Giulietta e Romeo - Zingarelli

Giulietta e Romeo - Zingarelli © Ian Rice
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Une résurrection réussie

Compositeur prolifique, Zingarelli a, entre autres, été le professeur de Bellini (qui écrira sur le même thème I Capuletti et I Montecchi en 1830) et de Mercadante. Sa musique fut particulièrement appréciée de Napoléon qui marqua une prédilection forte pour le Giulietta e Romeo. Typique du répertoire belcantiste napolitain, l’œuvre a connu un immense succès (le rôle de Roméo fut chanté par Maria Malibran par exemple) jusqu’au milieu du XIXe siècle, avant de sombrer dans l’oubli. Sa redécouverte est très récente puisqu’elle date de 2016, au Festival de Pentecôte de Salzbourg, avec Franco Fagioli en Roméo.

L’œuvre est souvent présentée comme une œuvre de transition, chef-d’œuvre du baroque napolitain agonisant et annonce du bel canto romantique qui va advenir sous peu. On retrouve en effet une ouverture digne d’un opera seria, des récitatifs délicats, un rôle principal attribué à un castrat, mais aussi des échos des ensembles instrumentaux de Gluck, des rôles de ténors qui annoncent le XIXe siècle, une héroïne féminine piégée dans un monde d’hommes, l’idéal d’un amour romantique voué à l’échec et à la mort et la grande scène du tombeau qui occupe dramatiquement tout un acte…

La mise en scène de Gilles Rico est très (trop ?) sage. Transposée en France, clin d’œil appuyé à l’affection de Napoléon pour l’œuvre et sous le Directoire, époque de la création de l’œuvre. Pour ceux qui n’auraient pas compris l’allusion, le costume de Roméo est une allusion directe au Bonaparte de l’époque (tout comme la perruque…). La tentative de mettre en avant les oppositions sociales et politiques largement décrite dans la note d’intention n’est pas vraiment perceptible en l’absence d’une direction d’acteurs, direction quasi inexistante qui nous amène vraiment à nous demander pourquoi personne ne tente de s’opposer au suicide public de Juliette... Les décors « à l’ancienne » de Roland Fontaine sont plutôt très réussis et les costumes de Christian Lacroix très beaux. Les lumières de Bertrand Couderc soutiennent avec bonheur le déroulement du drame.

Si on s’interroge parfois sur l‘intérêt de certaines « résurrections », rien de tel ici. La partition est très riche et très finement orchestrée. La diversité des ambiances est parfaitement rendue et la progression dramatique introduit une tension qui traverse toute l’œuvre. Stefan Plewniak rend pleinement justice à sa partition dont il souligne la pulsation interne, met en valeur les couleurs, la multiplicité des nuances et les phrasés, entraînant le jeune Orchestre de l’Opéra royal dans une interprétation particulièrement enthousiaste de cette partition. Tout juste regrettera-t-on une attention par moments un peu distraite quant aux équilibres des pupitres ou aux équilibres plateau-fosse.

Franco Fagioli incarne son Roméo avec bravoure mais il semble ce soir un peu en méforme et se montre beaucoup plus sobre que d’habitude. L’aigu est moins puissant, moins clair, les intervalles moins osés que souvent et les ornementations parfois presque timides ; la longueur de souffle reste impressionnante et la capacité à parsemer ses arias de notes poussées comme des soupirs est souvent assez bluffante mais la méforme de ce soir souligne aussi les défauts de cette voix, qui ne lui permet pas de nous émouvoir vraiment dans sa prière du II.

C’est Adèle Charvet qui rétablit l’ordre protocolaire (Le titre de l’œuvre est Giulietta e Romeo et non Roméo et Juliette comme l’affiche Château de Versailles Spectacle) en ne faisant qu’une bouchée du rôle de Giulietta, scéniquement comme vocalement, affrontant avec succès l’amplitude de l’écriture assez redoutable. La voix est puissante, ronde, le timbre mordoré lui permet des inflexions bouleversantes et elle semble se libérer peu à peu au cours de la soirée, ornant son chant de plus en plus et réalisant quelques trilles somptueux.

Très convaincant aussi dans le rôle de Gilberto, Nicolo Balducci déploie un timbre particulièrement brillant, beaucoup d’aisance dans l’aigu et dans une ornementions riche mais toujours de bon goût. Ajoutons à cela une vraie présence scénique, de réelles qualités d’acteurs et un art précis du récitatif : au total une très belle prestation.

Idem de Florie Valiquette qui, avec une grande présence scénique, s’empare de Mathilde avec une facilité dans la colorature mais aussi un medium qui a gagné en épaisseur et en souplesse.

Krystyan Adam a été décevant dan son rôle de père. Beaucoup trop sonore et ne maîtrisant pas la puissance de son émission, la richesse des nuances qu’il déploie ne permet pas de compenser un registre aigu qui se blanchit facilement et un jeu d’acteur, comme une interprétation vocale, qui sont souvent un peu caricaturaux. Valentino Buzza est beaucoup plus heureux dans le petit rôle de Théobald, dans lequel il déroule un art consommé du récitatif et parvient à faire montre d’un timbre séduisant.

Une très belle soirée au total et un retour espérons-le durable d’une belle œuvre au répertoire !



Publié le 27 oct. 2023 par Jean-Luc Izard