert ». Il composa d’ailleurs pour cette église et l’hospice della Pietà un bon nombre d’œuvres sacrées (messes, motets et oratorios) ainsi que de nombreux concertos.
Les jeunes filles disposaient de talents musicaux multiples (vocal et instrumental).

C’est donc dans une église, l’église romane de Froville, que Geoffroy Jourdain et son ensemble donnent le concert Les Orphelines de Venise, composé du Kyrie eleison, du Gloria, de la sinfonia « al Santo Sepolcro », du Credo, du Concerto « madrigalesco » et du Magnificat. Les recherches approfondies sur ces œuvres écrites pour chœur féminin et chœur mixte, permettent de présenter les versions purement féminines interprétées aujourd’hui, en particulier celles du Kyrie et du Gloria.
Geoffroy Jourdain et ses musiciens signent là une soigneuse reconstitution des partitions originales de Vivaldi.

Les douze « Orphelines », les sopranes (Eugénie de Padirac, Cécile Larroche, Cécile Lohmuller, Marie Picaut, Camille Slosse et Michiko Takahashi) et les altos (Cécile Blanquey, Anne-Lou Bissières, Aurore Bouston, Clotilde Cantau, Stéphanie Leclercq et Clémence Faber), prennent place dans le chœur de l’église où sont déjà installés les douze musiciens.
Les premières notes du Kyrie eleison en sol mineur RV 587 tentent de s’imposer face aux trilles des malicieuses hirondelles, présentes dans la nef. Se concentrer avec des trouble-fêtes aussi jolis soient-ils, ne sera pas une chose aisée…
La courte introduction laisse échapper des accords au ton solennel imposant déjà la grande qualité et la précision musicale des Cris de Paris.
Même de dos, il est facile d’imaginer le regard appuyé et « rassembleur » de leur chef. Les instrumentistes font preuve d’une parfaite homogénéité. Chacun tient sa ligne sans prendre le dessus.
Kyrie eleison résonne dans une unicité vocale des sopranes et des altos soutenues par de sublimes cordes, notamment celles des violons (Charlotte Grattard, Yuki Koike, Cécile Lucas et Cécile Mille) et des altos (Marie-Liesse Barrau et Delphine Millour). Une certaine forme de dialogue naît entre les deux pupitres vocaux. Le texte est mis en avant sans excès, point de consonnes scandées à outrance ! La juste mesure d’équilibre entre voyelles et consonnes est atteinte.
Le deuxième mouvement Christe eleison compose un duo pour les deux pupitres accompagnés des cordes. L’écriture est complexe au style luxuriant. Elle ne se heurte nullement à la base instrumentale puissante. Bien au contraire même ! Les altos aux couleurs chatoyantes développent et embellissent la ligne de chant des sopranes. Percevons, derrière ce foisonnement musical, le subtil et énergique continuo joué en particulier au clavecin (Loris Barrucand).
Le dernier mouvement, Kyrie eleison, consacre la passion, la ferveur. L’introduction chorale se pare d’une double fugue pour les deux pupitres.

La deuxième œuvre interprétée n’est autre que le Gloria en ré majeur RV589 dans la version chœur féminin, comme elle a été probablement donnée le 02/07/1713 par une quarantaine de jeunes filles dans la salle des Filarmonici de l’Ospedale della Pietà.
Or, la version « tube » connue à ce jour est à chœur mixte : sopranos, altos, ténors et basses (donc présence de voix masculines).
Le mouvement Gloria in excelsis DeoGloire à Dieu, au plus haut des cieux, adopte un mouvement binaire. Les motifs orchestraux sont d’une richesse expressive, et ce sans lourdeur. Le chœur et l’orchestre rendent gloire à Dieu tout en sobriété et élégance !
Une couleur dramatique est apportée par le mouvement Et in terra paxEt paix sur la terre. L’ensemble des musiciens offrent une lecture dynamique et puissante du mouvement. Notons les tremblements (trille à la note supérieure sur deux notes non groupées) qui se répètent et qui entraînent dans leur sillage les chanteuses. Une soprane lance un lumineux Domine deus, Rex caelestisSeigneur Dieu, Roi des Cieux. Citons la prestation du théorbiste (Pierre Rinderknecht), des violoncelles (Keiko Gomi, Jérôme Huille) et du jeu en pizzicati du contrebassiste (Ludovic Coutineau). Le clavecin est toujours aussi distingué. Il ne manquait peut-être que le hautbois et le basson de la version proposée au Festival d’Ambronay en 2015.
Il s’ensuit le dynamique tutti (sopranos et altos) Domine Fili unigenite, Jesu ChristeSeigneur, Fils unique, Jésus Christ.
Le ton plaintif du violoncelle, accompagné du théorbe et de l’orgue, confère un relief fort recueilli au Domine Deus, Agnus deiSeigneur Dieu, Agneau de Dieu d’une alto solo, relayé par les ponctuations pianissimi du tutti.
Le thème introductif se fait entendre de nouveau sur le Quoniam to solus SanctusCar toi seul es Saint, également interprété en chœur.
Le Cum sancto, in gloria Dei Patris. AmenAvec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père. Amen adopte les figures musicales du style baroque de la Sérénissime.
Le chœur, dans son ensemble, a offert une belle lisibilité à chaque mouvement. Il n’était pas souhaitable de marquer plus fortement les nuances au risque de discréditer l’œuvre. L’orchestre a témoigné d’une sublime vivacité, étai du chœur et des solistes.
Ainsi s’achève la première partie du concert…

Après l’entracte fort mérité pour les artistes, nous regagnons la nef. Le silence s’installe sauf les hirondelles placées aux premières loges qui virevoltent…
Puisse la Sinfonia « al Santo Sepolcro » (pour archets et continuo) inspirer le recueillement à ces créatures célestes !

Dans la production d’œuvres de Vivaldi, la Sinfonia se démarque d’une manière inhabituelle. Elle ne contient que deux mouvements : un adagio molto et un allegro ma poco. La particularité se retrouve dans une autre pièce arborant le même sous-titre, la Sonate en mi bémol majeur « al Santo Sepolcro ».
Le « Prêtre roux » développe une rare profondeur dans les deux pièces. Summum de l’émotion ! La douleur nous étreint, la souffrance nous accable… La compassion naît du canevas contrapuntique tissé par les notes vivaldiennes. Les musiciens prennent les couleurs nécessaires pour exprimer la Passion du Christ. Ils restituent à la perfection les mouvements chromatiques (ascendants et descendants) qui se croisent. Se croiser, le verbe est fort à propos. L’image de la croix peut apparaître dans cette passionnelle interprétation.
Les mesures introductives de l’Adagio molto personnifient la tension palpable. Les seconds violons attaquent un long fa dièse (6 temps). Sur les deux derniers temps, les premiers violons jouent un sol (seconde mineure, demi-ton diatonique). L’instabilité règne sans jamais faillir. Les archets transcrivent l’affliction.L’Allegro ma poco, quant à lui, conserve la même puissance expressive.
Les Cris de Paris livrent, ici, une touchante interprétation.
Il en sera de même pour la prochaine pièce, le Credo en mi mineur composé en quatre mouvements.

Le Concerto pour cordes en ré mineur porte une étonnante dénomination «madrigalesco». Cette dernière fait référence au madrigal. Un madrigal est une forme ancienne de musique vocale qui s’est développée au cours de la Renaissance et de la période baroque.
Cette fantaisie d’appellation est-elle due à sa forme d’écriture ? Il est composé de séquences harmoniques caractéristiques des madrigaux monteverdiens.
Il se divise en quatre mouvements (adagio-allegro-adagio-allegro) appuyés sur le style musical du Kyrie, l’adagio introductif du Magnificat.
Il est fort probable que Vivaldi ait souhaité lui donner une dimension vocale, humaine à la pièce purement instrumentale. L’intention est relevée avec brio par les musiciens des Cris de Paris qui ont été émotionnellement expressifs.

La recherche expressive sera encore une fois atteinte avec la dernière pièce du concert : le Magnificat en sol mineur. Les sopranes et les altos apportent toute la sensibilité nécessaire à ce genre d’œuvre. Les voix tissent le drame musical avec véracité et glorifient la puissance du Seigneur.

Ainsi s’achève la XXème édition du Festival de Musique Baroque et Sacrée de Froville.
Les Cris de Paris et leur chef Geoffroy Jourdain ont offert un sublime concert de clôture au public lorrain, également européen avec la présence de Belges, Allemands.
L’église romane de Froville apparaît bel et bien comme un lieu culturel, musical. Elle est devenue une scène incontournable du Baroque.
Le temps d’un concert, nous avons été transportés dans la Sérénissime de Vivaldi…

Merci aux artistes, Merci à l’équipe du Festival !

Comme le dirait Georges Pernoud, à la fin de son émission Thalassa, « A l’année prochaine et bon vent ! » …



Publié le 17 juil. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND