La divisione del mondo - Legrenzi

La divisione del mondo - Legrenzi ©Opéra National du Rhin
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Vénus, « cruelle mère des Amours » (Jacques Louis Valon, marquis de Mimeure)

Le 4 février 1675, Giulio Cesare Corradi (vers 1650 – 1712 ?) ravive l’état de confusion dans lequel Vénus a plongé l’Olympe aux lendemains de la victoire des dieux sur les Titans. Le 8 février 2019, Christophe Rousset enchante un public captivé par sa relecture de cet épisode mythologique. Près de 350 ans séparent ces deux versions. Mais c’est toujours avec le même enthousiasme que les salles combles des théâtres vénitiens et strasbourgeois ont vibré au spectacle de ces débordements artistiquement lustrés.


© Michel Boesch

Un lecteur attentif s’empressera de nous signaler une anomalie : dans la première ligne de notre texte, nous attribuons l’ouvrage à Giulio Cesare Corradi alors que la bannière accrochée à la façade de l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg, le crédite à Giovanni Legrenzi (1626-1690). Pourtant, ces deux formules contiennent chacune leur part de vérité selon que nous accordons la priorité au librettiste ou au compositeur.

Car au XVIIème siècle italien, aucune hiérarchie n’est encore établie au sein d’une telle coproduction. Certes, le poète peut figurer au rang de contributeur principal. Pour la simple raison que le genre musical que nous nommons « opéra » célèbre d’abord le verbe. En effet, il est né d’un constat : la musique vocale polyphonique rend le texte inintelligible. Or, sous l’impulsion du musicien Jacopo Corsi (1561-1602), les membres de la Camerata de’ Bardi de Florence observent que la Grèce antique excellait justement dans l’art de mettre en valeur un texte par la musique. Par conséquent, pour bien saisir l’essence d’un texte, pourquoi ne pas en revenir aux pratiques originelles ? Les esprits étaient prêts pour donner naissance à l’opéra. Son principe ? « Renforcer le pouvoir de la déclamation au théâtre par le chant, au service d’un texte qui, rendu intelligible par l’usage de la monodie, peut s’organiser en intrigues dramatiques » (David Le Marrec, Histoire de l’opéra italien : essai de schéma, Carnets sur sol, 2010). C’est donc en toute légitimité que Corradi s’attribue la paternité exclusive de son drama per musica (littéralement « action théâtrale en musique ») dont la publication contient l’intégralité des textes chantés.

Pourtant, dans une adresse au lecteur (A chi legge/A celui qui lit), Corradi complimente son partenaire musicien dans son style invariablement ampoulé : « à mes insuffisances, il put substituer les vertus de Monsieur le MaÎtre Legrenzi qui, avec la douceur de ses notes harmonieuses, te fait sentir dans mon théâtre de Ciel une mélodie de Paradis » (ti fà sentire nel mio Drama de Cieli una melodia di Paradiso).

L’un et l’autre forment donc ce curieux attelage composé d’un librettiste débutant de 25 ans et d’un musicien expérimenté portant le double de son âge.

En 1675, la carrière de Corradi débute à peine. L’année précédente, il avait signé son premier livret, une commedia per musica intitulée La schiava fortunata (L’esclave chanceuse) et mise en musique par Marc’Antonio Ziani (1653-1715). La divisione del mondo figure en seconde position dans le catalogue des vingt-deux livrets qu’il aura destiné, sa vie durant, aux théâtres d’opéra vénitiens.

Au contraire, Giovanni Legrenzi est un musicien éclectique qui a beaucoup voyagé. Elève de Giovanni Rovetta (1596-1668), un confrère de Claudio Monteverdi (1567-1643), il se consacre, d’abord à Ferrare, à la musique liturgique. Puis, dans le domaine instrumental, il se distingue dans un genre en pleine construction : la sonate. Enfin, à partir de 1662, il se consacre à cet « art nouveau » que constitue encore l’opéra et met en musique ses premiers livrets. Etabli à Venise en 1669, il y produit de nouvelles œuvres lyriques. La divisione del mondo ouvre le chapitre vénitien constitué des quinze opéras grâce auxquels « sa renommée se répandit durablement de par le monde » (Manola C. Stanchi in L’Opéra italien : histoire, traditions, répertoire publié sous la direction de , Flammarion, 1985).

Le synopsis peut difficilement se résumer en peu de mots tant l’intrigue est complexe et les péripéties foisonnantes. « Tout le monde est en relation de couple avec la « mauvaise » personne » (comme Diane, promise à son oncle Neptune mais qui aime follement son autre oncle, Pluton) et tous les hommes n’ont d’yeux que pour la seule Vénus, analyse fort justement Jetske Mijnssen dans un entretien publié par Le Mag Opéra National du Rhin (décembre 2018 - février 2019). Tentons néanmoins un résumé un peu plus circonstancié.


© Michel Boesch

Victorieux des Titans, les dieux de l’Olympe s’apprêtent à leur réclamer la libération de Saturne. Mais Junon pressent qu’un autre danger va mettre en péril l’harmonie retrouvée : la beauté dévastatrice de Vénus. Elle obtient de son époux, Jupiter, que la séductrice soit éloignée dans l’attente d’une décision sur son sort. Mais il suffit à Vénus de paraître en compagnie de Mars pour semer le trouble au sein des trois générations de la famille d’Olympie. Les réprimandes de Saturne n’y feront rien : tous les hommes sont ensorcelés et la confusion est générale. Même Jupiter finit par céder, ce qui provoque son expulsion du foyer conjugal. Jupiter assagi, les couples finissent par se reformer et Vénus accepte finalement de rejoindre son mari, Vulcain. L’ordre règne à nouveau sur l’Olympe.

La divisione del mondo est créé le 4 février 1675, en pleine période de carnaval. Cette période, « qui commence après les fêtes de Noël… est le véritable temps des plaisirs et des spectacles » explique un connaisseur, le secrétaire de l’ambassadeur de France à Venise, Alexandre-Toussaint de Limogon de Saint-Didier (1630 ?-1687) (La ville et la République de Venise au XVIIème siècle, édition de 1891).

C’est l’un des nombreux théâtres de Venise qui accueille cette création : nel famoso Teatro Vendramino di S. Salvatore, indique le livret imprimé par Corradi. Précisons qu’à Venise, chaque théâtre porte deux noms : celui de la paroisse (ici celle du Saint-Sauveur située à proximité du pont du Rialto) et celui de la famille qui l’a créé et qui la dirige (les Vendramini, commerçants devenus patriciens). Ce théâtre (aujourd’hui Teatro Stabile del Veneto) dans lequel se produira d’ailleurs Carlo Goldoni (1707-1793), accueille les opéras à partir de 1660, soit plus de vingt ans après l’ouverture de la première salle d’opéra publique, le Teatro San Cassiano (1637). En 1675, la concurrence est rude depuis que les théâtres sont ouverts à tous les publics et non plus réservés à une élite avertie. Public d’autant plus exigeant qu’il doit régler le prix de sa place. Une double pression s’exerce donc sur les gérants et les artistes. D’autant qu’en période de carnaval, ce public est volatile et que l’offre est profuse. Seules les pièces à succès font alors recette.

De ce point de vue, La divisione del mondo remporte le pactole. L’opéra est un triomphe et devient, explique Stephen Bonta (Giovanni Legrenzi, édition De Grove Music Online), « l’œuvre la plus largement interprétée de Legrenzi, avec treize productions en Italie entre 1683 et 1699 ». Succès en partie redevable à l’éclat des décorations ainsi qu’aux effets spéciaux employés à sa création. Particulièrement dans l’acte III, véritable festival de machines et d’artifices. Ici, Neptune se déplace sur une coquille tirée par des chevaux marins (scène 4) ; là, des flammes infernales sont remplies d’horribles monstres (scène 10). Le plus spectaculaire étant probablement cette énorme machine qui transporte Jupiter menant la Discorde et l’Amour enchaînés (scène 16), machine qui s’ouvre ensuite, laissant entrevoir Vénus et Mars emprisonnés dans un filet (scène 18).

De cette architecture soucieuse d’impressionner les spectateurs, bien peu subsiste dans la version 2019 proposée par Jetske Mijnssen (mise en scène) et Herbert Murauer (décors). Leur approche est plus théâtrale que spectaculaire, plus analytique que démonstrative. Alors que le projet artistique initial semblait construit sur le principe d’une recherche d’effets scéniques d’intensité croissante, la recréation opte pour un schéma circulaire : les premières scènes comme les dernières montrent les protagonistes attablés. Une forme de continuité qui peut susciter un léger sentiment de lassitude. D’autant que le décor est épuré et immuable (hormis quelques jeux de lumières) alors que, dans la version vénitienne décrite dans le livret, chaque acte voyait ses décors changer et la fin de la pièce être couronnée par des danses (balli). En fin de compte, la recréation perd en éclat ce qu’elle gagne en psychologie.


© Klara Beck

Pour autant, l’ouvrage n’a strictement rien perdu de son intérêt. Loin de là. Quatre raisons, au moins, participent d’un appel pressant à graver cette représentation.

D’abord, il s’agit d’une rareté à laquelle seul Thomas Hengelbrock s’était intéressé jusqu’à présent. Avec son Ensemble Balthasar-Neumann, il en a proposé une première relecture lors du Festival de Schwetzingen, en mai 2000, avant une reprise lors du Festival de musique ancienne d’Innsbrück, en août de la même année. En revanche, à notre connaissance, aucun enregistrement n’est actuellement disponible. En le réalisant, Christophe Rousset accomplirait donc une œuvre culturelle d’intérêt général.

Ensuite, le livret mis en musique esquisse une remarquable peinture des mœurs vénitiennes dans le dernier quart du XVIIème siècle. Car le titre de la pièce cache un énorme sous-entendu. A première vue, il évoque la « division du monde » entre Jupiter, (l’empire des cieux), Neptune (les mers) et Pluton (les enfers). Mais cet événement sera à peine effleuré. En réalité, le sujet principal vise une autre division, celle de l’ordre social sous l’effet de la déliquescence des mœurs. Ainsi, à gros traits, elle dévoile le double visage de la femme vénitienne, particulièrement durant la période de carnaval : à la fois épouse jalouse (Junon) et maîtresse volage (Vénus). Elle croque également les faiblesses de la gente masculine, victime consentante de la séduction féminine. Elle n’oublie pas la sagesse des vieux. Lorsqu’il évoque l’opéra vénitien, Limogon de Saint-Didier rappelle que « leur composition est toujours conduite par le personnage d’une vielle qui donne de bons conseils aux jeunes ». Mais ici, c’est à Saturne que revient le rôle de rappeler à ses fils, subjugués par les charmes de Vénus, les principes de la morale publique (Contro sacro Imeneo/L’opra non solo, anco ‘l pensier fa reo : Contre un hyménée sacré/Les actes rendent coupable, mais la pensée aussi – Acte II, scène 6). L’argument renvoie d’ailleurs au public la question cruciale de l’ordre social mis en péril par la liberté des mœurs incarnée dans le personnage d’une Vénus qui déclare : Voglio aver più d’un amante/Arder bramo a più d’un foco (Je veux avoir plus d’un amant/Je désire brûler à plus d’un feu - Acte II, scène 6). Ailleurs, Corradi souligne subtilement que l’Olympe sur scène et Venise dans la salle ne forment qu’un. A l’Acte II, scène 14, Mars se tourne ostensiblement vers le public féminin pour l’avertir : E pazzo chi vi crede !... Belle, col dir di si/Troppo sapete fingere (Il est fou celui qui vous croit !... Belles, quand vous dites oui/Vous savez trop bien feindre).

De même, l’histoire de la musique s’enrichirait d’une incomparable illustration de la métamorphose de l’écriture musicale du théâtre d’opéra italien qui s’accélère dans le dernier quart du XVIIème siècle. Cette période, finalement assez peu connue mais tellement prolixe, transforme peu à peu les premiers modèles de Jacopo Peri (1561-1633) et Claudio Monteverdi pour préparer le terrain aux opera seria ou buffa du XVIIIème siècle.

La divisione del mondo présente plusieurs caractéristiques de cette période de transition. Dans un souci d’intelligibilité du texte, elle conserve de la tradition la simplicité de l’écriture des passages déclamatoires, notamment les dialogues. En revanche, chaque acte est subdivisé en un nombre croissant de « numéros ». Pour mémoire, L’Incoronazione di Poppea (Le couronnement de Poppée) représenté par Monteverdi à Venise, en 1640, compte trois actes (comme La divisione del mondo). Chacun d’eux est découpé en 13 scènes pour les deux premiers et 8 pour le dernier. L’ouvrage de Legrenzi multiplie les scènes : 23 pour l’acte I, 25 pour l’acte II et 19 pour l’acte III, cela sans compter les ritournelles et intermèdes instrumentaux. Chaque « numéro » est doté d’un caractère singulier et leur agencement répond à des règles de construction dramatique qui se révèlent souvent à la simple écoute.

En simplifiant à l’excès, nous dirions que les opéras des origines se présentent sous la forme d’une suite de récitatifs ponctués d’intermèdes musicaux. La génération de Legrenzi parsème cette trame originelle de magnifiques arias à forte densité mélodique. Des airs qui ont pour fonction d’exposer les conflits intérieurs d’un personnage ou d’exprimer les passions qui l’obsèdent. Ces moments statiques alternent avec des séquences plus dynamiques telles que les récitatifs ou les passages dans le style du théâtre chanté. Ces scènes courtes mais nombreuses impulsent une dynamique d’une grande vivacité.

Enfin, la performance des artistes musiciens ou scénographes mérite d’être inscrite en dur dans l’actualité culturelle.

Solistes et instrumentistes forment un collectif en parfaite symbiose. Chacun met sa palette de talents au service de la réussite d’un projet commun. Ainsi, le premier d’entre eux, Christophe Rousset, passe adroitement de la baguette au clavecin. Encore ne mentionnons-nous pas ici son minutieux travail d’analyse de la partition manuscrite conservée à la Bibliothèque Nationale de France pour composer l’instrumentarium et affiner le matériau musical confié à ses interprètes. Et le résultat est admirable. L’orchestre des Talens Lyriques émet une sonorité charnue et soyeuse dès la sinfonia d’ouverture. Il excelle dans l’art kaléidoscopique des sons, éclairant de couleurs subtiles et changeantes le texte du livret. Particulièrement dans cette attendrissante « scène du sommeil » de l’Acte II qui accompagne le coucher de Vénus et de Mars et qui montre, en parallèle, Saturne endormi dans le fauteuil roulant de son épouse Rhéa.

Un texte que les solistes déclament en chantant avec un savoir-faire remarquable. Toutes les voix sont finement aiguisées et la diction toujours soignée. Legrenzi avait conçu la distribution des voix masculines en référence à l’ordre des générations dans la famille d’Olympie : un baryton-basse pour le grand père Saturne, un baryton et deux ténors pour ses trois fils (Jupiter, Neptune et Pluton), des contre-ténors (des castrats, à l’origine) pour la troisième génération (Mars, Mercure, Apollon). Hormis leurs techniques vocales parfaitement maîtrisées, ils déclament tous avec une exceptionnelle expressivité et souvent, un sens aigu du burlesque. Ainsi, Jupiter (Carlo Allemano) est émouvant lorsqu’il adresse à Junon un air tout en douceur et en tendresse : Bella non piangere (Ne pleure pas ma belle – Acte 1, scène 3). De même, le Bella spiagge a voi ritorno (Beau rivage, je reviens vers toi – Acte III, scène 14) est interprété par un Apollon (Jake Arditti) possédé par son texte. Bien plus que des voix, ces chanteurs sont également d’excellents acteurs. Même dans leurs silences, Neptune et Pluton sont confondants lorsqu’ils se pâment devant Vénus. Saturne (Arnaud Richard) interprète un vieillard cacochyme mais à la voix assurée. Mieux encore. Dans les préliminaires amoureux de la scène 17 de l’Acte 1, Pluton (André Morsch) chante allongé et la tête renversée sans la moindre altération de sa voix.


© Klara Beck

Les voix féminines ne sont nullement en reste. Junon (Julie Boulianne) s’impose en maîtresse-femme à la tessiture d’une parfaite ductilité. Chanteuse-actrice ou actrice-chanteuse ? Peu importe. Elle réussit à merveille sur ces deux palettes. Sans oublier son Vi do bando, o mei sospiri (Je vous bannis, ô mes soupirs – Acte III, scène 19) qui sonne comme un air de bravoure annonçant le bel canto qui s’épanouira au XVIIIème siècle. Le timbre lumineux de Vénus (Sophie Junker) séduit autant que son jeu d’acteur. Qui a pu résister à son excitant Lascivetto Dio de’ cori (Lascif petit dieu des cœurs – Acte I, scène 16) ? Expressive dans les scènes de séduction comme dans la résignation finale, elle rend un bel hommage à la beauté et à la légèreté de la femme vénitienne. Aimant qui ne l’aime pas, Diane (Soraya Mafi) est convaincante jusque dans le désespoir qu’elle exprime dans son mélancolique Ciechi abissi, eterni orrori (Aveugles abîmes, éternelles horreurs – Acte III, scène 10). Et que dire d’Amour (Ada Elodie Tuca) qui vocalise à ravir ?


© Klara Beck

Si les acteurs nous ont ravi, la mise en scène, les décors et les costumes nous ont d’abord désorientés. Dès le lever du rideau, nous perdons nos repères. Comment identifier les personnages mythologiques revêtus à la mode des années 2000 (après Jésus Christ !) ? D’abord, leur langue ne nous est pas familière. Ensuite, le livret-programme contenant l’intégralité du texte chanté est plongé dans le noir. Même les traductions défilant sur un écran fixé au niveau des cintres n’attribuaient le texte à aucun personnage. Il ne restait plus qu’à nous laisser imprégner par la beauté des sons, de savourer la gestique des comédiens et d’entrer dans l’histoire avec nos sensations pour seuls guides. Et le résultat est stupéfiant même si nous ne goûtons pas immédiatement toutes les finesses des discours.

Pourtant, Jetske Mijnssen n’avait rien caché de son projet scénographique : « A chaque fois que je travaille sur une œuvre baroque, je ressens la nécessité de faire des dieux des humains. De les impliquer dans notre réalité ». Voilà la clé ! Sur une musique de plus de trois cent ans, la mise en scène nous fait vivre l’histoire tourmentée d’une famille élargie dont l’harmonie apparente est bouleversée par l’intrusion d’une beauté fatale. Par le décor (un espace intérieur autour duquel s’enroule un immense escalier desservant plusieurs étages) et de nombreux détails comme les costumes (le deux pièces bleu électrique de Jupiter, la redingote d’Apollon ou le costume rose de Mercure), les objets (le fauteuil roulant que Rhéa ne quitte quasiment pas, les boissons et les cigarettes que l’on consomme à profusion, les achats de sous-vêtement féminins que déballe Junon) et les situations (Junon jetant les effets personnels de Jupiter du haut des escaliers), la mise en scène nous rappelle constamment que cette histoire, c’est d’abord celle de notre siècle.

La mise en scène mêle le sérieux des questions de société (l’infidélité, la dissolution des mœurs) au burlesque de certaines situations (Neptune portant un bocal à poisson, Pluton obsédé par le rangement de cartons, Jupiter affalé sur le matelas que lui a jeté Junon). En somme, une nouvelle histoire rebâtie avec les matériaux anciens. Surprenant mais finalement captivant.

Pour finir, nous voulons adresser une mention particulière à l’équipe de l’Opéra National du Rhin pour la qualité exceptionnelle du livret-programme proposé aux spectateurs. Il offre toutes les clés nécessaires pour pénétrer dans l’intimité de cette pièce à peine sortie des pénombres. Si le synopsis est un peu touffu (mais peut-on faire mieux alors que le livret révèle un inextricable nœud de sentiments amoureux ?), les explications de Christophe Rousset et de Jetske Mijnssen éclairent sur les secrets de fabrication de cette recréation. Pour les plus curieux, viennent s’ajouter un exposé de Jean-François Lattarico consacré à l’opéra vénitien de la fin du XVIIème siècle ainsi que deux compléments littéraires : Léda ou la louange des bienheureuses ténèbres (1893) de Pierre Louÿs et un extrait de l’Ulysse de James Joyce. Une belle manière de montrer que la culture ne s’enferme dans aucune catégorie mais s’épanouit dans la communion de multiples talents. Comme cette soirée du 8 février 2019 l’a amplement démontré.

NDLR : La Divisione del Mondo sera également donnée prochainement à l’Opéra National de Lorraine à Nancy (du 20 au 27 mars), ainsi qu’à l’Opéra Royal de Versailles (les 13 et 14 avril 2019).



Publié le 19 févr. 2019 par Michel Boesch