Don Giovanni - Mozart

Don Giovanni - Mozart © Simon Gosselin
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Un plateau d’exception constitué de jeunes talents

Dramma giocoso en deux actes, Don Giovanni est créé, sous la direction de Mozart, le 28 octobre 1787 à Prague. Il s'agit d'une commande, suite au très grand succès que viennent de remporter les représentations des Noces. Le succès sera au rendez-vous des représentations praguoises et, malgré le semi-échec de la création à Vienne, au Burgtheater, le 7 mai 1788, le succès de cet opéra ne s'est pratiquement jamais démenti, et il figure quasi systématiquement dans la liste annuelle des 10 opéras les plus représentés au monde.

Ce succès est dû bien sûr à la musique de Mozart qui habille un drame des couleurs du giocoso et qui alterne de brillante façon la légèreté de la comédie et l'intensité et l'émotion de la tragédie. Il doit aussi beaucoup au livret de Da Ponte. Don Giovanni est un personnage fascinant : présent tout au long de l'œuvre, d'une ambiguïté permanente, d'un cynisme dépourvu de tout recul. Mais il est entouré de personnages tout aussi fascinants. Pas étonnant donc que tant d'histoires, vraies ou fausses, qui saura jamais, circulent : la composition de l'ouverture en trois heures la veille de la première, la contribution de Casanova au livret, le soutien nocturne et libertin apporté à l'inspiration de Da Ponte par la fille de sa logeuse...

Cette richesse de la musique et du livret ainsi que la complexité des personnages autorisent nombre de lectures de l'œuvre. Il n'en demeure pas moins que cet opéra est une ode à la liberté, liberté dont tout (et en particulier la musique) nous susurre les dangers : l'immoral et cynique séducteur meurt bien, puni, à la fin de l'œuvre, mais il meurt en résistant (il refuse le repentir) et sa liberté a brisé les autres personnages (c'est ce qu'exprime le final, coupé dans cette production).

La mise en scène de Jean-Yves Ruf est délibérément minimaliste : l’orchestre est placé non en fosse mais sur scène, devenant ainsi un élément central du décor et participant à l’action (l’orchestre figure par exemple les invités). Une simple passerelle le surplombe et les accessoires sont réduits à leur plus simple expression (une seule assiette de spaghettis pour le souper par exemple). La direction d’acteurs est exceptionnellement efficace, portée avec talent par la jeunesse des interprètes, et dépouille les personnages de leurs oripeaux d’hypocrisie. Dans cet univers restreint et contraint, les personnages évoluent entre les pupitres de l’orchestre, la passerelle et l’escalier qui y conduit, dans une proximité avec l’orchestre et le public qui sied particulièrement à la partition de Mozart.


© Simon Gosselin

Dès les premières notes de l’ouverture, Julien Chauvin (qui dirige du violon et attaque les premiers accords sans attendre que le brouhaha de la salle ait cessé) installe une ambiance vive et passionnée. La lecture est à la fois dynamique et fouillée, ciselée, mettant en avant les superbes couleurs du Concert de la Loge. D’une précision presque diabolique, il nous emporte dans des changements de climat permanents et toujours réussis, culminant avec le sextuor du II et la scène du souper dont il tire des accents incroyablement puissants.

Sur scène, les jeunes interprètes de cette production constituent un plateau vocal d’exception.

Très réduit (un interprète par voix), le petit chœur est brillant avec Inès Lorans (soprano), Alexia Macbeth (mezzo-soprano), Corentin Backès (ténor) et Samuel Guibal (baryton-basse). Nathanaël Tavernier est un Commandeur impressionnant de puissance et de profondeur, dont la rage et la volonté de vengeance sont inhabituelles mais parfaitement rendues.

La Zerlina de Michèle Bréant a un timbre qui reste encore un peu vert et des graves qui manquent un peu de puissance. Si son incarnation d’une Zerlina mutine et adolescente est intéressante, il y a néanmoins un déséquilibre certain dans la distribution avec le colossal Masetto de Mathieu Gourlet dont le timbre superbe et la puissance vocale donnent au personnage plus d’épaisseur que dans la plupart des productions.

Abel Zamora délivre un Don Ottavio sensible et tourmenté, pré-romantique. Son timbre doux, son sens des nuances et les couleurs dont il sait orner son chant donnent à son personnage une importance qu’il n’a généralement pas et le dépouille de la dimension fort niaise qu’on lui attribue le plus souvent. Son interprétation des airs redoutablement hauts qui reviennent à sa partie est irréprochable et réellement émouvante.

Tout aussi émouvante, la Donna Anna de Marianne Croux déploie toutes les couleurs de la quête de vengeance, subtilement nuancée d’ambiguïté quant à la réalité de sa relation avec Don Giovanni. Les moyens, vocaux et dramatiques, de Marianne Croux sont impressionnants et c’est peu dire qu’elle se joue des difficultés de sa partie, avec un Or sai chi l'onore et un Non mi dir impeccables de couleurs, de style, de justesse et d’aisance dans un aigu charnu et rayonnant.

Margaux Poguet est une Elvira d’une grande noblesse, vibrante et qui dispose d’une voix qui se plie avec grâce aux intentions de l’interprète. Capable de puissance comme de légèreté, son interprétation est très souvent touchante (en particulier son Mi tradi très réussi) même si, défaut minime, certaines attaques m’ont semblé un peu dures.

Le Leporello d’Adrien Fournaison est un être fragile, rêveur, dépassé et consterné par les débauches de Don Giovanni et enfermé dans sa fidélité contrainte. Cette très belle interprétation est servie par un style irréprochable et une très belle voix, parfaitement projetée, qui lui permet d’assumer pleinement et le drame et les ressorts comiques qui sont attachés à son personnage. Bel acteur, son registre de basse est superbe.

Dans le rôle-titre, Timothée Varon se révèle très à l’aise. La voix est ample, colorée, joue des nuances d’un timbre superbe qui sert idéalement l’incarnation de ce séducteur dont les entreprises tournent à la déroute tout au long de l’œuvre mais qui ne cessera de revendiquer sa liberté et son cynisme. Sa capacité à passer de l’air du champagne à la tendresse de la sérénade, des rebuffades qu’il subit et fait subir à cette peur fière et assumée face au Commandeur sont tout bonnement superbes et lui permettent de jouer et de chanter un Don Giovanni de très belle facture et de très haut vol.

Servie par un plateau et une direction exceptionnels, cette production a été ovationnée par un public enthousiaste. C’est pour moi une des meilleures productions du tant entendu Don Giovanni qu’il m’ait été donné de voir et d’écouter.



Publié le 25 nov. 2024 par Jean-Luc Izard