Gloire du baroque - Reyne

Gloire du baroque - Reyne © Eric Lambert
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Un voyage musical dans l’Europe Baroque

L’édition 2023 des Musicales de Montsoreau proposait comme chaque année un concert dédié à la musique baroque donné en ce 4 août 2023 dans la petite église de Montsoreau à quelques kilomètres au sud de Saumur. Construite du XIIIe au XVIIIe siècle dans l'ancien lit de la Loire aujourd'hui comblé, elle porte le nom de Saint Pierre de Rest, le saint patron des pêcheurs, rappelant ainsi que bon nombre de villages bordant la Loire vivaient autrefois de la pêche. Une belle distribution était proposée aux mélomanes (venus en nombre au point de provoquer une pénurie de chaises !) avec un ensemble composé de quatre musiciens au talent reconnu. En premier lieu, Hugo Reyne, chef d’orchestre et fondateur de la Simphonie du Marais, un ensemble bien connu des amateurs qui a hélas quitté définitivement quitté la scène baroque en 2020 après trente trois années d’existence. Mais il demeure avant tout un flûtiste de renom qui a choisi de reprendre une carrière solo après la disparition de l’orchestre qu’il dirigeait. Il a notamment par le passé collaboré avec les plus grands noms de la musique baroque que sont Gustav Leonhardt, Jordi Savall ou William Christie. A ses côtés, le claveciniste Mario Raskin qu’on ne présente plus (voir mon entretien avec ce musicien) et qui fut également conseiller artistique et fondateur de La Saison Musicale de Montsoreau (ancien nom des Musicales de Montsoreau), le violiste et violoncelliste Etienne Mangot qui a joué aux côtés de Pierre Hantaï, Aline Zylberajch, Céline Frisch, Hugo Reyne avec la Simphonie du Marais et bien d’autres, et pour finir, le théorbiste André Henrich, élève de Konrad Junghänel qui a collaboré avec Les Arts Florissants et la Simphonie du Marais. Par ailleurs, André Henrich a récemment signé un premier enregistrement solo consacré au compositeur et luthiste du XVIIe siècle François Dufaut. Bien qu’ils se connaissent depuis des années, c’était la première fois que Mario Raskin et Hugo Reyne étaient réunis sur scène pour un concert, avec un programme particulièrement intéressant présentant les principales facettes de la musique du XVIIIe siècle à travers des pièces françaises, italiennes et allemandes.


Frontispice des Suites de Pierre Danican Philidor

Le concert s’ouvrait avec le Premier concert royal de François Couperin, extrait d’un ensemble de quatre suites à la française composées en 1714 et 1715 pour être jouées devant le roi Louis XIV à Versailles, d’où leur nom. Chacun de ces concerts royaux est composé de manière classique avec un prélude suivi de danses, mais cette musique était avant tout destinée à l’origine à l’écoute et non à la danse. Cette première pièce a permis d’entrée d’apprécier ce bel ensemble constitué pour l’occasion à travers une interprétation irréprochable. Deux pièces jouées au théorbe seul composées par Robert de Visée suivaient aussitôt. Un Prélude et une Chaconne comptant parmi les pièces les plus connues de celui qui composa pour le luth, le théorbe et la guitare et enseigna la guitare au roi Louis XIV lui même : « mes pieces ont eû le bonheur d'estre escoutées favorablement de sa Majesté et de toute sa cour » écrit il dans la préface de l’une de ses publications.

De la musique française toujours avec cette fois un compositeur délaissé à tort et dont le nom évoque autant le jeu d’échecs que la musique. Issu d’une dynastie de musiciens descendant de Michel Danican ayant pris pour patronyme le surnom de Filidor donné par le roi Louis XIII, Pierre Danican Philidor est le neveu du musicien et compositeur le plus connu de la dynastie que fut André Danican Philidor dit « Philidor l’Aîné » et le cousin germain de François-André Danican Philidor dit « le Grand », compositeur lui aussi, grand joueur d’échecs et auteur d’un traité intitulé L'Analyze des Échecs qui fait encore autorité de nos jours. Cette Suite d’une écriture très conventionnelle a permis au public d’apprécier le son de la flûte à bec d’Hugo Reyne ainsi que sa maîtrise de la nuance, de la modulation et de l’ornementation. Elle a été enregistrée par François Lazarevitch et il est possible de l’écouter ici ).

Le voyage musical se poursuit ensuite en Italie avec l’un des plus emblématique représentants de la musique baroque qu’est Antonio Vivaldi, avec la sonate n°4 en si bémol majeur pour violoncelle et basse continue. Tandis que l’on jouait encore de la viole de gambe en France, le violoncelle s’était déjà imposé en Italie. A l’époque de Vivaldi, le violoncelle était avant tout un instrument d'accompagnement et de basse continue. Cependant, le compositeur italien s’est particulièrement intéressé à l’instrument, probablement au contact d’interprètes virtuoses de son entourage, en composant au moins dix sonates pour violoncelle entre 1720 et 1730, dont neuf manuscrits sont parvenus jusqu’à nos jours. Six d’entre eux sont conservés à la Bibliothèque Nationale de France dont celui de la RV 45 inscrite au programme de la soirée. Cette sonate a permis à l’auditoire de bien différencier le violoncelle de la viole de gambe, Étienne Mangot jouant des deux instruments. Elle a également permis d’apprécier ce dernier en tant que soliste jouant d’un fort bel instrument, très sonore et se détachant bien de l’ensemble, avec des rendus dans les pianissimos absolument étonnants. Après Vivaldi, Arcangelo Corelli et la sonate opus 5 n°4 qui compte parmi les œuvres les plus jouées du compositeur. D’une écriture très extravertie, elle comprend quelques passages extrêmement virtuoses notamment dans le premier Allegro (second mouvement) ainsi que dans le Vivace (troisième mouvement) qui ont bénéficié d’une fort belle interprétation. Cette sonate a fait par le passé l’objet d’un enregistrement mythique par le grand Frans Brüggen accompagné d’Anner Bylsma et Gustav Leonhardt.

La soirée se poursuivait avec la musique baroque allemande et ses trois principaux représentants : Georg Friedrich Haendel, Georg Philipp Telemann et Johann Sebastian Bach. La splendide sonate pour flûte à bec et basse continue composée en 1712 par Haendel alors qu’il était encore au service de l'Électeur de Hanovre (mais s’apprêtait à rejoindre l’Angleterre ou il terminera sa carrière) contient tous les éléments permettant de mettre en exergue l’immense talent de flûtiste d’Hugo Reyne, tout particulièrement le Presto final réellement époustouflant de virtuosité. Mario Raskin proposait ensuite une sonate pour clavecin seul qui constitue une pièce maîtresse de l’œuvre pour clavier de Haendel : la sonate HWV 433. Il a offert au public une interprétation à la fois subtile et sensible. La Fugue monumentale du second mouvement (Adagio) a été magistralement restituée, rappelant accessoirement que Bach n’était pas l’unique maître de l’écriture fuguée en son temps, de même que la Gigue finale interprété de main de maître... Cette sonate comptait parmi les pièces favorites d’un certain Gustav Leonhard… (à écouter ici). Venait ensuite une sonate de Telemann, considéré en son époque comme le meilleur compositeur d’Allemagne du Nord , et qui est accessoirement le compositeur le plus prolifique de toute l’histoire de la musique avec quelque six mille œuvres signées de sa main ! La sonate en trio TWV 42-B4, qui comprend des éléments de style très français, témoigne de l’intérêt que Telemann portait à la musique française. D’aucun prétendaient à son époque que personne d’autre que lui n'a écrit de la musique à la française de manière aussi parfaite. Dans une lettre à son ami et compositeur Johann Mattheson, il écrivait : « Je suis grand Partisan de la Musique Françoise, je l’avoue… » Son voyage à Paris fut d’ailleurs le seul voyage qu’accomplit Telemann dans sa vie. Cette sonate a été écrite en 1739, soit deux ans après son séjour à Paris. Les quatre musiciens présents ce soir ont fait le choix de fusionner deux versions de cette sonate afin de l’adapter à la formation instrumentale de la soirée. Le résultat fut particulièrement réussi, et quelques passages ont une fois de plus offert à Hugo Reyne l’occasion de montrer sa maîtrise parfaite de la flûte à bec, tout particulièrement dans le Vivace final littéralement fulgurant.

Enfin, difficile d’évoquer la musique baroque allemande sans inclure dans le programme une pièce de Bach, considéré comme un maître absolu, engagé à Leipzig par dépit après que Telemann ait décliné l’offre qui lui était faite ! C’est la sonate en trio pour flûte, viole de gambe et basse continue BWV 1039 qui était proposée ce soir. Le dernier mouvement de cette sonate existe également dans une version pour orgue (BWV 1027a). Composée à l’origine pour deux flûtes traversières et continuo, il s’agit de l’une des rares sonates en trio qui puisse être indiscutablement attribuée à Bach, d’autant plus qu’on la retrouve sous la référence BWV 1027 écrite cette fois pour viole de gambe et clavecin. Des recherches récentes ont établi qu’elle datait de la période de Leipzig. Choisir cette sonate en conclusion du concert fut une idée particulièrement judicieuse en ce sens qu’elle a permis de mettre en exergue l’univers musical unique de Bach, que l’on reconnaît d’emblée à la première écoute. L’ interprétation donnée ce soir était très équilibrée et mettait en avant les belles inventions mélodiques et harmoniques imaginées par le compositeur, avec encore une fois une mention toute particulière pour l’art de la nuance d’Hugo Reyne, avec entre autres des pianissimos étonnants.

Les quatre musiciens présents ce soir ont su communiquer leur passion pour la musique du XVIIe siècle, en témoignent les applaudissements enthousiastes du public. Le programme très pertinent, construit de façon presque pédagogique, a permis aux néophytes d’avoir un bel aperçu des différents aspects de la musique baroque, tout en ravissant les mélomanes avertis. Il a également permis à chacun des musiciens de pouvoir s’exprimer individuellement au fil de la soirée, et au public de découvrir chacun des instruments. Enfin, l’éclairage de la scène au moyens de bougies constituait également une excellente idée car l’écoute de la musique est toujours très différente en l’absence lumière ou en lumière réduite… et accessoirement, les projecteurs présentent en plus l’inconvénient de désaccorder les instruments par la chaleur qu’ils dégagent. Le Vivace de la sonate de Telemann donné en bis offrait une conclusion brillante à cet excellent concert.



Publié le 16 août 2023 par Eric Lambert