Speed Dating - Ensemble Hemiolia & Compagnie de danse Sofaz

Speed Dating - Ensemble Hemiolia & Compagnie de danse Sofaz ©Claire Lamquet (Ensemble Hemiolia) et Aziz El Youssoufi (Compagnie Sofaz) © Laure Baert - Festival de musique baroque et sacrée de Froville (54)
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L’Ame de l’art …

Dans le recueil de prose intitulé Océan daté de février 1854, Victor Hugo (1802-1885) définit l’art comme étant « le reflet que renvoie l’âme humaine éblouie de la splendeur du beau. »
Nous pourrions penser communément qu’être artiste est un statut assez simple à atteindre. Cependant, il serait trop aisé de céder à cette première pensée, axiome dénué de toute réflexion ou raisonnement… Un artiste, quel que soit son domaine de prédilection, doit posséder une âme profonde et réceptive à la lueur de la beauté. Et c’est bien ce dont nous sommes témoins aujourd’hui.

Le Festival de musique baroque et sacrée de Froville (Meurthe & Moselle – Festval de Froville), dont les mérites et bienfaits ne sont plus à conter, a convié l’ensemble Hemiolia et la compagnie de danse Sofaz pour présenter la fantaisie burlesque On n’est pas des pantins ! Spectacle à destination du jeune public, mais pas uniquement…
En raison du forfait pour blessure, à quelques jours de la représentation, de l’un des danseurs, ils n’ont pu donner la version initialement programmée. Etant artiste au sens noble du terme, ils ont rebondi instantanément par amour de leur passion respective et du public en créant pour le festival un nouveau spectacle. Première création mondiale dans notre cher petit village lorrain ! Un peu de chauvinisme ne nuit nullement à la santé !
Nous assistons à Speed Dating, un rendez-vous où le burlesque s’unit subtilement à la poésie musicale. La rencontre est organisée et minutée entre deux artistes. L’un danseur, l’autre musicienne.

Composé de quatre cubes aux faces multicolores, d’un étui blanc de violoncelle, d’un clavecin au ton chêne clair et de son coffre de rangement noir, le décor se veut minimaliste presque dépouillé. De tous petits riens pourrions-nous dire… Mais ce décor, réduit à sa plus simple expression, laisse place au talent incommensurable des deux artistes.
Drapé d’une tenue blanche en lin, le danseur Aziz El Youssoufi entre seul en scène. Il déambule paisiblement lorsqu’il s’arrête brusquement devant un cube en bois rouge écarlate et bleu céruléen. Il l’observe et s’assied dessus. Ses mains s’animent et frappent le caisson tel qu’il le ferait avec des percussions. L’objet résonne, il en émane un rythme aux consonances orientales. S’emparant entièrement de la scène, son corps s’imprègne de mouvements issus du Hip-hop. Le danseur le confie volontiers. « La danse Urbaine est l’expression de l’âme sous toutes ces facettes à travers les mouvements du corps. La danse Hip-hop est un Art et ce qu’on donne au public, c’est beaucoup de nous à travers cette énergie positive qui vient de la rue. »
Sous l’apparente facilité – supposée tant le talent ne résulte que d’un travail long et minutieux -, il communique avec nous sans prononcer aucun mot. Il transcende l’instant dans le silence le plus absolu. Est-ce l’Art à l’état pur ?


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Aziz El Youssoufi (Compagnie Sofaz) et Claire Lamquet (Ensemble Hemiolia) © Yann Jenny Audio - Festival de musique baroque et sacrée de Froville (54)

Cette sérénité est « troublée » par l’entrée en scène de la violoncelliste Claire Lamquet. D’une posture olympienne voire sérieuse, elle rompt le mutisme des gestes et des pas de danse. Elle égraine, en clé de fa, les premières notes du prélude de la Suite 1 en sol majeur BWV 1007 de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), extraite du recueil des Six suites pour violoncelle seul (BWV 1007 à 1012).
Sol – ré – si – la, si – ré – si – ré, notes écrites en ligatures de doubles croches et répétées une seconde fois avant de laisser place au développement du prélude. Tout amateur ou non de musique baroque les reconnaît aisément voire instantanément grâce à l’interprétation émouvante de Mstislav Leopoldovitch Rostropovitch (1927-2007) ou bien celle, incarnée, de Héloïse Gaillard. L’émotion nous étreint au point où des perles de rosée embrument nos yeux... Le jeu de Claire Lamquet est somptueusement dense et charnel. Les tirés et poussés de l’archet sont à l’image de la respiration humaine : naturelle et douce. La « respiration » n’est vouée qu’au but ultime de la violoncelliste : celui de l’expression sonore tout en lui conférant une âme. Observons la vitesse et la pression de l’archet ou bien encore la position de la mèche. Aucune faiblesse ne les affecte, ne les fait trembler. Le point de résonnance est parfait, relevant le caractère harmonique de la pièce.


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Claire Lamquet (Ensemble Hemiolia) © Laure Baert - Festival de musique baroque et sacrée de Froville (54)

Pendant cet instant de félicité musicale, Aziz El Youssoufi s’impatiente... Ses doigts, ses mains et ses bras se nourrissent des courbes mélodiques de la musique. Son corps suit les entrelacs « lamquetiens » du violoncelle. Comme deux forces opposées mais qui s’attirent, le danseur et la musicienne s’échangent des regards soit d’impatience pour le premier, soit d’exaspération pour la seconde en mimant le fameux mouvement du rasoir... Aziz saisit l’étui du violoncelle et en sort une capeline écrue ainsi qu’une veste blanche. Il les revêt. L’effet comique est atteint juste par sa bonhomie. Il nous invite à frapper en rythme tout en se dirigeant vers deux enfants, assis au premier rang, afin qu’ils lui tapent dans les mains. Là encore, l’échange est né de ses facéties. Bien souvent un geste en dit plus qu’un mot !


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Aziz El Youssoufi (Compagnie Sofaz) et Claire Lamquet © Laure Baert - Festival de musique baroque et sacrée de Froville (54)

Rejoignant la scène, il lance un défi à Claire, une sorte de « duel » à armes inégales : le cube en bois versus le violoncelle. Il percute le cube, elle joue. Pour avoir le dernier mot, le danseur se campe en position de chandelle inversée, tête en bas. Peine perdue ! Puis pensant stopper le chant du violoncelle, il se saisit des partitions. Aucun effet ! Face à cet échec, il les fait voler littéralement. Petits et grands enfants du public rient…
De manière impassible, la musicienne abreuve notre ouïe d’une douce mélodie au ton plaintif. Le ton mineur entraîne le danseur dans une succession de mouvements saccadés qui le conduisent à quitter la scène. Assis au premier rang, il écoute attentivement le monologue d’improvisations de la violoncelliste sur les Suites. Derechef, elle tire profit de son instrument. Apprécions les nombreux modes de jeu. Cordes frottées ou cordes pincées (pizzicato). Doubles cordes (deux cordes jouées en même temps) ou trémolos dont l’écart maximal est d’une tierce du fait de la taille de l’instrument. Son feutré (grâce à la sourdine) venant sublimer les harmoniques (son très faible réalisé grâce à la résonnance d’une corde contre l’archet). Nous ne pouvons que reconnaître sa prestance artistique et musicale. L’art semble l’habiter. Un face à face sincère se noue entre la musicienne et son public. Rare instant de symbiose dont il faut jouir pleinement. Pendant cette monodie instrumentale, Aziz tente d’attirer notre attention. A la manière d’un marionnettiste, il anime les bras d’un petit en calquant la musique.

Profitant du retour sur scène d’Aziz, Claire quitte son violoncelle pour s’installer au clavecin. La musique qui en émane, rompt avec le discours baroque jusque-là entendu. C’est un célèbre ragtime sur un tempo de two-step (danse dérivée de la polka) qui résonne dans l’espace : The Entertainer (c’est-à-dire L’Artiste ou L’Amuseur) composé par le pianiste américain Scott Joplin (1866-1917). Musique à la popularité mondiale grâce à l’adaptation du compositeur Marvin Hamlisch (1944-2012) pour la musique du film The Sting (L’Arnaque) en 1973, de George Roy Hill (1921-2002). « Surfant » sur la mélodie, Aziz essaie de déplacer à grand peine le coffre de transport du clavecin. Remarquons son changement de tenue…


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Claire Lamquet (Ensemble Hemiolia) et Aziz El Youssoufi (Compagnie Sofaz) © Yann Jenny Audio - Festival de musique baroque et sacrée de Froville (54)

Après cet interlude comique, chacun rejoint sa place initiale. Mais le calme n’est que de courte durée. Suivant les circonvolutions baroques du violoncelle, Aziz tente de rentrer dans l’étui de l’instrument. N’y parvenant pas, il s’assied contre Claire, dos à dos, disparaissant presque totalement derrière elle. Ses bras volent et battent comme les ailes d’un papillon. Jamais à court de pitreries, il se dresse derrière la musicienne. Là encore, il reprend le tour du marionnettiste. Il dirige la main tenant l’archet par un fil invisible. Imperceptible à l’œil mais ô combien symbolique ! Les deux arts sont unis pour la vie… Nous ressentons la poésie souhaitée par les artistes. Moment de grâce extrême !


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Claire Lamquet (Ensemble Hemiolia) et Aziz El Youssoufi ( Compagnie Sofaz) © Yann Jenny Audio - Festival de musique baroque et sacrée de Froville (54)

Se saisissant d’un second archet, il mime le balancier de Claire. Ces quelques mouvements de balancier rappellent le côté éphémère du temps. L’heure est venue de se séparer. Dans un dernier sursaut d’énergie, il descend de son piédestal cubique. Ses pas perdent de leur vivacité. Accablé par le temps, il quitte les planches en se servant de l’archet comme d’une canne…

Durant une petite heure, Speed Dating a lié de petits riens entre eux pour en faire un spectacle unique et prégnant. L’intensité du moment n’a existé que par le talent de Claire Lamquet et d’Aziz El Youssoufi. Au-delà de la performance technique, ils nous ont entraînés dans une véritable communication. Leur intense face à face n’a pu être que salué par notre entière adhésion et par de chaleureuses ovations. Acte final du don de soi, Claire Lamquet a laissé les enfants toucher le clavecin. De quoi faire naître, espérons-le, de futures vocations.
La musique et la danse se sont mises au service de l’Art pour toucher notre âme…



Publié le 12 juin 2021 par Jean-Stéphane SOURD DURAND