La Flûte enchantée - Mozart

La Flûte enchantée - Mozart © Monika Rittershaus : Magnus Dietrich (Tamino) ; Rainelle Krause (Reine de la Nuit)
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Un opéra tout en décalages...

La Flûte enchantée (Die Zauberflöte) n’est plus à présenter : c'est un singspiel, opéra parlé et chanté (version allemande de l’opéra-comique français) en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, créé en 1791 au Freihaustheater de Vienne. Le livret a été écrit par Emanuel Schikaneder. L'œuvre, qui dure environ trois heures, compte parmi les opéras les plus connus au monde et les plus souvent mis en scène. Ses arias les plus connus sont familiers même à ceux qui n'ont jamais vu l'opéra. Comme il est facile d'accès, il est parfois mis en scène de manière à s'adresser spécifiquement aux jeunes spectateurs, comme il est à soupçonner ici dans la mise en scène de Yuval Sharon. Grâce au principe de contraste largement développé, l'opéra illustre très bien l'esprit de l'époque du classicisme viennois. D'abord présenté sous l'aspect coloré et chatoyant d'une farce magique, l'opéra se tourne de plus en plus, au fil de l'action, vers la proclamation sérieuse d'idéaux et de traditions maçonniques.

Dans le premier acte, le jeune prince Tamino est envoyé par la Reine de la Nuit pour sauver sa fille Pamina, qui a été enlevée par le prince Sarastro. L'oiseleur Papageno est placé aux côtés de Tamino. Des trois dames de la Reine de la Nuit – jusqu'ici amicales – Tamino reçoit une flûte enchantée et Papageno un carillon magique. Tous deux se mettent en route pour libérer Pamina. Papageno trouve Pamina dans le royaume de Sarastro et lui annonce que Tamino, amoureux, est parti à sa rescousse. Ils veulent s'enfuir pour aller à la rencontre de Tamino, mais rencontrent Monostatos, le gardien en chef de Sarastro, auquel ils échappent grâce au carillon. Pendant ce temps, Tamino atteint le temple de la sagesse de Sarastro, où il apprend que Sarastro ne poursuit que de bonnes intentions, ce qu'il n'accepte pas facilement. Tamino tombe entre les mains de Monostatos, qui l'emmène comme prisonnier chez Sarastro. Monostatos est puni par Sarastro, Tamino et Papageno sont conduits dans le temple des épreuves et séparés de Pamina.
Au début du deuxième acte, Sarastro souhaite que Tamino soit ordonné prêtre du temple de la sagesse et explique que lui, Sarastro, a enlevé Pamina pour la protéger de la méchante Reine de la Nuit, qui veut également détruire le temple. Tamino et Pamina sont faits l'un pour l'autre, et il y a aussi une Papagena pour Papageno. Mais ils devraient auparavant passer trois épreuves : La maturité, la discrétion et la fermeté. Tamino et le timide Papageno se soumettent aux épreuves, mais Papageno échoue dès le début et ne peut plus accompagner Tamino. Pamina, en revanche, peut continuer à suivre son Tamino ; avec l'aide de la Flûte enchantée, ils réussissent les deux dernières épreuves. Papageno, désespéré, est réuni avec Papagena grâce à son carillon magique. La Reine de la Nuit tente un raid sur le temple, mais elle est détruite avec Monostatos et d'autres alliés. Tamino et Pamina sont finalement admis ensemble dans le cercle des initiés par Sarastro.

Dès l’ouverture, l’ambiance fut posée par le Staatsoper : des enfants jouant à un théâtre de marionnettes, ce qui donne une mise en abîme, et nous prépare à cette mise en scène concernant des personnages sous forme de pantins… Ou pas ? En effet, Tamino apparaissant comme un pantin lors de son premier air et se détachant de ses liens à la fin de l’opéra tendrait à nous le faire interpréter comme tel. Cependant, Sarastro en a ou non suivant les scènes, alors qu’il est sage et donc n’est pas supposé être manipulé. Cela donne un premier décalage, qui nous fait questionner le sérieux du symbolisme dans cette mise en scène. Les couleurs très vives des décors tout au long de l’opéra, l’emphase sur le ton léger de celui-ci ainsi que parfois la présence d’enfants sur scène ou disant les textes parlés nous font clairement comprendre que le public cible sont ici les enfants. Cependant, il est plutôt choquant de constater que les trois Dames se trouvent toujours dans un grotesque vaisseau en forme de mamelles (voir photo), de même les trois Enfants (drei Knaben) se trouvent dans des sortes de pyjamas à fourrure et ont un vaisseau avec des bouteilles de gaz multicolores assez ridicules. Ceci donne un deuxième décalage, renforcé par le fait que voir les chanteurs gesticuler sur scène alors que nous entendons leur texte parlé avec des voix off d’enfants… puis parfois sans aucune justification par les adultes sur scène, a quelque chose de gênant. Ensuite, la mise en scène est très simpliste avec un minimum d’éléments de décors et d’accessoires : ainsi, aucun élément visuel n’empêche Papageno de parler/chanter lors du premier acte, et il faut bien connaître l’opéra pour comprendre ce qui se passe sur scène à ce moment-là. Plus choquant encore : la flûte enchantée de Tamino (qui donne tout de même son nom à l’opéra) est remplacée par un jouet en forme de roquette et le carillon magique de Papageno par des espèces d’énormes boules de Noël. Nous n’évoquerons pas le malaise dû à ce choix d’accessoires, ni le décalage engendré pour le symbolisme – qui est piétiné allègrement dans toute cette mise en scène – et la compréhension de certaines scènes, ou ces objets sont nommément évoqués. De façon bien plus grave, il se trouve aussi des décalages musicaux – parfois de plusieurs secondes – à répétition entre l’orchestre et les chanteurs : six lors du premier acte, sept lors du second… Et ce sans compter le final, où il y en eu toutes les dix secondes en moyenne...


© Monika Rittershaus : Clara Nadeshdin (1ère Dame) ; Natalia Skrycka (2ème Dame) ; Anna Kissjudit (3ème Dame) ; Florian Hoffmann (Monostatos) ; Rainelle Krause (Reine de la Nuit)

Ceci est d’autant plus dommage que tous les chanteurs furent magnifiques, avec notamment Magnus Dietrich livrant une interprétation bouleversante de Dies Bildnis ist bezaubernd schön. Florian Hoffmann, sous les traits d’un Monostatos en robot noir gigotant, nous livre une interprétation très amusante de son personnage, bien qu’elle ait dû être pour lui très exigeante au niveau physique. René Pape campait un Sarastro souverain, Victoria Randem une Pamina toute en délicatesse, notamment dans son air Ach, ich fühl’s, tandis que Roman Treckel en Papageno et Regina Koncz en Papagena nous ont offert un duo truculent, et la belle performance toute en légèreté de Rainelle Krause en Reine de la Nuit est à souligner. Les performances de l’orchestre de la Staatskapelle Berlin et du chœur Staatsopernchor furent aussi à la hauteur de la pièce.

Pour ce qui est de la direction musicale, on aurait préféré un Giuseppe Mentucia ayant moins le nez dans sa partition, notamment lors des moments intenses ou requérant du doigté. Ainsi, son réflexe consistant à plonger dans la partition lors de plusieurs points d’orgue est directement à relier aux décalages constatés lors de ceux-ci. Il est à noter à son crédit cependant qu’il a lui-même joué le carillon (de Papageno) depuis la fosse d’orchestre.


© Monika Rittershaus : Magnus Dietrich (Tamino) ; Figurant du Staatsoper

C’est ainsi une production qui, malgré les défauts inhérents à la direction et la mise en scène, pourra éventuellement satisfaire les plus jeunes auditeurs et constitue non une interprétation de valeur, mais une introduction très superficielle à ce chef-d’œuvre de Mozart.



Publié le 10 avr. 2023 par Gabriel Beauvallet-Bauchet