EEMERGING+ - Ambronay

EEMERGING+ - Ambronay © Bertrand Pichène - The WIG Society
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Explorations ! Le baroque, entre Moyen Age et classicisme

Comme chaque année, le Festival d’Ambronay offre l’occasion aux jeunes ensembles accompagnés dans le cadre du programme EEMERGING+ de présenter leur répertoire. Rappelons au passage qu’EEMERGING+ est un projet de coopération soutenu par l’Union Européenne pour favoriser l’émergence de nouveaux talents en musique ancienne ; il a pris le relais du précédent projet dénommé eemerging 2014 – 2018, dont nous avions eu l’occasion de croiser les bénéficiaires au cours de précédents festivals – voir nos chroniques de 2018 et 2019. Cette année, les deux ensembles présents couvraient deux périodes hors du champ baroque, avec d’une part des compositeurs postérieurs à la génération de Franz-Joseph Haydn (1732 -1809) et d’autre part des extraits médiévaux autour du mythe de Tristan et Iseut.

The WIG Society :
Trios sans basse

Le concert de l’ensemble The WIG Society débute par l’aimable Trio op.8 n°3 en ré majeur de Federigo Fiorillo. Il s’agit d’une « musique d’ambiance », qui a pour principale ambition de distraire ses auditeurs – ce qui correspond assez bien à tout un courant du répertoire musical baroque : on pense évidemment, dans un toute autre esthétique, à la « musique de table » française et à la Tafelmusik allemande. Agréable à l’écoute, cette musique n’est cependant pas aisée dans son exécution : l’Andate con variazioni multiplie les variations virtuoses, dans lesquelles Matteo Gemolo témoigne avec brio de la maîtrise technique de son traverso.

Au terme de l’exécution du morceau (et dans un français quasiment sans accent), Matteo Gemolo présente la démarche qui a conduit son groupe à se pencher sur ces morceaux issus du répertoire viennois du XVIIIème siècle. Le choix de trios sans basse (continue) est lié à une circonstance de la vie de l’ensemble, l’absence de la claveciniste suite à sa maternité. De cette contrainte momentanée, l’ensemble a voulu faire une opportunité, en se penchant sur des compositeurs moins connus balançant entre la tradition baroque et l’héritage moderne de Joseph Haydn.

Le second morceau présenté est une œuvre de Carl Philipp Stamitz (1745 – 1801). Celui-ci est l’un des fils du violoniste et compositeur Johann Stamitz (1717 – 1757), originaire de Bohême et l’un des fondateurs de la célèbre Ecole de Mannheim, qui composa de nombreuses symphonies. La sonate n°6 en do majeur de son fils se distingue par une réelle volonté d’expressivité, toutefois un peu corsetée à notre sens par un certain formalisme.

Franz Christoph Neubaur (ou Neubauer, 1760 – 1795) est un compositeur un peu plus tardif, né en Bohême et qui fit carrière essentiellement en Allemagne (il se rendit également à Vienne). Son trio op.3 n°3 en do majeur comporte une série de mouvements assez courts, qui s’achève sur la reprise finale d’un des mouvements. Là encore l’ensemble démontre une bonne maîtrise technique, ainsi qu’une évidente complicité dans les enchaînements, salués par les applaudissements du public. Précisons encore que ce jeune ensemble vient d’enregistrer son premier CD (Gallant Night Fever) sous le label Outhere.


© Bertrand Pichène – ApotropaïK

ApotropaïK :
La harpe, le philtre et l’épée (Aux racines médiévales du mythe de Tristan et Iseut)

L’entrée depuis le fond de la salle Monteverdi de Clémence Niclas, lançant a cappella les premières paroles du Quan vei la lauzeta mover de Bernart de Ventadorn, ne manque pas de panache ! D’autant qu’elle se saisit dans la foulée d’une flûte, pour enchaîner dans la foulée, accompagnée de la vièle et du luth, sur la joyeuse estampie médiévale du Chominciamento di gioia (l’estampie est une danse médiévale ancienne, attestée dès le XIIème siècle, au rythme rapide). Ces deux morceaux sont vivement applaudis.

Clémence Niclas présente ensuite le thème du concert, consacré au mythe de Tristan et Iseut, à travers une série de morceaux médiévaux dont la plupart sont restés anonymes. Le lai D’amours vient mon chant et mon plour, particulièrement expressif, a charmé nos oreilles (le lai est un poème chanté se rapportant à un épisode d’une légende, en particulier dans le cycle de Tristan). Clémence Niclas nous résume ensuite brièvement l’évolution de l’intrigue : un autre chevalier tente de séduire Iseut, Tristan le provoque en duel… Le lai D’amour viennent li dous penser s’avère musicalement plus développé, il mêle parties instrumentales (luth et vièle) et passages vocaux a cappella.

Dans le madrigal italien Di novo è giunto, de Jacopo da Bologna, l’interprète enchaîne avec dextérité passages chantés et airs joués à la flûte. Changement d’atmosphère et déchaînement de fureur avec le Lai du Voir disant, qui conspue dans une ironie grinçante « le plus mauvais roi qui soit » : le répertoire médiéval n’était pas fait que des chansons d’amour, comme vient le rappeler cette charge politique, dans laquelle les instrumentistes se déchaînent avec malice ! Retenons encore le long et volubile Lamento e Rotta, lancé par la flûte basse au son triste peu à peu soutenue par la vièle puis par le luth, qui précède l’adresse d’amour sincère et fidèle d’Iseut à son amant (A vous, Tristran, ami verai). Applaudis avec enthousiasme, les jeunes interprètes reprennent en bis l’allègre Chominciamento di gioia. Le groupe vient également de sortir son premier CD (Bella donna).



Publié le 29 sept. 2023 par Bruno Maury