Les Fêtes d’Hébé - Rameau

Les Fêtes d’Hébé - Rameau © Vincent Pontet
Afficher les détails
Une mise en scène décevante

Les Fêtes d’Hébé est un opéra ballet comportant un prologue et trois « entrées », successivement intitulée La Poésie, La Musique et La Danse. Il s’agit du deuxième opéra-ballet de Rameau, après Les Indes Galantes (1735). Si le livret est tout à fait mince et a valu de très nombreuses critiques à l’œuvre lors de sa création, celle-ci fut néanmoins, à raison de la musique particulièrement inventive, un très gros succès, repris de façon régulière et fréquente jusqu’en 1777, période qui voit le triomphe de Gluck. Les représentations du XVIIIème siècle ont atteint le nombre de 260, faisant de cet ouvrage le plus joué des succès de Rameau à l’époque, devant Les Indes Galantes. Puis ce fut l’oubli jusqu’au XXème siècle qui connut quelques tentatives de reprises de l’œuvre qui ne suffirent pas à réimposer celle-ci sur les scènes lyriques.

Selon la mythologie grecque, Hébé, déesse de la jeunesse, est disgraciée pour avoir renversé le nectar des dieux. L’opéra de Rameau nous montre donc Hébé quittant l’Olympe pour s’établir sur les bords de la Seine où, en son honneur, les habitants donnent trois fêtes successives consacrées chacune à l’un des arts illustrés par l’opéra à la française, à savoir la poésie, la musique et la danse.

La mise en scène de Robert Carsen est décevante. Certes mettre en scène cet opéra-ballet relève de la gageure tant l’argument est mince et décousu. Mais le choix d’une unité de temps et de lieu est un contresens historique et stylistique car l’opéra ballet a précisément pour objet de varier le spectacle en variant les décors et les affects. Si l’idée de transposer les bords de Seine au Paris contemporain, et plus particulièrement à Paris Plage, semble a priori séduisante, le manque d’inspiration de la mise en scène fait vite tourner tout cela à vide, soulignant cruellement la vacuité de cette vision. Comment, par exemple, justifier que le roi de la première entrée soit un agent de police, alors que le personnage dispose de pouvoirs considérables sans rapport avec ceux de l’agent qu’il nous est donné de voir ? Surtout comment justifier ce match de foot qui colle – très mal – aux accents guerriers de la deuxième entrée, qui nous parle de guerre, de sang et de carnage… On a du mal à suivre l’action tant la mise en scène est totalement déphasée avec la musique (et cette distribution de médaille qui n’en finit plus sur une musique pourtant superbe…). De ce propos décousu, superficiel et somme toute très convenu, ne surnage qu’une très bonne direction d’acteurs. De même, si les danseurs et danseuses sont très présents tout au long de l’œuvre et si leurs prestations sont parfaitement honorables, les différentes chorégraphies manquent par trop d’audace et d’inventivité pour contrebalancer une mise en scène faible.

Lea Desandre est présente sur scène tout au long de la représentation, interprétant les trois personnages principaux des trois entrées, Sapho, Iphise et Eglé. Elle est très investie dans sa prestation, et si son chant peine un peu à caractériser Iphise, elle est remarquable en Eglé dans la troisième entrée.

Anna Vieira Leite est tout à fait convaincante en Amour/ Vénus, devenue une influenceuse un peu vulgaire qu’elle prend à l’évidence beaucoup de plaisir à incarner.

Emmanuelle de Negri est, en Hébé, un des atouts de cette production tant son sens musical, ses qualités de comédienne et sa maîtrise de la technique et du style requis par cet opéra à la française sont excellents.

On retrouve les mêmes qualités chez Marc Mauillon (Momus et Mercure) qui brûle littéralement les planches en Mercure dans la troisième entrée dans laquelle sa présence écrase le reste du plateau.


Marc Mauillon, Anna Vieira Leite et Lea Desandre © Vincent Pontet

Renato Dolcini semble préférer le jeu un peu lourd et caricatural à une incarnation plus en finesse de ses personnages. En difficulté en outre avec la tessiture, il devient assez monotone et irritant en Tyrtée tant le jeu est répétitif et passe au 1er plan. De même Cyril Auvity manque un peu d’autorité et de projection en Lycurgue qu’on aurait souhaité plus « royal ».

En Eurilas et Alcée, Lisandro Abadie montre un style et une technique éprouvés ainsi qu’une diction irréprochable, comme d’ailleurs l’ensemble de la distribution. Antonin Rondepierre qui joue le rôle de Thélème a été pour moi une belle découverte. La voix de ténor est saine, le timbre très élégant et très frais et il confère une présence incontestable à son personnage. Le Fleuve de Mathieu Walendzik est également une belle démonstration de la bonne santé du chant français.

Le Chœur des Arts Florissants est tout à fait exceptionnel tant dans sa capacité à se couler dans des ambiances et des incarnations très différentes les unes des autres que par son engagement scénique dans une mise en scène qui le sollicite beaucoup jusqu’à l’intégrer aux ballets. Ses interventions sont toutes fort réussies et éveillent l’intérêt.

Reste William Christie, célébré sur tous les tons à l’occasion de son 80ème anniversaire. Malheureusement la direction, comme la prestation de l’Orchestre des Arts Florissants, est fort inégale. Si les très belles sonorités sont évidemment présentes avec des couleurs souvent exceptionnelles, les dynamiques sont monotones, les nuances très formelles et certains tempi très ralentis donnent à la musique de Rameau un aspect un peu languide… Heureusement les ballets sont superbement exécutés avec un enthousiasme intact.

Au total, et malgré les applaudissements très nourris du public de l’Opéra-Comique, j’ai trouvé l’ensemble un peu ennuyeux, un peu suranné, un peu vain. Seule la troisième entrée, dans laquelle l’orchestre et Lea Dessandre sont excellents et où brille le Mercure de Marc Mauillon, m’a semblé atteindre au niveau d’intensité qu’appelle la musique de Rameau.



Publié le 26 déc. 2024 par Jean-Luc Izard