Innovativ tradiert - Capella de la Torre

Innovativ tradiert - Capella de la Torre © WDR/ Thomas Kost
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Musiques des XVI et XVIIèmes siècles autour du cycle des saisons

Le « recyclage » musical est très ancien. On sait ainsi que l’hymne religieux Lucis creator optime, datant du Vème siècle, a été réutilisé à la Renaissance par Pier Luigi da Palestrina (c.1525-1594) et Tomàs Luis de Victoria (c.1548-1611). La notation par les moines des mélodies du chant grégorien, à partir du VIIIème siècle, en recourant aux neumes, ancêtres des notes modernes, va faciliter la diffusion des chants sacrés puis profanes. Le perfectionnement ultérieur de la notation musicale puis l’invention de l’imprimerie, vont ensuite favoriser la propagation de toutes sortes de mélodies à travers l’Europe entière et le Nouveau Monde. Des compositeurs s’en emparent, pour les transformer ou les incorporer dans leurs propres compositions. Un autre exemple célèbre de transformations opérées la fin de la Renaissance est celui du théoricien et compositeur germanique Michael Praetorius (1571-1621). Son recueil Terpsichore rassemble 312 danses d’origine populaire, souvent venues de France (notamment de Bourgogne, du Poitou ou du Berry). Leurs mélodies ont été rehaussées pour alimenter les festivités de la cour de Wolfenbüttel, autour de son protecteur, le duc Henri-Jules de Brunswick-Wolfenbüttel.

Le concert proposé par Capella de la Torre rassemble des compositions et arrangements datant de la Renaissance et du tout début XVIIème, inspirés de mélodies antérieures, pour lesquels l’ensemble mobilise des instruments spécifiques, en particulier les chalémies, sortes de hautbois à perce conique venus de l’Espagne musulmane, au timbre aigu, brillant et clair, qui rappelle un peu celui du cornet. Elles sont fréquemment accompagnées (et c’est le cas ici) de sacqueboutes, ancêtres du trombone. Le programme s’articule autour du cycle des saisons.

Il débute par deux morceaux introductifs. Le Bransle de la Torche à 5, extrait du recueil Terpsichore de Michael Praetorius, impeccablement rythmé, nous familiarise avec les sonorités chaleureuses des chalémies. Lucis Creator optime (hymne à 4 voix, extrait du Manuscrit de Malaga, cathédrale, Archivo capitular) correspond à la transcription par Estêvão de Brito (vers 1570-1641) de l’hymne grégorien cité plus haut. Ce compositeur portugais fut maître de chapelle en Espagne, à Badajoz et Malaga. Le son des instruments s’y mêle harmonieusement aux voix des chanteurs.

Le cycle de saisons s’ouvre sur l’automne. Twas over the hills and far away (extrait de The English Dancing Master, seconde édition, Londres, 1710) s’ouvre sur un flamboyant solo de chalémie. De compositeur inconnu, son rythme dansant suggère les fêtes populaires qui suivent les récoltes. Le compositeur de Pastime with good company est lui célèbre : il s’agit du roi d’Angleterre Henri VIII (1491-1547) ! Cette ballade à trois voix, extraite du Manuscrit de Londres (The British Library) évoque aussi, par son rythme entraînant, une fête villageoise ; elle a été chaleureusement applaudie par le public. John come kiss me now (extrait de The Fitzwilliam Virginal Book, Manuscrit de Cambridge, Fitzwilliam Museum) constitue une reprise d’un chant populaire anglais, entendu par William Byrd (1543-1623) dans les tavernes de Londres, qui le transcrit en variations virtuoses pour le virginal (ici, à l’orgue), chantée par la soprano Margaret Hunter. Greensleeves est une mélodie anglaise, qui associe ténor (Minsub Hong) et soprano, avec un solo virtuose de chalémie. Ce chant populaire a été adapté à de nombreuses reprises, y compris à la période contemporaine, par des musiciens comme Elvis Presley, Leonard Cohen ou John Coltrane ! Autre mélodie populaire des tavernes londoniennes, Watkins ale (extrait de The Fitzwilliam Virignal Book) a également été transcrite par William Byrd pour virginal. Elle clôt le volet de l’automne sur les applaudissements du public, qui a apprécié son rythme entraînant.

L’hiver lui succède, au son de la polyphonie To shorten winter’s sadness (madrigal à cinq voix, extrait de Ballets & Madrigals, Londres, 1598) de Thomas Weelkes (1576-1623) évoque les nymphes qui tentent d’écourter l’hiver par des chants joyeux. La gamba offre un intermède orchestral, animé par les sacqueboutes et vigoureusement rythmée au son du tambourin, d’un auteur anonyme et qui fut un succès populaire à la Renaissance. Margaret Hunter célèbre la beauté de la nuit à travers de The darke is my delight (anonyme, extrait du Manuscrit Egerton. Londres, The British Library). Fortune my foe (autre extrait de The Fitzwilliam Virginal Book) est encore un chant d’un anonyme adapté par William Byrd, qui conte l’issue malheureuse d’un combat ; il est aussi connu sous le nom de The hanging Tune. Les attaques de timbales soulignent son caractère dramatique. L’hiver s’achève au son joyeux du Tiento de caballero (extrait des Obras de musica para tecla, arpa y vihuela. Madrid, 1570) variations virtuoses d’Antonio de Cabezón (1510-1566), bâties sur un chant populaire espagnol. Soulignons l’usage de percussions originales, dues à Mike Turnbull.

Au printemps, la nature s’éveille, les jours s’allongent. C’est aussi la saison des amours, comme nous le rappelle le vigoureux April is in my mistress’face (extrait de Madrigals to Foure Voyces. Londres, 1594) de Thomas Morley (1557/8-1602), contemporain de William Byrd. C’est toujours d’amour dont nous parle Belle qui tiens ma vie, pavane à 4 voix (extraite de Orchésographie. Langres, 1588) de Thoinot Arbeau (1519-1595), tirée d’une mélodie alors très populaire en France. Le printemps s’achève au son de deux morceaux populaires espagnols. Après le Tiento sobra « La dama la demanda » (extrait des Obras de musica para tecla, arpa y vihuela) d’Antonio de Cabezón, la Chacona (extraite de Luz, y norte musical, para caminar por las cifras de la guitarra españiola, y arpa. Madrid ; 1677) a très probablement été inspirée par une mélodie entendue au Pérou par Lucas Ruiz de Ribayaz (1626-après 1677), lors d’un voyage qu’il accomplit en 1677.

L’été constitue la saison culminante pour le soleil, les fleurs et les végétaux. Les hommes y jouissent pleinement des bienfaits de la terre, comme le célèbre le villancico à 4 voix So ell enzina (anonyme, extrait du Cancionero de Palacio. Manuscrit de Madrid, Biblioteca Real), dans lequel dialoguent soprano et ténor. C’est aussi pour son caractère joyeux – et malgré une temporalité estivale qui peut paraître incongrue – que l’été accueille Oh lo bono novello, noël traditionnel de Provence, d’un auteur anonyme, là encore avec des percussions très inventives. Après le court Ballet CCLXVIII (extrait de Terpsichore), le concert s’achève sur Un sarao de la ciaconna (extrait du Libro Segundo de tonos y villancicos. Rome, 1624), joyeux villancico de Juan Arañés (1580-1649).

Salué par de chaleureux applaudissements, l’ensemble est rappelé à trois reprises par le public. Un air italien (non précisé) est donné dans un premier bis, puis un second morceau (italien ou occitan, nous n’avons pas pu l’identifier) nous est également offert.



Publié le 05 déc. 2024 par Bruno Maury