La finta pazza - Strozzi

La finta pazza - Strozzi © Gilles Abegg
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A l’origine d’une longue tradition d’échanges lyriques entre la France et l’Italie

Sacrati est non seulement un compositeur, mais aussi un impresario qui a organisé des tournées de ses opéras à travers toute l’Italie. La Finta Pazza, opéra crée en 1641, connut un immense succès à Venise, probablement dû à la présence d’une chanteuse particulièrement célèbre (Anna Renzi) et à un dispositif de machineries très spectaculaire. L’œuvre joue un rôle particulier dans l’histoire de l’Opéra. Pour l’Italie, et pour Venise, on en est au tout début de la « démocratisation » de l’opéra qui, depuis quelques années, est un spectacle payant qui se joue dans des théâtres publics et non plus seulement un spectacle de Cour. Mazarin fera venir cette Finta Pazza à Paris, pour divertir le tout jeune Louis XIV (il a sept ans) et ce sera ainsi le premier opéra joué en France (1645) et le début d’une longue tradition d’échanges lyriques entre la France et l’Italie.

La partition, retrouvée en 1984 sous la forme d’une édition faite pour Plaisance, confirme l’importance de l’œuvre dans la construction de l’opéra avec l'apparition de ce qui deviendra des poncifs du genre : scènes de sommeil, folie feinte, arrivées maritimes, duo amoureux, gynécée vaguement orientalisant, etc. Le livret est intéressant, certains dialogues sont d’une délicieuse cruauté et la construction du personnage de Deidamia est particulièrement moderne. Si celle-ci feint la folie pour apitoyer Achille c’est moins pour le retenir par sentiment amoureux que pour le contraindre à assumer son rôle social d’époux et de père.

La mise en scène de Jean-Yves Ruf (voir également la chronique de la création de cette production à l’Opéra de Dijon en 2019, dans une distribution légèrement différente) est d’une simplicité bienvenue, le plateau se modulant avec draps et rideaux mais faisant des clins d’œil à l’esprit de machineries de la création avec ses dieux et vertus volants. Cette mise en scène garantit la fluidité d’une œuvre qui privilégie le récitatif et l’action théâtrale, ne laissant aux arias et ensembles qu’une part minoritaire, même si les duos amoureux sont superbes et les ensembles particulièrement beaux. Cette mise en scène ne parvient pas toujours à captiver le spectateur moderne dans ces longues scènes d’exposition mais son efficacité est certaine et elle sert scrupuleusement ce beau travail de résurrection d’une œuvre importante.

En Deidamia, Mariana Flores est très convaincante. Le timbre s’épanouit totalement dans cette musique et le livret lui permet de faire briller ses talents d’actrice. Le rôle semble écrit pour elle tant elle semble à l’aise sur toute la tessiture et dans les passages de virtuosité. L’énergie qu’elle met à une incarnation toute en nuances et très subtile de son héroïne est tout à fait remarquable.

Face à elle, l’Achille de Filippo Mineccia est tout aussi convaincant. Il parvient à incarner avec la même facilité, et sans aucune vulgarité, le jeune homme travesti en fille caché dans le gynécée et le viril guerrier grec. Le timbre est toujours aussi beau, teinté d’accents virils et la voix parcourt la partition avec une aisance déconcertante et une projection puissante, parfois presque trop pour l’acoustique de l’Opéra royal.

Les deux amoureux malheureux de Deidamia sont interprétés par Valerio Contaldo (Diomède) et Salvo Vitale (Il Capitano). Le premier est impeccable de style et son timbre chaleureux pare le personnage de beaucoup de charme et d’élégance. Le second, voix large et puissante, est tout aussi convaincant même si certains graves, particulièrement profonds, ont manqué de résonance.

En Ulysse, Gabriel Jublin assume sa partie avec détermination mais le chant manque souvent de nuances, dans un rôle dont l’écriture n’est à vrai dire pas très enthousiasmante. Le roi Lycomède d’Alejandro Meerapfel est moins impliqué dans son personnage et a manqué de projection, ce qui est assez singulier dans un théâtre à l’acoustique aussi favorable.

Le duo comique formé par l’eunuque de Kacper Szelążek et la nourrice de Marcel Beekman recueillent en revanche tous les suffrages. Présence scénique remarquable, sens comique indubitable et qualités vocales certaines, servies par de beaux timbres.

Alexander Miminoshvili surmonte les deux incarnations de Vulcain et de Jupiter avec beaucoup d’engagement et une voix aux belles qualités de souffle et de rondeur des graves. La voix claire de Norma Nahoun est plus convaincante en Minerve qu’en Renommée (était-elle gênée par sa suspension aérienne ?), Julie Roset est aussi séduisante en Aurore qu’en Junon dans lesquelles la fraîcheur du timbre et l’aisance des vocalises font merveille. En revanche, Fiona McGown était un peu en dessous dans ses interprétations de Thétis (et de la Victoire).

La Cappella Mediterranea était dans une formation riche privilégiant bois (deux cornets), cordes pincées et percussions. Cette composition de l’orchestre donnait à entendre des sonorités et des couleurs particulièrement riches voire parfois légèrement inhabituelles. La direction de Leonardo García Alarcón était passionnante, dans un souci permanent de la musicalité, de la théâtralité et des équilibres.

Le public s’est montré très enthousiaste saluant ce retour de La Finta Pazza par de longs et très nourris applaudissements.



Publié le 10 déc. 2022 par Jean-Luc Izard