Farinelli - Vivica Genaux - Concerto de'Cavalieri

Farinelli - Vivica Genaux - Concerto de'Cavalieri ©Arsenal/Cité musicale de Metz - JS.SD
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Il est des soirs où l’enfermement ne pèse nullement malgré la clémence exceptionnelle du climat et la chaleur estivale de ce 19 avril ! Chose peu commune en Lorraine…
Dans la grande salle de l’Arsenal de Metz se tenait un concert rendant hommage au plus grand chanteur du XVIIIème siècle, Farinelli. Ce nom nous remémore celui du film éponyme réalisé par Gérard Corbiau en 1994 consacré au castrat italien Carlo Broschi (1705-1782), plus connu sous le nom de Farinelli. Pour l’anecdote, la partie instrumentale du film a été enregistré à l’Arsenal en juillet 1993, sous la direction de Christophe Rousset avec son ensemble Les Talens Lyriques.

Le castrat tire son nom de scène par déférence à ses mécènes, une riche famille de magistrats napolitains, les Farina. Pour l’époque, son cursus est somme toute assez classique. Il est formé notamment par le maître napolitain Nicola Porpora (1686-1768). Habile compositeur, il écrit quelques pièces instrumentales et vocales parmi lesquelles Ossequioso ringraziamento per le cortesissime Grazie ricevute nella Britannica Gloriosa Nazione, dall’umilissimo et obbligatissimo Servo Carlo Broschi FarinelloMusica del Medesimo – (Londres, 1737). Hommage à sa chère Angleterre, théâtre de sa gloire ! Il maîtrise avec art l’ornementation, la composition jouant en particulier sur les cadences, les altérations rythmiques, etc. Au crépuscule de sa vie, il s’adonne au clavecin et à la viole d’amour.
Farinelli brille sous les ors des plus grandes cours européennes où il est adulé. Mais son empreinte vocale « atypique » suscite des jalousies telle celle de son grand rival, Gaetano Caffarelli dit Caferrelli (1710-1783).
En 1843, Farinelli inspira le compositeur français Daniel-François-Esprit Aubert (1782-1871) et le librettiste Eugène Scribe (1791-1861) pour le personnage de leur opéra La Part du diable (1843). Maintes fois romancée, la vie du castrat est devenue une véritable légende…

Ce soir, la légende prend de nouveau vie sous la voix de Vivica Genaux accompagnée de l’ensemble Concerto de’ Cavalieri dirigé par Marcello Di Lisa.
Le programme mêle avec parité des pièces vocales accompagnées et des pièces purement instrumentales, toutes composées par les plus grands maîtres des XVIIème et XVIIIème siècles.

Au nombre de cinq, les œuvres instrumentales permettent d’établir précisément la virtuosité des musiciens. Ces derniers ouvrent le concert par le Concerto grosso Op. 6 N. 4 en ré majeur d’Arcangelo Corelli (1653-1713). L’Adagio, interprété allegro, se montre pétillant. La légèreté de glisse des archets s’impose dans les phrases musicales complexes. Quant à l’Adagio au caractère vivace, il souligne le jeu argumenté du claveciniste Salvatore Carchiolo qui s’immisce avec tact dans le phrasé des violons I (Fabio Ravasi, Beatrice Scaldini, Marialuisa Barbon et Alessia Pazzaglia) et II (Luca Giardini, Giancarlo Ceccacci, Pietro Meldolesi et Heike Wulff). L’exécution est empreinte de douceur, de suavité. Mené de manière cantabile par le maestro, l’Allegro conclusif pose clairement la pierre de la perfection. Les accents servent admirablement les nuances. Les gestes du chef n’accusent aucun effet de manche superflu. Tout est millimétré. Cependant cette précision ne nuit en rien au plaisir de l’écoute attentive.
Suit l’Ouverture de Rinaldo, opéra écrit par Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Le gai Largo jouit lui aussi d’une interprétation soignée. Soulignons le doux son de la flûte tenue par Rebecca Ferri (qui tiendra également le violoncelle concertino). Le doigté est expert virevoltant dans une succession ininterrompue de notes. Le langage volubile prône une musicalité hors pair aux effets bien présents. Les mêmes compliments peuvent être adressés au second extrait, l’Adagio.
Les trois mouvements (Allegro, Adagio, Allegro) du Concerto pour violons en sol majeur, RV 156, d’Antonio Vivaldi (1678-1741) permettent aux instrumentistes de rendre honneur à la musique du Prêtre roux. Le deuxième mouvement laisse planer une certaine sensibilité voire même une once de mélancolie inscrite dans le sillage des archets.
La Sinfonia de La caduta de’ decemviri d’Alessandro Scarlatti (1660-1725) révèle le son ouaté de la contrebasse (Roberto Stilo), le jeu affirmé des violoncellistes (Rebecca Ferri et Gioele Gusberti) et le trait agréable du clavecin.
La dernière pièce instrumentale n’est autre que le Concerto grosso Op. 6 N. 2 en fa majeur d’Haendel. La battue caresse l’air. Les instrumentistes restituent cette douceur par leur interprétation élégante. L’Allegro porte au firmament le violon solo. Fabio Ravasi développe un toucher gracile. Quelle pureté !
Lors de ces cinq pièces, un instrument a joué plein rôle et ce tout en discrétion, l’alto de Gian Claudio Del Moro. De son seul instrument, il sonne tout autant que le pupitre réuni des violons I & II. Occupant un rôle plutôt harmonique par rapport aux violons (rôle mélodique), il lie les différentes voix. L’alto laisse moins de place à l’erreur qu’au violon. Nous avons apprécié le son, le vibrato ample et large.

Mais que serait ce concert d’hommage au célébrissime castrat sans une voix humaine ? Certes, il faut une part de folie pour affronter le légendaire Farinelli ! La mezzo-soprano américaine Vivica Genaux ose relever le défi.
D’entrée, elle interprète le « tube » Caro sposa, air de Rinaldo dans l’opéra éponyme d’Haendel. L’inflexion est délicate tenant en haleine la plainte émouvante de Rinaldo. La construction du son est pensée avec efficacité. Le voile du palais se trouve en position base offrant aux trémolos un tissu soyeux. L’articulation s’accomplit sur les trois registres (grave nourri, médium en pleine voix et aigu puissant). Il ne fait aucun doute que la mezzo-soprano jouit d’un large spectre sonore. Hors de tout costume d’apparat, elle campe, en version concertante, un Rinaldo convaincant. Elle est tout autant douce et pénétrante à la fois. Notons un vibrato bien (ou trop…) présent ! La balance entre la soliste vocale et les instrumentistes est parfaite, soulignée par l’acoustique exceptionnelle de l’Arsenal.
Puis, la mezzo interprète l’aria Son qual nave d’Artaserse de Johann Adolf Hasse (1699-1783), opéra composé en 1734 à Londres en collaboration avec Riccardo Broschi (1698-1756), frère du castrat. Cet aria nous laisse un avis partagé. Scrutons ses positions labiales notamment le « flottement » de la mâchoire inférieure très mobile. Les consommes et voyelles sont parfaitement structurées. Les résonances du conduit phonique constituent sa signature vocale. Les trilles apparaissent réguliers dans leur forme (rondeur) et leur force. Les gruppetti jouissent d’une éblouissante clarté. En musique, un gruppetto (en italien, petit groupe), est un ornement mélodique prenant la forme d’un dessin mélodique de trois ou quatre sons tournant autour de la note principale et faisant apparaître les deux notes voisines (supérieure et inférieure). Quant à la respiration, elle s’effectue par l’ouverture des côtes flottantes, respiration intercostale diaphragmatique (communément appelée respiration abdominale). La mezzo maîtrise les variations. Toutefois, la vocalisation torrentielle dans d’infinies fioritures (ornements) pourrait nuire au texte, à la prosodie. Les nombreuses difficultés techniques de l’aria gomment le naturel que nous pourrions attendre dans l’expression musicale. C’est d’ailleurs la seule et unique réserve que nous émettrons.
D’un ton recueilli, Vivica Genaux incarne l’humilité nécessaire au Salve Regina de Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736). La profondeur des graves et le riche médium s’illuminent dans des teintes de clair-obscur (chiaroscuro si cher aux peintres de l’époque) où les aigus filés viennent éclairer le chant. Le charme vocal opère de nouveau.
L’apothéose vocale est atteinte avec les deux derniers airs chantés. L’immortel Lascia ch’io pianga (Rinaldo, Haendel). L’intonation est magnifique. La voix est rayonnante de pureté. Un seul mot : SUBLIME ! Et en tombeau, l’air d’Idaspe de Riccardo Broschi clôt le concert. Vivica Genaux joue avec une facilité déconcertante sur les différents registres. Son excellente gestion du souffle alimente le feu sacré brûlant sur le brasero des trilles. La mezzo pose son chant par de longues caresses vocales. Ses lèvres oscillent rapidement. Quelle maîtrise !

Aussitôt la dernière note s’emparant de la salle, les applaudissements et les acclamations fusent avec vigueur. Les nombreux rappels ont eu raison de notre soif inassouvie. La mezzo-soprano nous offre un bis exquis : Agitata da due venti, extrait de Griselda de Vivaldi. Eclatant…



Publié le 01 mai 2018 par Jean-Stéphane SOURD DURAND