Idoménée - Mozart

Idoménée - Mozart ©Jean-Louis Fernandez/ Festival d’Aix-en-Provence
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Des promesses musicales tenues malgré un monumental ratage scénique

Inspiré de l’Idoménée (1712) d’André Campra (voir la chronique de mon confrère), l’opéra de Mozart est une commande du prince-électeur de Bavière dont le sujet fut choisi par son épouse. Cet opéra est le troisième opéra seria de Mozart et marque une étape supplémentaire dans son travail de déconstruction des formes rigides du seria et dans l’annonce du drame lyrique. L’opéra relate l’histoire d’Idoménée telle que rapportée par la mythologie grecque qui voit s’opposer deux versions : l’une dans laquelle le sacrifice du fils par le père est consommé, l’autre dans laquelle le peuple empêche le sacrifice et contraint le roi Idoménée à l’abdication au profit de son fils.

Il n’en fallait pas plus pour que Satoshi Miyagi fasse un parallèle avec l’abdication de l’empereur du Japon en 1945 qui permettra de faire perdurer la monarchie nippone au profit de son fils Hiro Hito. Et pourtant, Idoménée est avant tout l’histoire d’un abandon par le père ressenti par son fils, et d’un amour terrible et trahi. Chercher un propos politique dans cette œuvre est un premier contresens.

Et de fait, cette mise en scène de Satoshi Miyagi est un ratage monumental. À dire vrai, c’est l’exemple même de ce que peut faire de pire l’empire absolu de l’ego boursouflé de metteurs en scène plus sensibles à leurs fantasmes et à l’histoire qu’ils veulent narrer qu’aux réalités d’une composition théâtrale et musicale. De fait le travail de Satoshi Miyagi ne parvient qu’à générer trois ou quatre belles images (la scène de désespoir d’Electre par exemple), ce qui est tout de même un peu court sur une œuvre de 3h30. Pour le reste, ce travail n’est pas respectueux du texte, ni de la musique, ni de la progression dramatique : il nuit considérablement à l’intérêt d’une œuvre pourtant fascinante. Il n’est pas davantage respectueux du spectateur qui s’interroge sur les références qu’on lui propose, sur la pagaille des costumes (des costumes très Hollywood d’Illia, aux costumes traditionnels japonais des autres solistes, en passant par les uniformes militaires japonais des chœurs) et la saturation de l’espace par des paravents mus par des figurants enfermés en leur sein. Juchés sur ces paravents transformés en gigantesque praticables, condamnés à l’immobilité par la mise en scène, les chanteurs sont isolés, privés de toute interaction entre eux, voire inquiets dans leur situation périlleuse. Aucune progression dramatique n’est alors possible. Et passons sur les chorégraphies qui nous proposent des militaires aux mains feuillues gesticulant de façon laborieuse et à contretemps… De tout cela se dégage un ennui pesant qui est regrettable car l’affiche était superbe et parvient peu ou prou à éviter le naufrage.

Raphaël Pichon semble renoncer à tenter de contrer la mise en scène et à assurer un semblant de narration dramatique. Il se borne alors, comme vaincu, à donner la meilleure lecture musicale possible dans ces conditions. Et pourtant, la prestation de Pygmalion dans l’ouverture, déchaînée et évocatrice, était superbe…

En dépit de cette mise en scène effarante et handicapante, les promesses de la distribution sont largement tenues. Michael Spyres parvient à imposer un Idoménée de grande classe. La ligne de chant est d’une exceptionnelle pureté et Spyres fait miroiter son ambitus si large, avec virtuosité et un souci de la nuance qui ne se démentit jamais. Son Fuor del Mar est exceptionnel.

Anna Bonitatibus (Idamante) déploie une voix riche aux très belles couleurs. À aucun moment sa musicalité ne s’égare et la ligne de chant est d’une constante maîtrise. Les tourments filiaux d’Idamante et ses faiblesses amoureuses sont parfaitement rendues. Sabine Devieilhe est parfaitement à l’aise en Ilia, même si elle semble parfois gênée par les contraintes de la mise en scène. La voix est superbe, l’aigu lumineux et agile, facile et la vocalise se déploie avec assurance.

En Elettra, Nicole Chevalier est la seule du quatuor des rôles principaux autorisée à fouler la scène et à s’exprimer théâtralement. Son soprano lyrique est d’une ampleur qui convient parfaitement aux fureurs d’Elettra et elle fait montre d’un tempérament qui lui vaudra des applaudissements nourris aux saluts.

Avec des artistes de ce calibre et de ce tempérament, les ensembles sont particulièrement réussis, notamment un Pria di partir d’anthologie au II.

Linard Vrielink incarne un Arbace à la jolie voix, au style impeccable mais à la projection réduite et qui manque un peu de vaillance. Le Grand Prêtre de Krešimir Špicer a lui toute l’autorité requise, servi par une voix au timbre élégant et une ligne de chant impeccable.

Le Chœur Pygmalion est parfaitement homogène et parvient à donner un peu de crédibilité au déroulement de l’histoire qui nous est contée.



Publié le 22 juil. 2022 par Jean-Luc Izard