Ensaladas - Cantoria

Ensaladas - Cantoria © Bertrand Pichène
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De rafraîchissantes salades

Nous avions déjà croisé l’ensemble Cantoria en 2019 dans cette même salle Monteverdi de l’abbatiale d’Ambronay pour un concert consacré aux ensaladas de Mateo Flecho El Viejo (1481 – 1553) et de ses contemporains (voir notre compte-rendu). Rappelons qu’une ensalada (« salade ») est une polyphonie qui mêle musique savante et chants populaires, airs profanes en castillan et paroles sacrées en latin, danses, thèmes sérieux et comiques ; elles peuvent être entrecoupées d’onomatopées qui renforcent leur caractère réaliste. Les ensaladas étaient très populaires dans l’Espagne du XVIème siècle. Les interprètes de Cantoria s’attachent à « assembler leurs voix pour trouver leur son », à se laisser « porter par les émotions du texte » et à rechercher « la souplesse intérieure des mots », comme le précise le programme du concert.

La composition de l’ensemble a un peu varié par rapport à celui du concert de 2019. Si le ténor Jorge Losana et la soprano Inés Alonso sont toujours présents, l’alto Oriol Guimera a remplacé Samuel Tapia, et la basse Oriol Quintana a succédé à l’excellent Valentin Miralles. L’ensemble s’est enrichi de trois instrumentistes : Joan Segui à l’orgue, Marc de La Linde à la viole et Jeremy Nastasi à l’archiluth. L’ensemble manifeste une complicité évidente, indispensable dans cette musique où l’accompagnement instrumental doit se plier aux nombreuses inflexions de rythme imposées par le chant. Comme dans ses précédents concerts, Jorge Losana prend soin de nous présenter les morceaux du programme, dans un français rendu chantant par la langue de Cervantès.

Le concert s’ouvre sur un joyeux Gloria, qui célèbre la Nativité, lancé avec force par Oriol Quintana. Jorge Losana nous précise avec humour que le second morceau, El Jubilate, se rapporte à une bataille remportée par l’Espagne contre la France : rires assurés dans l’assistance ! Les voix sont soigneusement appareillées, l’effet d’ensemble toujours flatteur. Les chanteurs démultiplient dans leurs attitudes, leurs expressions du visage, la théâtralité des paroles. Inès Alonso se taille un beau passage solo (Non fai el cavalier), dans lequel elle incarne la Vierge avec une grande douceur d’expression, avant un tutti enlevé.

Après un court passage instrumental d’Antonio Cabezón, retour aux ensaladas avec un bouillonnant El Fuego, audacieuse parabole dans laquelle le feu incarne le péché, dont les paroles balancent entre description réaliste d’un incendie et morale chrétienne, entrecoupées de nombreuses onomatopées qui ponctuent le récit. Le public y adhère sans réserve par des applaudissements nourris.

S’intercale à nouveau une pièce instrumentale, cette fois de Luis de Narváez, Diferencias sobre ’’Guardame las vacas’’, dans laquelle on note l’agilité du doigté de Marc de La Linde sur les cordes de sa viole. Jorge Losana lance d’une apostrophe joyeuse El Toro, autre parabole religieuse dans laquelle le taureau incarne Lucifer. Après les mâles incantations destinées à abattre le taureau, Inès Alonso entame de sa voix cristalline le chant d’une bergère amoureuse. Là encore, le mélange de religiosité et de réalisme pastoral s’avère tout à fait savoureux.

La Guerra constitue également une parabole, mélange de récit guerrier aux onomatopées qui suggèrent la musique militaire et de combat contre les hérésies. On y frémit aux attaques incisives de l’archiluth de Jeremy Nastasi, bien audibles dans cette formation restreinte. Une ensalada particulièrement appréciée du public – l’une des plus attachantes du programme, selon nous – qui est récompensée par de chaleureux applaudissements.

L’intermède instrumental de Diego Ortiz, Recercada Quarta sobre La Folia, nous offre l’occasion d’apprécier la chaude sonorité de l’archiluth, avant qu’il ne soit rejoint par la viole (elle aussi grattée a mano) et par l’orgue de Joan Segui.

Le concert se conclut par deux ensaladas de Mateo Flecha El Viejo. La Justa décrit un combat chevaleresque imaginaire pour le salut de l’humanité, qui oppose Lucifer et Adam, ce dernier soutenu par différents saints. Adam ayant été mis à terre, c’est Dieu en personne qui vient mettre fin au combat ! Le récit, réaliste et palpitant , est ponctué de nombreuses onomatopées. Il s’achève sur des paroles latines qui célèbrent la gloire de Dieu : Laudate Dominum omnes gentes/ Laudate eum omnes populi. Là encore, un morceau très apprécié du public.

La dernière ensalada est un classique de ce genre : La Bomba nous décrit les efforts désespérés de marins pris dans la tempête, qui jettent leur cargaison par-dessus bord, affaissent les voiles et écopent sans fin. Quand leur navire coule, ils ont la chance d’être récupérés par un autre navire, à bord duquel ils chantent leur salut heureux. Le texte comporte une invitation à jouer pour les musiciens, habilement mise en scène par le groupe : les chanteurs donnent leurs instructions d’accord à Marc de La Linde et Jeremy Nastasi, qui jettent avec malice tout d’abord quelques notes complètement fausses, avant de s’accorder ! Un petit numéro parodique lui aussi fort goûté du public...

Après les applaudissements et les rappels, Cantoria nous offre une dernière ensalada (No quiero ser monja – Je ne veux pas être nonne), lancé par Inés Alonso et reprise par le groupe.

Pour les amateurs intéressés par ce répertoire, rappelons que Cantoria a enregistré récemment un CD intitulé Ensaladas, qui reprend nombre des pièces mentionnées dans ce programme, aux Editions Ambronay (voir également le site de l’ensemble).



Publié le 11 oct. 2023 par Bruno Maury