Isis - Lully

Isis - Lully ©Bruno Maury
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Les beautés d’Isis

Nos confrères ont largement rendu compte dans ces colonnes du concert donné cet été au Festival de Beaune, et du récent enregistrement de l’Isis de Lully. Nous ne reviendrons donc pas en détail sur l’œuvre, et nous préférons nous concentrer dans les lignes qui suivent sur les points marquants de la version donnée au théâtre des Champs-Elysées de cette magnifique production.

Soulignons tout d’abord le fort engagement scénique de l’ensemble des solistes dans cette version de concert. Par leurs gestes, leurs mimiques, leurs intonations, ils lui confèrent une véracité théâtrale qui n’a rien à envier aux meilleures productions scéniques. Et louons également (même si ce n’est pas une surprise) la clarté des différentes pupitres des Talens Lyriques, qui luisent tout particulièrement dans les nombreux passages orchestraux de cette riche partition. Citons notamment les brillantes trompettes du prologue, ou encore la délicate musette de François Lazarevitch durant l’épisode de Pan et Syrinx à l’acte III. L’ouverture de l’acte V suivie de l’air d’Io Terminez mes tourments, accompagnés au clavecin par Christophe Rousset et qu’il emmène vers une poignante extinction pianissimo, constitue assurément l’un des sommets de cette soirée. Le rythme précis et nerveux s’adapte continuellement à chaque nouvelle atmosphère (air, récitatif, chœur) pour en faire scintiller la beauté. Le Chœur de chambre de Namur magnifie les chœurs, très présents, avec des attaques nettes et parfaitement coordonnées. Le célèbre chœur des Trembleurs, au début de l’acte IV, illustre tout à fait ce mélange de sensibilité et de retenue qui fait le génie de Lully. Retenons aussi le superbe double chœur de l’acte III, qui constitue un autre sommet de cette partition richement dotée.

Ève-Maud Hubeaux est parée d’une magnifique robe de soie ivoire rehaussée de coquelicots écarlates, et d’une tresse des mêmes fleurs dans les cheveux, tout à fait dignes d’une véritable représentation scénique. Elle traduit admirablement, par ses intonations et ses mimiques, les différents états psychologiques de la nymphe, tour à tour distante et quelque peu maniérée vis-à-vis de son soupirant Hiérax (M’aimez-vous ?), puis envers Jupiter (auquel elle tourne le dos lorsqu’il achève sa déclaration) afin de mieux pousser son avantage. On la retrouve brisée dans les tortures de l’acte IV, qui aboutissent au superbe lamento du début de l’acte V, cité plus haut. Sa rouerie initiale, matérialisée par une légère pointe de dureté dans les deux premiers actes, se mue dans un insondable désespoir aux éclats poignants, qui attire immanquablement la pitié du spectateur. Face à elle, Edwin Crossley-Mercer s’avère un Jupiter de grande classe, à la projection assurée et sonore ; sa déclaration d’amour au début de l’acte II est empreinte du panache que l’on attend de la part du plus puissant des dieux. Sa solennité impérieuse confère tout son poids au serment Noires ondes du Styx (acte V), qui scelle le renoncement à son amour pour Io et met fin à l’implacable vengeance de Junon. La baryton s’avère tout aussi convaincant dans le rôle de Pan, haussant ses effets lorsqu’il tente de séduire la nymphe Syrinx (Je vous aime, nymphe charmante), et traduisant ainsi avec subtilité le caractère badin de l’aventure. Après que celle-ci ait été transformée en roseau, il développe des graves caverneux dans un émouvant Hélas, quel bruit entends-je ?

Bénédicte Tauran nous a enchantés de son timbre racé et ductile, à la diction ferme et très claire. Sa Renommée du prologue est parée de jolis accents nacrés. Dans le rôle de Junon, sa voix se colore de la pointe acide qui traduit la jalousie de la déesse, sans rien perdre de sa souplesse : à l’acte II son L’Amour, cet Amour infidèle est un régal pour l’oreille. On retiendra aussi son duo plein de noblesse avec Jupiter à l’acte V (Abandonnez votre vengeance). Ambroisine Bré endosse tour à tour avec bonheur les rôles d’Iris et de Syrinx. Suivante avisée et perspicace de Junon, elle réalise promptement que l’habile tentative de séduction de Mercure (Fabien Hyon aux accents charmeurs) n’a d’autre but que de lui faire dévoiler les desseins de sa maîtresse : les beaux duos d’amour de l’acte II (enchanteur Promettez-moi de constantes amours) virent rapidement à la dispute et au mépris (Gardez pour quelqu’autre). Cet épisode quelque peu parodique, qui renvoie aux échanges comiques entre domestiques chers à l’opéra vénitien, est admirablement rendu, tant au plan vocal que théâtral.

Fabien Hyon joue avec aisance de la palette des couleurs de son timbre solaire. Triton de haute volée puis Mercure aux accents éclatants, il se fait plus impérieux pour annoncer à Io la vengeance imminente de Junon (Commencez d’éprouver la colère des dieux), ou encore dans le trio des Parques à l’acte IV. Cette réussite incontestable du jeune ténor lui ouvre à notre sens de belles perspectives dans les rôles de haute-contre du répertoire français, après les différentes distinctions obtenues ces dernières années (Révélation classique de l’ADAMI en 2015 et Lauréat HSBC du Festival d’Aix-en-Provence en 2017).

Ténor américain rompu aux difficultés du baroque français (qu’il a étudié au CMBV), Robert Getchell reprend les rôles dévolus à Cyril Auvity dans le concert de Beaune et l’enregistrement. Sa voix résolument mordante dans le duo des Tritons du prologue créé un net contraste avec celle de Fabien Hyon ; elle apporte une touche décalée – sorte de clin d’œil grenouilles de Platée - pour annoncer l’arrivée de Neptune. Au second acte, ses longs aigus filés viennent à propos consoler Hiérax. Et il campe à l’acte IV une impitoyable Furie à l’insondable cruauté, qui exécute sans complexe les tortures de Io ordonnées par Junon.

Les barytons Philippe Estèphe et Aimery Lefèvre, malgré leurs courtes interventions, témoignent également d’un grand engagement vocal et scénique. Du premier nous avons apprécié l’Argus tour à tour aimable et tonnant, qui prodigue à son frère Hiérax son impérieux conseil (Dégagez-vous d’un amour si fatal) au début de l’acte III. Le médium est particulièrement riche et dense, il se dégage de manière très reconnaissable dans les ensembles de l’acte IV (notamment le trio des Parques). Les graves veloutés du second clament d’abord l’amour désespéré de Hiérax pour Io (Revenez Liberté charmante), avant que sa colère n’éclate dans un étourdissant L’inconstante n’a plus, suivi de ses reproches insistants (Je sentirais moins mon tourment). Il mène avec vigueur et brio cet épisode initial de l’intrigue.

Louons encore l’excellente qualité de cette production, que les internautes pourront découvrir grâce à l’enregistrement CD, un beau cadeau de Noël pour amateurs de baroque !



Publié le 12 déc. 2019 par Bruno Maury