Dolce Follia - Concert de l'Hostel Dieu

Dolce Follia - Concert de l'Hostel Dieu ©
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Un lancement de saison en fanfare

La chapelle de la Trinité
Le concert de ce soir a lieu dans un lieu chargé d’histoire. Édifié de 1617 à 1622, c’est dans la chapelle de la Trinité que Napoléon Ier proclame la République Italienne en 1802. Premier bâtiment ecclésiastique de style baroque à Lyon, la chapelle sera désacralisée en 1920 et inscrite aux Monuments historiques en 1939. Depuis les années 1990, la municipalité et la région entreprennent des projets de restauration. Aujourd’hui, il est un lieu incontournable de la musique classique sur Lyon. De nombreux concerts s’y déroulent, comme en témoigne l’impressionnante file d’attente pour le concert de ce soir.

Le projet de la Trinité : une nouvelle scène musicale baroque à Lyon


© La Trinité

Plus qu’une nouvelle saison pour La Trinité (voir le site) c’est une nouvelle équipe qui prend la direction des opérations et présente, à cette occasion, le programme. Ce collectif est composé de Camille Chabanon et Camille Rhonat à la direction de La Trinité, de Franck-Emmanuel Comte pour la direction artistique et de François Mardirossian, conseiller artistique. Ce collectif se donne pour mission, durant cinq ans, d’ouvrir la chapelle à de nouveaux horizons. Il propose, ici, une nouvelle scène des musiques baroques et irrégulières à Lyon comme en témoignent les nombreux concerts proposés (voir le programme ). Pour cela la Trinité dispose notamment du soutien de la Métropole de Lyon, représenté par Cédric Van Styvendael, vice président à la culture et vivement remercié. Faire ce concert d’ouverture dans un tel lieu est une « chance » comme le rappelle Franck-Emmanuel Comte. Le Concert de l’Hostel Dieu qu’il dirige, y est en résidence et se produira à quatre reprises pour cette saison. Avec ce projet, la Trinité propose des ponts entre les cultures en invitant par exemple l’Institut des musiques persanes de Lyon (IMPL, voir le site) sur scène.

Un concert au programme original
Dolce Folia est inspiré pour une part de la Follia, cette danse apparue au Portugal du 15ème siècle, pleine de folie, de joie, et de créativité. Ces Folies d’Espagne ont inspiré de nombreux compositeurs, de Lully à Rachmaninov en passant par Vivaldi. Le thème de la folie se poursuit également  dans celui des tarentelles jusqu’à la transe moderne. Pour une autre part ce programme est inspiré du ballet Folia créé par le célèbre chorégraphe Mourad Merzouki (voir sa biographie) en étroite collaboration avec Franck-Emmanuel Comte, à l’occasion des Nuits de Fourvières.

Le concert s’ouvre par une introduction mettant en scène les percussionnistes de l’Institut des musiques persanes de Lyon. Ensuite, la soprano Heather Newhouse (voir son site) et le Concert de l’Hostel Dieu (voir le site ) présentent leur programme. Ils seront accompagnés, dans un troisième temps, par le talentueux danseur Joël Luzzolo.

La salle se pare d’une lumière tamisée tandis que la scène, au centre de l’édifice, baigne dans une lumière bleutée. Conduits par David Bruley (voir son site), une dizaine d’étudiants de l’IMPL prennent place en deux groupes, de part et d’autre de la scène. Ils inaugurent le concert de ce soir munis de leurs percussions, dafs et tombak. L’introduction est une composition de David Bruley, intitulée Az aval. Structurées en trois parties, avec ses rythmiques puissantes et entraînantes, elle met à l’honneur une œuvre de Rûmî (Molana), poète, théologien et mystique persan du 13ème siècle. Son poème est clamé d’une seule voix par les étudiants au rythme des percussions. La troisième partie est un vibrant hommage à la musique kurde d'Iran.

Le rythme est d’une beauté saisissante et la ligne mélodique d’une clarté remarquable. Les différentes percussions se font entendre avec subtilité, révélant toute la concentration et l’attention que les musiciens portent les uns aux autres. Leur plaisir à jouer ensemble est communicative, créant une atmosphère ensorcelante. Cette musique, pleine d’énergie, évoque l’univers des derviches tourneurs et transporte les spectateurs dans un voyage sensoriel au cœur des traditions persanes :
Mordeh bodam, zendeh shodam (J'étais mort, je suis devenu vivant)
Guerieh bodam, khandeh shodam (J'étais pleurs, je suis devenu rires)
Dolat-e eshgh âmad o man (Le règne de l'amour est arrivé)
Dolat-e pâyandeh shodam (Mon règne est devenu éternité)

Au cœur de la scène trône le clavecin. Sur son côté gauche, théorbe, violoncelle et contrebasse sont mis en valeur. Son flanc droit, quant à lui, fait honneur aux percussions et violons. Sous les applaudissements de la foule, le Concert de l’Hostel Dieu fait son entrée, prêt à nous enchanter de ses partitions. Cette seconde partie de concert débute avec la magnifique voix de la soprano Heather Newhouse. Sa voix se diffuse à merveille dans la chapelle, parcourant la scène avec une sonorité langoureuse, tel un séduisant écho qui vient chanter au creux de l’oreille du spectateur. Par sa voix, elle incarne la Folie (Yo soy la locura) avec une saisissante gravité qui confère à cette œuvre connue une remarquable originalité. Depuis les gradins, comme pour clamer son amour aux musiciens, elle interprète Sento in seno. Cet air, maintes fois chanté avec des tonalités pleines d’espoir (par Nathalie Stutzmann, à écouter ici) ou de manière gaie (par Jakub Josef Orlinski, à écouter ici) prend, ici, une nouvelle dimension avec la voix claire et douce de Heather Newhouse. Son interprétation plus lente donne une jolie coloration à cet air. Pleine de passion amoureuse, elle implore que tes larmes calment la douleur. Ses notes aiguës et graves montrent toute la richesse de son ambitus, une voix pleine d’émotion.

Ces airs autour du thème de folie sont également l’occasion d’une folie à deux. Les violonistes Reynier Guerrero et Florian Verhaegen transforment Quando voglio en une véritable performance originale. Les deux hommes tournoient autour du clavecin, tels des duellistes, rapière en main, la victoire comme seul salut. Plus qu’un combat, c’est une danse saisissante, un dialogue plein d’énergie qui anime ces deux hommes. Quittant la scène, ils poursuivent leur duel au milieu du public et poursuivent cette folie avec une incroyable intensité ! Cette énergie créatrice est vivement appréciée par le public avec un tonnerre d’applaudissements. Les deux amis saluent la foule en retour, bras dessus, bras dessous.

Aude Walker-Viry est de ces artistes qui animent la scène de leur présence avec un enthousiasme contagieux. A chaque concert elle éblouit le public et démontre avec brio sa remarquable dextérité au violoncelle. Son allégresse, se propage comme une onde à travers l’ensemble du collectif jusqu’au cœur de l’assemblée. L’énergie qu’elle dégage est à la hauteur de sa maîtrise instrumentale : tout simplement exceptionnelle. Elle incarne un équilibre entre technique prodigieuse et passion débordante notamment lorsqu’elle joue la dernière sonate de Vivaldi. Une performance promptement saluée par le public.

Le clavecin, déplacé sur le côté de la scène, Franck-Emmanuel Comte exprime sa gratitude envers le public présent ce soir et salue le travail des équipes techniques. Inspiré du ballet Folia du célèbre chorégraphe Mourad Merzouki, la seconde partie de la soirée nous transporte dans l’Amérique du Sud du XVIIème siècle.

Au cœur de la scène, David Bruley, seul maître de ses percussions, fait vibrer la chapelle tout entière. Ses mélodies riches et envoûtantes, transportent l’auditoire au cœur de l’Amazonie, entouré de rituels ancestraux. Ce virtuose déploie toute l’étendue de son art, créant l’illusion d’un ensemble à lui tout seul. Soudain, depuis le fond de la salle, les membres du Concert de l’Hostel Dieu rejoignent David Bruley armés de diverses percussions. Leur symphonie collective fait vibrer les corps à la manière d’une transe collective.

Au milieu de la scène, d’un pas noble et gracieux Joël Luzolo fait son entrée. Il est habillé à la manière des derviches tourneurs. Dès les premières notes, sa jupe longue et blanche s’envole, et oscille au rythme des partitions des musiciens et devient hypnotisant. Dans sa danse tournoyante, il entraîne toute la scène et le public avec lui. Avec la puissance de ses bras il tourne de plus en plus vite. La danse des derviches, magnifiquement interprétée ce soir par le talentueux danseur, est une transe teintée d’une profonde spiritualité. Toute la salle est debout pour applaudir, avec force, Joël Luzolo, Heather Newhouse et les musiciens du Concert de l’Hostel Dieu.

Difficile de quitter la scène avec une telle énergie. Nicolas Janot, le contrebassiste, revient seul au centre des planches. Comme un rappel inattendu, il entame une mélodie aux accents jazzy, immédiatement accompagné par le public qui l’accompagne en claquant des doigts. Rejoint par ses complices, ils investissent l’espace et dansent avec joie à la manière d’une bacchanale moderne. Cette douce folie n’en finit pas et met en lumière l’exceptionnelle cohésion et la chaleureuse complicité qui unit les membres sur scène. Une fois encore le public les applaudit c’est une véritable ovation qui leur est réservé !

Avec ce concert d’ouverture, les acteurs de la Trinité réussissent leur pari. Plus qu’un concert, c’est une véritable expérience collective que le Concert de l’Hostel Dieu a offerte ce soir, marquant le lancement de la saison de La Trinité !



Publié le 10 déc. 2024 par Dimitri Morel