Hercules - Haendel

Hercules - Haendel ©Pedro Medeiros
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Amour et jalousie dans la Grèce antique

Cette année, le Festival Haendel de Göttingen est dédié à la Grèce, d'où sa devise « Hellas » ! En coproduction avec le Festival International de Musique de Hambourg, l’orchestre du Festival s'est déplacé en tournée sur l'Elbphilarmonie, maison de résidence de l'Ensemble Vocal NDR. Le morceau choisi était Hercules, l'oratorio de Georg Friedrich Haendel, d'après le mythique héros grec. C'est pourtant le profil psychologique d'une femme – Déjanire, la femme du héros – qui est au centre de l'ouvrage. Déjanire est rongée par la jalousie et la peur de l'abandon. Dans la version de Haendel, contrairement au mythe sur lequel elle est basée, son mari reste fidèle. Mais malgré cela, le destin suit son cours sous la forme d'une guerre conjugale.

Haendel a présenté son ouvrage à Londres non pas comme un oratorio, mais comme A New Musical Drama. Et ce nouveau drame musical devait être le clou de la saison 1745. Avant sa création, de nombreux solistes ont déclaré forfait – tombés malades l'un après l'autre, comme si le coronavirus avait existé à l'époque ! Malgré toutes les difficultés, la première a eu lieu. Mais ce fut un fiasco. Haendel a annulé toutes les représentations ultérieures et l'œuvre est rarement jouée à ce jour. Peut-être est-ce parce que l'oratorio – jusque-là inhabituel pour Haendel - comprend tant de douleur et de désespoir ?

Comme Semele, Hercules est généralement classé comme un oratorio (du latin orare), mais les deux œuvres invoquent les dieux gréco-romains et non le Dieu chrétien. Ce contenu mythologique plutôt que biblique conduit habituellement à une présentation scénique de ces deux œuvres. Tard dans sa carrière, en 1741, après l'échec de Deidamia (voir la chronique), Haendel avait abandonné l'opéra italien et se consacrait désormais aux œuvres en anglais, dans lesquelles le chœur, contrairement à l'opéra seria, joue un rôle central. Néanmoins, il reste fidèle à son schéma habituel et place le développement dramatique des personnages principaux au centre de ces œuvres, comme il le fera dans la plupart de ses oratorios à contenu biblique. Alors que Semele est au programme de cette année du Festival international Haendel de Göttingen en tant que production scénique, Hercules a été donné en version de concert à l'ouverture du festival dans l'église St. Johannis et quelques jours plus tard à l'Elbphilarmonie. On ne peut que s’étonner pourquoi cette œuvre n'a pas été un grand succès lors de sa création en 1745. Le concert donné à Hambourg avec un grand ensemble montre clairement que cela ne peut pas être dû à la qualité de la pièce.

George Petrou, le nouveau directeur artistique du Festival international Haendel de Göttingen, nous présente ce joyau baroque. A la tête du NDR Vokalensemble, du FestspielOrchester Göttingen, composé d'instrumentistes internationaux de haut niveau, et de solistes vocaux de premier ordre, Petrou éclaire d’un autre jour cet oratorio sombre mais magnifique. Son orchestre clair, complété d’un orgue qui apporte une touche sacrée dans la basse continue, illumine la nuit.

Vivica Genaux offre à Dejanira ses aigus brillants, et nous montre ici son énorme capacité d’adaptation aux situations variées auxquelles est confrontée l’héroïne. Dans son premier air, elle est l'épouse inquiète qui craint pour le retour de la guerre de son mari (The world, when day's career is run). La chanteuse originaire d’Alaska dépeint cette peur dans des tons sombres et doux, où perce la vulnérabilité, qui culmine ensuite dans des mélismes soigneusement articulés, véritable feu d'artifice baroque. Lorsque le messager annonce alors qu'Hercule est revenu victorieux, sa joie ne connaît pas de limites. Dans le grand air Begone, my fears, fly now, away, la mezzo célèbre sa réjouissance dans des coloratures effrénées. Mais leur bonheur est de courte durée. Quand elle voit la belle Iole, elle devient jalouse. Au troisième acte, lorsqu'elle s’aperçoit de la catastrophe qu'elle a déclenchée avec la tunique de Nessus, elle sombre dans la folie (Where shall I fly). Elle se joue des redoutables difficultés musicales et incarne cette scène de manière si vivante que le public l'applaudit régulièrement avec enthousiasme.

Le soprano pur d’Anna Dennis souligne l'innocence de la jeune Iole (dont un air est toutefois coupé dans cette production). Timide à l'acte I, elle ouvre l'acte II avec un très doux How blest the maid ordained to dwell, puis un aérien Adieu to peace, adieu to love. Elle reste également fidèle au caractère doux du personnage dans la dispute avec Déjanire (le duo Joys of freedom, joys of pow'r), de sorte que malgré toutes les souffrances qu'elle subit d'Hercule, elle se sent toujours désolée pour lui et sa famille. (Banish love from thy breast).

Dans le rôle de la messagère Lichas, Lena Sutor-Wernich est à l’aise dans son registre, malgré une diction anglaise perfectible.

Les solistes masculins sont également excellents. Andreas Wolf offre au rôle-titre son puissant timbre de baryton-basse, qui ne revient de la guerre qu'après les trois premiers quarts d'heure de musique avec The god of battle quitte the bloody field. Il évite délibérément les nuances différenciées et dépeint Hercule comme un dirigeant largement satisfait de lui-même, habitué à atteindre tous ses objectifs sans aucune difficulté (Alcides' name in latest story).

Dans le rôle d’Hyllus Nick Pritschard complète ce bel ensemble de solistes de sa voix suave de ténor, avec un impeccable accent britannique, détaillant avec précision chaque mot dans des airs comme Where congeal'd the north streams.

Comme il est de coutume pour un oratorio, le chœur est bien sûr d'une grande importance. L'ensemble vocal NDR, habituellement placé sous la direction de Klaas-Jan de Groot, témoigne d'une impressionnante homogénéité pour tantôt commenter l'action (O filial piety, O gen'rous love !) tantôt incarner la foule en liesse (Crown with festal pompe the day), récompensé par les applaudissements les plus sonores de la soirée. Un point culminant est bien sûr la célèbre pièce chorale Jealousy. Alors que George Petrou et l'Orchestre du Festival annoncent dans l'introduction du passage la infernal pest de la jalousie avec un jeu instrumental obsédant, le chœur aborde doucement et tranquillement les premiers accents, soulignant que la jalousie ne devient que peu à peu destructrice, développant son pouvoir qui conduit à la catastrophe. Le chœur le souligne ensuite dans un brillant crescendo. Ainsi, à la fin du chœur des Trachiniens (To him your grateful notes of praise belong), des applaudissements jubilatoires récompensent justement l’ensemble des interprètes.



Publié le 02 juin 2023 par Pedro Medeiros