Rossini - Fagioli

Rossini - Fagioli ©Julian Laidig
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Bel canto barroco

Le propos de Franco Fagioli est soutenu par son enthousiasmant enregistrement Rossini chez DG. Nourri à l'esprit baroque le contre ténor argentin ressuscite des œuvres rares et, surtout, joue jusqu'au bout sur l'ambiguïté en reprenant, en tant qu'homme doté d'une voix culminant dans les hauteurs de la tessiture, des rôles d'hommes écrits pour des femmes. De ce point de vue, si le pari est osé, il n'est pas aberrant puisqu'il boucle le parcours de confusion des sexes caractéristique de l'opéra baroque. De même, si Rossini n'a pratiquement pas écrit pour des castrats (ses seules œuvres écrites pour castrat sont Aureliano in Palmira en 1813 - pour Velluti- et la cantate Il vero omaggio en 1822), il avait évidemment ses voix et leur esthétique dans l'oreille. Il n'en demeure pas moins qu'il privilégiera les altos féminins probablement en raison de l'évolution des goûts du public et de l'importance de la scène française dans sa carrière (France qui n'avait jamais particulièrement apprécié les castrats). Rossini vit donc le crépuscule de l'ère des castrats et y contribue par les distributions de ses œuvres. De fait il est quasi contemporain du dernier grand castrat, Giambattista Velluti (1780 – 1861), et il raconte lui même que sa voix d'enfant faillit lui valoir la castration.

Le propos est d'autant plus séduisant que l'on sait que Franco Fagioli n'a pas été initialement formé au baroque mais à l'école du bel canto le plus traditionnel et le plus exigeant (porté par l'ISA du Colón de Buenos Aires dont il est issu).

Et de fait, dès la première note, l'aisance de Fagioli dans ce répertoire est patente. La technique est parfaite, la voix superbement maîtrisée sur toute l'étendue d'une tessiture remarquable. Le plaisir de chanter est également une évidence et le public ne peut qu'être saisi par une époustouflante virtuosité et le soin extrême apporté à l'ornementation : les vocalises sont aisées, les changements de registre précis et d'un naturel confondant, le trille souverain, le vibrato différencié autant que nécessaire. Plus encore que la technique, l'usage qui en est fait est stupéfiant, tant l'adéquation avec l'effet recherché sur chaque note est sans cesse quasi parfait.

Agrément rare, sur les six arias qu'il chantera, deux ne font pas partie de l'enregistrement. La soirée s'ouvre sur des extraits de Demetrio et Polibio, premier opéra écrit par Rossini, encore étudiant. Si le caractère un peu scolaire de l'instrumentation ne rend pas vraiment justice au talent du compositeur dans l'ouverture, les immenses qualités de Fagioli sont totalement exposées dans les deux arias qui suivent. L'émission est claire et l'aigu rayonnant dans Pien di contento in seno ; dans Perdon ti chiedo o padre, l'interprétation est juvénile et les piani pianissimi filés superbes. Seule entorse au programme rossinien, la Sinfonia de la cantate Ulisse agli Elisi de Mantzaros (compositeur de l'hymne national grec), est d'inspiration très rossinienne et très plaisante à l'oreille. Si l'oeuvre ne m'a pas semblé immortelle, elle offre à l'Armonia Atenea l'occasion d'une belle prestation. La première partie s'achève avec Mura felici... de La donna del lago, aria dans laquelle Franco Fagioli déploie d'incroyables couleurs et une longueur de souffle étonnante. Les variations pour clarinette qui ouvrent la seconde partie sont un moment particulièrement léger et agréable dans lequel Spiros Mourikis exécute une très belle prestation en dehors d'une ou deux notes d'une justesse très approximative. Le Dolci d'amor parole... qui suit, air alternatif de Tancrède, s'ouvre avec le violon très inspiré de Sergiu Nastasa et s'enchaîne sur une interprétation d'une grande virtuosité soutenue par une longueur de souffle quasi invraisemblable et une technique de respiration d'anthologie. C'est avec l'ouverture de Torvaldo e Dorliska que l'Armonia Atenea atteint son meilleur moment de la soirée, avec un entrain rossinien communicatif. C'est avec le Eccomi alfine in Babilonia de Semiramis que se conclut le programme : pari risqué car exposé à la comparaison sur un tel tube. Et pari tenu. L'interprétation de Fagioli est une des plus belles qu'il m'ait été donné d'entendre.

A la tête d'un Armonia Atenea en grande forme, George Petrou fait le choix d'une énergie baroque revigorante dans Rossini. La lecture des partitions est particulièrement analytique, les masses orchestrales sont très équilibrées et les solistes bénéficient d'une attention et d'un soutien permanent. La complicité musicale et esthétique avec Fagioli est évidente et contribue à la réussite de ce concert.

Pour conclure la soirée, Franco Fagioli revient pour une aria extraite d'Eduardo e Cristina (La pieta che in sen serbate...) toujours aussi époustouflant de maîtrise et de beauté, avec des nuances de vibrato surprenantes, et même si, après les cinq grandes scènes qui ont précédé, la fatigue fut perceptible à une ou deux reprises. Comme un défi à cette fatigue, c'est sur un suraigu rayonnant, d'une grande clarté et au superbe vibrato que Franco Fagioli termine son air et s'abandonne, avec un plaisir non dissimulé, à l'enthousiasme d'un public conquis.



Publié le 08 nov. 2016 par Jean-Luc Izard