Idoménée - Mozart
© WDR/ Thomas Kost Afficher les détails Masquer les détails Date: Le 17 nov. 2024
Lieu: Kulturzentrum de Herne. Concert donné dans le cadre des 49 Tage Alter Musik (49èmes Journées de la musique ancienne) de Herne
Programme
- Idoménée, roi de Crête, KV 366
- Dramma per musica en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), sur un livret de Giambattista Varesco, d’après Antoine Danchet
- Créé le 29 janvier 1781 au Residenztheater (théâtre Cuvilliès) de Munich
Distribution
- Sebastian Kohlhepp, ténor (Idomeneo)
- Mari Eriksmoen, soprano (Ilia)
- Anna Lucia Richter, mezzo (Idamante)
- Siobahn Stagg, soprano (Elettra)
- Zürcher Sing-Akademie :
- Sonja Bühler, soprano
- Jane Tilk, alto
- Florian Feth (Arbace) & Fabian Strotmann, ténors
- Frances Ortega Marti (Gran Sacerdote), Matija Bizjan (Voce di Nettuno) & Ekkehard Abele, basses
- Helsinki Baroque Orchestra :
- Flûtes : Paullina Fred, Ilkka Eronen
- Flûte piccolo : Torun Torbo
- Hautbois : Rodrigo Gutiérerez, Priska Comploi
- Clarinettes : Vincenzo Casale, Elia Bianucci
- Bassons : Jani Sunnarborg, Josep Casadellà
- Contrebasson : Katalin Sebella
- Cors : Krzysztof Stencel, Dániel Pálkövi, Aggelos Sioras, Alicja Rozwadowska
- Trompettes : Zoltán Kövér, Miikka Saarinen
- Timbales : Heikki Parviainen
- Violons I : Zefira Valova, Dora Asterstad, Antonio De Sarlo, Anni Elonen, Anna Gebert, Anssi Koskela, Aira Maria Lehtipuu, Irma Niskanen
- Violons II : Minna Kangas, Tiina Aho-Erola, Laura Hárs, Timo Holopainen, Kaisa Kallinen, Anthony Marini, Hanna Pesonen, Laura Vadjon
- Altos : Hanna Pakkala, Terhi Lehtiniemi, Corinne Raymond-Jarczyk, Tuula Riisalo, Liisa Tamminen
- Violoncelles : Heidi Peltoniemi, Louna Hosia,Jussi Seppänen
- Contrebasses : Vanni Moretto, Petri Ainali, Eero Marttila
- Clavecin et direction : Aapo Häkkinen
La plus française des productions mozartiennesA l’automne 1780, Carl Theodor, nouveau prince de Bavière, charge l’Intendant de la cour, le comte Seerau, de commander à Mozart un opéra qui puisse mobiliser les meilleurs chanteurs du moment et mettre en valeur le célèbre orchestre de Mannheim, qui a suivi le prince à Munich. Des machines scéniques de Mannheim sont également apportées à Munich, pour créer des effets spectaculaires, comme des tempêtes. Le sujet est repris d’un ancien livret d’Antoine Danchet, lui-même inspiré d’une tragédie de Prosper Jolyot de Crébillon. Le livret avait été écrit pour la tragédie lyrique d’André Campra Idoménée, créée à l’Académie royale de musique en 1712 (voir notre chronique de la production de l’Opéra de Lille donnée il y a quelques années).
L’intrigue narre l’histoire d’un antique roi de Crête, vétéran de la guerre de Troie. Suite à un serment fait à Neptune au cours d’une tempête, Idoménée doit sacrifier le premier homme qu’il rencontrera sur le rivage s’il échappe aux éléments déchaînés. Finalement parvenu sur le rivage, le premier être qu’il rencontre est son fils, Idamante. Ce dernier a été promis à Electre, réfugiée en Crête suite à la mort de son père Agamemnon. Mais il s’est épris d’Ilione, autre princesse troyenne réfugiée en Crête, dont son père est également amoureux ! Bravant les dieux, Idoménée tente de renvoyer Electre en Crête, où Idamante devra l’accompagner et l’épouser. Il approche Ilione, mais celle-ci lui révèle son amour mutuel avec Idamante. Une tempête déclenchée par Neptune empêche Electre et Idamante de quitter le port. Les dieux menacent de détruire le royaume si Idoménée ne respecte pas son serment. Celui-ci s’offre en sacrifice mais refuse de sacrifier son fils. De son côté, Idamante part combattre le monstre qui ravage le royaume, il en revient vainqueur. Idoménée pense alors clamer les dieux en laissant son trône et Ilione à son fils. Pris de folie, il finit par sacrifier son fils. Lorsqu’il revient à la raison, il tente de se suicider. Ilione l’en empêche et se prépare à rejoindre Idamante dans l’éternité.
Pour retravailler le livret, Mozart fait appel à Giambattista Varesco (1735-1805), abbé italien en poste à Salzbourg. Cet homme de lettres connaît bien les auteurs grecs et latins, et admire le célèbre Métastase. Mais il n’est pas homme de théâtre, et a peu de goûts pour les « effets » que Mozart juge si importants depuis son séjour à Paris. Varesco pratique des coupes importantes dans le livret de Danchet : le prologue (qui mettait en scène les dieux : Vénus, Neptune,…) disparaît et les cinq actes sont réduits à trois. La rivalité amoureuse d’Idoménée et Idamante autour d’Ilione est largement gommée, au profit d’un conflit de générations entre père et fils. La fin tragique transcrite par Danchet fait place à l’inévitable lieto fine des opéras serias : Neptune consent à apaiser sa colère si Idoménée renonce au trône au profit de son fils, qui épousera Ilia ; seule Electre mettra fin à ses jours. Début novembre 1780, Mozart quitte Salzbourg pour Munich, d’où il dicte, par des lettres à son père Léopold, les changements demandés à Varesco. Il écarte les invraisemblances, les développements qu’il juge trop longs, pour se concentrer sur les aspects dramatiques et les ressorts psychologiques de l’intrigue. Il en résulte un opéra séria « à la française », où la structure habituelle récitatifs/ arias fait place à des scènes durchkomponiert, qui mobilisent constamment l’attention du spectateur. Autre héritage de la tragédie lyrique, les nombreux intermèdes orchestraux et ballets mobilisent une orchestration complexe, digne de l’orchestre de Mannheim. Tous ces éléments, inhabituels dans l’opéra seria traditionnel, en font une œuvre à part dans la production de Mozart, nettement différenciée de ses opéras serias précédents (tels Mithridate, roi du Pont, 1770, ou Lucius Silla, 1772), plus conformes aux canons habituels du genre (alternance de récitatifs et d’airs da capo, peu ou pas de duos et d’ensembles). La création eut lieu le 29 janvier 1781 au théâtre Cuvilliès (également dénommé Residenztheater, puisqu’il s’agissait du théâtre de la cour) de Munich ; elle fut accueillie favorablement par le public.
La version de concert, donnée en conclusion des 49 Tage Alter Musik Herne (49èmes Journées de la musique ancienne à Herne, ville de l’agglomération de Bochum, dans la Ruhr), organisées par la WDR (Westdeutsche Rundfunk, une importante radio allemande), est confiée à l’ensemble finlandais Helsinki Baroque Orchestra (Orchestre baroque d’Helsinki) et à la Zürcher Sing-Akademie (Académie de chant de Zurich). Une production qui, compte tenu de la démarche de Mozart reprenant un précédent opéra de Campra, s’inscrit parfaitement dans le thème choisi cette année pour le festival : Reduce – Reuse – Recycle (Réduire – Réutiliser – Recycler). Remplaçant au pied levé Tuomas Katajala souffrant, Sebastian Kohlhepp est un ténor au timbre chaleureux qui endosse avec beaucoup d’engagement le rôle noble et douloureux du roi de Crête, déchiré par les conséquences de son imprudent serment. Expressif dans les récitatifs (notamment dans les échanges avec Idamante, à l’acte I, ou dans son impérieuse déclaration finale, par laquelle il renonce au trône au profit de son fils) et les ariosos, il nous livre de jolis ornements, très naturels, dans l’émouvant Fuor del mar, couronné d’applaudissements (acte II). Après un premier air un peu brouillon (Non ho colpa), la mezzo Anna Lucia Richter (Idamante) se rattrape bien vite, avec un tendre Il padre adorato (toujours à l’acte I). Elle aussi se signale par une grande expressivité, qui retrace l’évolution psychologique de son personnage. Notons encore ses entrées pleines de vivacité et ses déplacements, qui contribuent à animer cette version de concert.
Dans le rôle central d’Ilia, la soprano Mari Eriksmoen affiche une excellente maîtrise de la ligne de chant mozartienne. Elle était attendue dans les deux grands airs du rôle que comporte la partition, Se il padre perdei (au début du second acte, avec basson et clarinettes obligées) et Zeffiretti lusinghieri (au début du troisième acte), tous deux illustrés par les meilleurs interprètes mozartiens. Nous avons particulièrement apprécié la fraîcheur ingénue qu’elle développe dans le second. Malheureusement, à chaque fois, un enchaînement rapide avec la suite des échanges la privera des applaudissements qu’elle méritait. La scène des aveux réciproques avec Idamante, qui suit le second air, est tout à fait émouvante, suivie du joli duo Lo dica amor, parfaitement exécuté.
Autre soprano de la distribution, Siobahn Stagg témoigne d’un incontestable panache dans le rôle de la jalouse Elettra. Si elle souffre de certaines limites dans les graves (qui obèrent un peu le Tutte nel cor vi sento, à l’acte I), son air de l’acte II (Idol mio, si ritroso) est particulièrement expressif, avec une ingénuité volontairement surjouée. Retenons également son bouleversant adieu au finale (Oh smania ! Oh furie), qui voit la ruine de ses espérances.
Soulignons l’excellente qualité des deux basses de la Zürcher Sing-Akademie mobilisés dans les rôles solos : le récit terrifiant d’Ortega Marti (Gran Sacerdote), qui décrit les ravages opérés par le monstre sur la population du royaume de Crête, et le commandement sépulcral de Matija Bizjan (Voce di Nettuno), qui permet le dénouement heureux final ; deux passages d’une grande intensité dramatique. Au plan collectif, les chœurs sont bien équilibrés avec un orchestre particulièrement dense ; les attaques sont précises et incisives. Retenons tout particulièrement les attaques percutantes et agitées durant la tempête qui conclut le second acte, un des sommets musicaux et dramatiques de la partition.
Le HeBo (abréviation fréquemment usitée pour désigner le Helsinki Baroque Orchestra) développe un effectif largement dimensionné par rapport aux dimensions relativement modestes et à l’acoustique un peu sèche du Kulturzentrum de Herne, qui démultiplie efficacement ses effets. A sa tête comme au clavier de son clavecin, le chef Aapo Häkkinen insuffle en permanence une ligne tout à la fois tonique et expressive. Les vents y sont particulièrement présents, notamment les clarinettes qui brillent de leur solo dans plusieurs airs (l’on se souvient que l’instrument, de mise au point récente, était alors régulièrement mis en avant par les compositeurs) ou les cors et trompettes, bien audibles dans les ensembles. Les cordes, à l’effectif presque pléthorique, se signalent par leur densité, tempérée par une rondeur de tous les instants. Mentionnons encore les vigoureuses percussions, qu’il s’agisse des habituelles timbales ou des accessoires très suggestifs employés pour les « effets spéciaux » (tempête, tonnerre). Les nombreux passages instrumentaux sont donc particulièrement réussis, d’autant que le chef a choisi de les restituer dans leur intégralité, y compris le volumineux ballet final (trop souvent réduit,voire purement coupé, y compris dans les productions scéniques), ce qui constitue un parti pris méritoire.
Le public ne s’y est pas trompé, qui a attendu religieusement la fin du ballet pour déclencher un tonnerre d’applaudissements, vite transformés en ovation debout. Une production ayant su séduire son public, qui conclut sur un beau feu d’artifice ces 49èmes Journées de musique ancienne de Herne.
Publié le 24 nov. 2024 par Bruno Maury