Orgue - Goussot

Orgue - Goussot © Eric Lambert
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Les oiseaux dans la musique, du baroque au contemporain

Samedi 19 août 2023, un concert d’orgue était proposé en l’église Notre Dame de Nantilly sise à Saumur dans le cadre de la douzième édition du Festival de la Dive Musique. Ce festival de musiques anciennes ancré dans le chinonais en Touraine se déroule principalement à Seuilly, village ou naquit François Rabelais à qui l’on doit cette fameuse expression passée dans le langage courant de « la Dive Bouteille ». Celle-ci provient de l’un de ses livres dans lequel Panurge déclame des louanges sur le vin qu'il décrit comme une boisson divine. Et cet adjectif peut totalement s’appliquer à la musique ; d’ailleurs, le rapport entre la musique et le vin pourrait même faire l’objet du thème d’un prochain festival, qui sait ?

Faute d’orgue vraiment adapté à la musique baroque aux alentours de Chinon, c’est donc la ville voisine de Saumur en Anjou qui a été choisie pour la troisième fois consécutive afin d’ offrir aux amateurs d’orgue de la région le plaisir d’entendre le plus ancien instrument des Pays de Loire (voir la notice).

Construit par le facteur d’orgue breton Pierre Le Helloco, cet orgue baroque de style français de trente trois jeux est doté d’un buffet du XVIIe siècle. Témoin exceptionnel de la facture d’orgue française durant le règne de Louis XIV, cet instrument fut achevé en 1690. Après avoir subi les assauts du temps et quelques « mises au goût du jour » pour le moins hasardeuses, il a été entièrement restauré durant les années 2015 et 2016 par le facteur Nicolas Toussaint, directeur de la Manufacture Bretonne d’Orgues de Nantes. Les jeux supprimés au XIXe siècle ont alors été fidèlement reconstitués, permettant ainsi à l’instrument de retrouver son état d’origine, et en particulier l’esthétique sonore qui était la sienne lors de son achèvement.


Orgue de l’église Notre-Dame de Nantilly de Saumur © Eric Lambert

Ce concert était donné par Paul Goussot, organiste mais aussi claveciniste, titulaire de l’orgue historique Dom Bédos de Celles de l’Abbatiale Sainte-Croix à Bordeaux. Professeur d’orgue au Conservatoire de Rueil-Malmaison, succédant à des professeurs particulièrement renommés tels Marie-Claire Alain et François-Henri Houbart, Paul Goussot s’est surtout fait remarquer par ses talents d’improvisateur, l’improvisation tient en effet une place de première importance dans son activité musicale. Lauréat de plusieurs concours internationaux, il est régulièrement invité dans de prestigieux festivals en Europe dont le Festival de la Roque d’Anthéron. Enfin, comme le montrera le programme du concert, il porte un intérêt tout particulier à la musique de Haendel, il a d’ailleurs enregistré plusieurs concertos pour orgue de ce compositeur avec l’Ensemble Zaïs dirigé par le claveciniste Benoît Babel.

Le programme débutait par un concerto pour orgue HWV 293 de Georg Friedrich Haendel retranscrit pour l’orgue seul, dans lequel on retrouve une belle évocation des chants d’oiseaux au moyen de jeux de flûte dans le troisième mouvement alla siciliana. Venait ensuite un Capriccio sopra il cucho de Girolamo Frescobaldi, l’un des représentants les plus marquants de l'école italienne d’orgue et de clavecin. Écrite dans un style radicalement différent, cette pièce est antérieure d’un siècle au concerto de Haendel. Elle s’inspire de toute évidence du chant des oiseaux, adroitement mis en évidence dans la registration choisie par Paul Goussot. Retour à Haendel avec un autre concerto pour orgue HWV 295 surnommé Le coucou et le rossignol en raison des thèmes ornithologiques utilisés dans son second mouvement, largement inspiré du Capriccio Cucu de Johann Kaspar Kerll. Ce Capriccio écrit par celui qui fut un élève de Frescobaldi figurait d’ailleurs fort logiquement juste à la suite dans le programme. On notera la grande originalité de cette courte pièce des plus étonnantes dans laquelle le chant caractéristique du coucou apparaît de manière récurrente au fil de la mélodie qu’il introduit et conclue. (à écouter ici).

Le Rappel des Oiseaux de Jean-Philippe Rameau, écrite à l’origine pour le clavecin et transcrite à l’orgue pour l’occasion, tenait lieu de conclusion au volet baroque du récital. Emblématique de son œuvre pour clavier, Le Rappel des Oiseaux est la première pièce de caractère écrite par le compositeur (une pièce de caractère ne porte pas le nom d’une danse, elle a vocation à évoquer quelque chose ou quelqu’un). Dans cette pièce hautement descriptive, ce sont les gazouillis des oiseaux ainsi que leur agitation frénétique qui sont dépeints à travers une musique pleine de vivacité dans laquelle on peut observer des répétitions obstinées, des chromatismes, des dissonances et des changements de modes. Paul Goussot a su restituer l’esprit de cette pièce maîtresse de l’œuvre de Rameau ; toutefois, force est de constater que le clavecin est bien plus à même de reproduire la légèreté inhérente à cette pièce, même si la registration choisie par l’organiste était parfaitement adaptée.

Mais le plus étonnant dans ce concert résidait dans la présence dans sa programmation d’une pièce de musique contemporaine. En effet, un orgue d’esthétique baroque n’est pas vraiment conçu pour ce type de musique qui requiert généralement un instrument de facture beaucoup plus moderne. Thème oblige, c’est par une pièce d’Olivier Messiaen intitulée Les oiseaux et les sources, extraite de sa Messe de la Pentecôte, que débutait ce second volet contemporain. Comptant parmi les compositeurs qui se sont le plus inspiré du chant des oiseaux pour écrire leur musique, Olivier Messiaen était par ailleurs un passionné d’ornithologie qui n’hésitait pas à dire : « Les oiseaux sont nos maîtres ». De par ses grandes connaissance en la matière, il savait reconnaître à l’oreille le chant de la plupart des espèces vivant en France et de ce fait, maîtrisait à merveille l'art d’utiliser et de transcrire leur ramage en musique sur l’orgue qui était, rappelons le, son instrument de prédilection. Cette pièce qui joue sur les couleurs sonores et les variations rythmiques intègre bien évidemment de nombreux chants d'oiseaux. Elle s’est révélée particulièrement intéressante sous les doigts de Paul Goussot, et au final, son exécution sur un orgue baroque ne lui a absolument rien ôté de son intérêt, bien au contraire.

Le concert s’achevait sur une série d’improvisations, le domaine de prédilection de Paul Goussot qui est renommé pour sa grande maîtrise technique et sa virtuosité. Cette improvisation sur La Prédication aux Oiseaux de Saint François d’Assise avait pour finalité d’illustrer la lecture d’extraits de la vie du Saint tirés du livre de Thomas de Celano lus par le père Alexandre Siniakov, recteur du séminaire orthodoxe russe d'Epinay-sous-Sénart, tout particulièrement connu pour ses travaux sur la relation à Dieu avec les animaux. Elle a permis au public d’apprécier au mieux les talents de Paul Goussot dans cet exercice réputé difficile au moyen duquel il s’est attaché à retranscrire en musique l’esprit du texte lu alternativement. Le concert a pris fin sur une courte et dernière improvisation sur le thème de l’horloge musicale marquant les heures avec des chants d’oiseau, une conclusion en forme de clin d’œil à Joseph Haydn et sa 101ème Symphonie. A travers un programme à la fois original et cohérent, ce concert a permis au public d’entendre des pièces peu jouées, voire inédites, contribuant une fois de plus à valoriser les qualités sonores de l’orgue de Notre de Dame de Nantilly.



Publié le 20 sept. 2023 par Eric Lambert