Franco Fagioli, l'incontestable don

Franco Fagioli, l'incontestable don ©Julian Laidig
Afficher les détails

Remplaçant un concert Bejun Mehta, ce concert de Franco Fagioli était évidemment très attendu... Dernière coqueluche du monde baroque et, au-delà, du monde lyrique (il est le premier contre-ténor à signer chez Deutsche Grammophon...), Fagioli est un phénomène : une étendue de tessiture de trois octaves, des aigus rayonnants, des notes de passage impeccables, une virtuosité vertigineuse et une capacité hors du commun à habiter ses personnages, littéralement incarnés.

Andrea Marcon et le Venice Baroque Orchestra ne livrent pas une prestation indigne mais on aurait souhaité plus d'expression, plus de couleur avec cet interprète-là. Ces défauts sont trop audibles dès que l'orchestre est privé de la fougue de Fagioli et notamment sur les tempi lents. Mais l'ensemble conserve malgré tout quelque chose d'élégant, de gracieux et de nuancé qui ne leur fera véritablement défaut que dans l'ouverture de Veraccini qui n'est pas en place, notamment les bois, et qui, au demeurant, n'est pas inoubliable. Seule, la Follia de Geminiani sera empreinte d'une dimension plus intériorisée et sera d'ailleurs ovationnée par le public.

De Fagioli, on ne peut que constater l'excellence. A chaque spectacle auquel j'assiste, j'ai l'impression qu'un nouveau talent s'est ajouté, laissant tous les autres intacts. Le programme négligeait plutôt les grands airs de virtuosité qui ont fait le succès de Fagioli et dans lesquels il excelle. Le souffle est toujours aussi long, la projection lui permet de remplir sans problème une salle qui est plutôt de grande taille. Mais surtout, ce qui reste très marquant, c’est la capacité de Fagioli, s’appuyant sur une somptueuse palette de couleurs, à exprimer toute la diversité des sentiments de l’opéra baroque.

Le don est incontestable et saisit la salle dès les premières notes de la cantate « Cessate, omai cessate ». Par la suite, tous les airs seront chantés dans un profond silence, qui se prolongera comme un écho après la dernière note de chaque aria. Le noir cheminement de l’interprète pendant la cantate qui ouvre le concert est bouleversant. Alternant aigus lumineux et mezza voce susurrée, Fagioli s’essaie même à des pianissimi. Somptueux ! Le « Mentre dormi » est interprété sur un tempo très lent qui met en valeur l’incroyable longueur de souffle de F Fagioli et est proprement à pleurer. Le « Nel profondo » marquera un retour à la virtuosité avec une interprétation très ornementée, très enlevée, dans lequel l’interprète « pousse » littéralement un orchestre un peu mou.

En deuxième partie, le « Scherza Infida » sera un autre moment d’anthologie, cette fois soutenu par l’accompagnement délicat de l’orchestre, et mettra en évidence la richesse et la sensibilité du matériau vocal. Clôture du programme avec un « Doppo Notte » pyrotechnique et éblouissant.

En dépit de l’enthousiasme du public, F Fagioli n’accordera qu’un seul bis. Mais avec « Crude Furie », quel bis !

Au-delà de ce qui fut une soirée mémorable et qui restera probablement inoubliable à ses spectateurs, et au-delà du talent et de l’engagement d’un artiste aux dons incontestables, qu’il me soit permis de regretter, d’une part, que F Fagioli n’utilise pas sa notoriété pour nous faire découvrir en concert des arias rares (de ce point de vue, le programme vocal de ce soir était une collection de « hit ») et, d’autre part, qu’il nous ait concocté un programme un peu court (5 arias seulement au programme) qui aurait mérité d’être un peu mieux complété que par un seul bis…



Publié le 27 oct. 2015 par Jean-Luc IZARD