Didon et Enée - Purcell

Didon et Enée - Purcell ©
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Le génie de Purcell

On a fort peu de certitudes sur la création du Didon et Enée de Purcell, pourtant considéré comme un archétype de l’opéra baroque. L’hypothèse que la représentation de décembre 1689 à Chelsea n’ait été qu’une reprise d’un spectacle déjà monté à la Cour a été émise avec quelque apparence de probabilité. Il n’en demeure pas moins que si Didon et Enée continue à être célèbre plus de trois siècles après sa création, c’est principalement parce qu’en à peine une heure, le génie de Purcell fait le tour de ce qui peut être dit sur l’amour, la déception, la séparation …

Dès l’ouverture, Il Pomo d’Oro, sous la direction de Maxim Emelyanychev, démontre que la formation servira avec talent et humilité le génie de Purcell. Les accents sont sombres, énergiques et les équilibres parfaits. La Belinda de Fatma Saïd ouvre le Ier acte avec légèreté et élégance, reprise par un chœur de Il Pomo d’Oro qui sera de bout en bout excellent.

Puis, c’est la première déploration de Didon, dans laquelle Joyce DiDonato, souveraine, apporte des nuances irisées et une modulation triste et angoissée.

La grande scène des Sorcières, emmenées avec beaucoup de maîtrise par Beth Taylor, est tout à fait réussie, sombre et inquiétante, suintante de méchanceté réjouie. La belle voix de Beth Taylor se déploie avec une évidente jubilation dans ces accents maléfiques, son timbre s’assombrissant avec aisance. Le soutien que lui apporte des percussions d’une précision diabolique n’est pas pour rien dans le succès de cette belle interprétation. Les échos dans la grotte sont aussi une belle réussite.

L’Esprit incarné par le contre-ténor Hugh Cutting est une superbe révélation. Le timbre est souple, chaud et cuivré, la présence scénique remarquable et si la technique accuse encore un peu de verdeur, nul doute qu’on entend là un des grands contre-ténors de demain.

L’Enée de Andrew Staples m’a semblé très en dessous du reste de la distribution, comme égaré dans un rôle qui ne correspond pas à ses moyens, à son style ni à la compréhension psychologique qu’il en a.

Enfin, cette mort mystérieuse de Didon, qui meurt d’amour sans autre élément de causalité, et qui est l’une de plus grandes scènes que l’art lyrique peut nous offrir. Et Joyce DiDonato y est impériale, jouant de sa longueur de souffle, dominant la moindre inflexion, la moindre nuance dans une interprétation qui alterne des notes puissantes et des murmures comme des soupirs, et qui précipite la salle au bord des larmes, tant elle sait rendre tout le tragique de cette reine bafouée et abandonnée.

En première partie de la soirée était exécuté le très rare Jephté de Giacomo Carissimi. Si Carissimi est connu comme l’un des pères de l’oratorio, l’œuvre m’a semblé d’un intérêt très limité, à l’exception de l’extraordinaire chœur final dans lequel l’ensemble de la formation Il Pomo d’Oro, orchestre et chœur réunis, ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Il faut dire que la séduction de l’œuvre n’était guère soutenue par un Andrew Staples qui présentait les mêmes défauts que ceux évoqués plus haut pour Enée et ne parvenait pas à exprimer le désespoir de ce père abandonné à sa sotte promesse, ni par la Figlia de Carlotta Colombo qui, en dépit d’une assez jolie voix et d’une technique solide ne parvient pas à faire naître l’émotion, comme si elle était étrangère à cette musique et à cette partition.

La soirée s’est conclue par un très gros succès pour Joyce DiDonato dont l’investissement total dans le rôle de Didon était particulièrement émouvant, et parfaitement soutenu, de bout en bout de ces grandes déplorations par Il Pomo d’oro au meilleur de sa forme sous la baguette très inspirée de Maxim Emelyanychev.



Publié le 20 févr. 2024 par Jean-Luc Izard