Les Fêtes d'Hébé - JP. Rameau

Les Fêtes d'Hébé - JP. Rameau ©Jacques Duffourg-Müller
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Jeunes talents, à la Fête !

Les Fêtes d'Hébé, créées le 21 mai 1739 à l'Académie Royale de Musique, sont le deuxième opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau, quatre années après Les Indes Galantes. À rebours de ces dernières, la postérité ne s'est guère montrée généreuse : l'œuvre n'a pas même bénéficié de la relative « Rameau Renaissance » observée avant le renouveau baroque du XX° siècle. Seule semble documentée une tentative d'exhumation – sans lendemain – effectuée à Lyon en 1964. Ce simple contexte dit assez l'importance de la résurrection que propose, à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille, une équipe internationale, pour l'essentiel franco-britannique, réunissant l'Académie de l'Opéra National de Paris, le Centre de Musique Baroque de Versailles et le Royal College of Music de Londres.

En un prologue et trois « entrées » sur fond de vicissitudes sentimentales antiquisantes, l'argument est la célébration des trois ressources majeures des arts de la scène lyrique française ; dans l'ordre, la Poésie, la Musique et la Danse. Chacune a ainsi droit à son son action autonome, avec deux divertissements chantés-dansés et leur lot de chaconnes chaloupées et tambourins tressautants. Ces trois disciplines sont par ailleurs réunies sous le vocable de Talens Lyriques, valant sous-titre : voilà où Christophe Rousset est allé chercher le nom de son ensemble. D'un certain point de vue, sous le prétexte d'une récréation galante de la meilleure veine, ces Fêtes constituent ainsi un manifeste esthétique... velléité peu surprenante à bien y réfléchir, de la part d'un théoricien tel que Rameau.

La musique en est fort belle, même s'il n'est nullement besoin d'être ramiste chevronné pour y déceler un léger fléchissement de l'imagination mélodique – débordante et bigarrée – concourant au génie des Indes. Le compositeur a néanmoins truffé sa partition de pièges, requérant une grande virtuosité, tant de la part de l'orchestre que de celle des chanteurs confrontés à quelques airs ou ariettes redoutables. Curieusement, tandis que le prologue (où le personnage d'Hébé est partagé avec celui des Indes) et la première entrée éprouvent quelque difficulté à dérouler un fil conducteur excitant, les deux entrées suivantes scellent un net regain d'inspiration. La toute dernière conclut même en apothéose, autour d'un air pyrotechnique de Mercure, L'objet qui règne en mon âme.

L'exigu Amphithéâtre Bastille, dédié aux créations de l'Académie de l'Opéra, soumet le metteur en scène et chorégraphe à un singulier défi. Entre les six danseurs, les onze chanteurs et les nombreux choristes, savoir évoquer, si ce n'est reconstituer, le luxe d'un opéra-ballet de l'Ancien Régime, cela a tout du parcours du combattant. Thomas Lebrun s'en est plutôt bien sorti. Quelques briques blanches sont autant de piédestaux empilables et modulables, seul élément de décor devant un fond tout aussi blanc, utilisé comme écran vidéo : c'est suffisant pour structurer cet espace ténu sans l'encombrer. Les costumes, chatoyants voire flashy en seconde partie, avec des clins d'œil au music hall, n'en ressortent que mieux.

En dépit de tenues souvent ridicules, ou de gestes d'automates pouvant prêter à sourire, trois danseurs et trois danseuses très sollicités parviennent par leur agilité, leur endurance et leur synchronisme à apporter un semblant de panache chorégraphique. Ce n'est pas un mince exploit.

Sous l'angle du chant, il y a là aussi mainte occasion de se réjouir, certaines des jeunes pousses formées par l'Académie n'ayant presque plus rien à envier aux artistes du « circuit ». Les accessits tiendront à une plus grande maîtrise technique, une plus grande adéquation au style, et bien sûr à une plus grande aisance sur scène : à ce jeu, l'Espagnol Juan de Dios Mateos et le Russe Mikhail Timoshenko se distinguent expressément. Le premier régale surtout sous les atours du Mercure précité, emploi de haute-contre à chausse-trapes qu'il surmonte avec prestance ; tandis que la basse sonore du second ne fait qu'une bouchée du Qui te retient, Lacédémone ? de Tyrtée, dans l'entrée précédente. Et côté dames, la Guatémaltèque Adriana Gonzalez fait valoir en Sapho comme Iphise (entrées I et II) un magnifique matériau, très ample et expressif, conduit avec beaucoup de noblesse.

Complimentons encore la soprano colombienne Julieth Lozano, la soprano française Pauline Texier, le baryton polonais Thomasz Kumięga et le baryton britannique James Atkinson, jamais déméritants dans leurs rôles ou apparitions diversement développés.

Tous ont en commun une prononciation française digne d'éloges : efficacement entraînés et exercés, ces jeunes venus du monde entier sont si intelligibles et percutants que – fait assez rare dans notre langue pour être signalé – il n'est plus besoin, au bout de quelques minutes, de suivre le bandeau de surtitrage. Atout également revendiqué par le chœur, que composent avec beaucoup de cohésion les Chantres du CMBV fidèles à leur renommée, et des membres du Royal College of Music. L'infatigable Olivier Schneebeli obtient de son escouade binationale une ductilité impressionnante, particulièrement adéquate dans les séquences de liesse et de pompe dont les Fêtes d'Hébé ne sont pas avares. Ces talentueux choristes s'acquittent en outre correctement des gestuelles et mimiques dont le chorégraphe les a chargés.

Deux cent quarante-sept ans après la dernière représentation parisienne, ce spectacle cosmopolite aurait pu faire date s'il avait été servi par un orchestre baroque de meilleure tenue que celui du Royal College. Ni ses cordes ni son percussionniste ne sont pourtant à blâmer. Ni même Jonathan Williams pour ses qualités intrinsèques de chef, d'autant plus appréciables qu'il n'a pas la partie facile, à mi-gradins, pour galvaniser de front sa phalange disposée en escalier tout au bout du côté cour, et l'ensemble du plateau auquel il tourne partiellement le dos. Le continuo non plus n'est pas en cause, bien que le clavecin n'y soit presque jamais audible.

En revanche, les bois (bassons exceptés) et les cuivres semblent s'y défier en un concours de bévues, canards et autres couacs ; cela sur une telle durée, avant et après entracte, qu'il ne peut s'agir d'un accident. Faut-il que le reste de la production ait souvent su nous offrir le meilleur, pour que notre souvenir ne pâtisse pas trop d'une pareille sortie de route.



Publié le 25 mars 2017 par Jacques Duffourg-Müller