La Giuditta - Scarlatti

La Giuditta - Scarlatti © Artemisia Gentileschi : Judith décapitant Holopherne,1613. Huile sur toile – Musée de Capodimonte (Naples)
Afficher les détails
Le riche patrimoine de Naples s’invite à Paris

Le Louvre accueille le musée de Capodimonte
Un partenariat sans précédent entre les deux musées a permis de réaliser une exposition exceptionnelle d’une soixantaine des chefs-d’œuvre conservés dans le palais napolitain qui abrite l’un des plus importants musées d’Italie et dont les collections permettent de découvrir un remarquable cabinet de dessins, et surtout un panorama des différentes écoles de la peinture italienne. Cet ensemble unique de tableaux, sculptures, objets d’art spectaculaires, pièces d’orfèvrerie, a été rassemblé par trois dynasties, les Bourbons, les Farnèse et les Bonaparte-Murat, tous amateurs raffinés. Cette exposition se développe dans trois lieux du Louvre : la Grande Galerie (peintures), la Chapelle (objets d’art et tableaux) et le Pavillon de l’Horloge (fabuleux cartons de Michel-Ange et Raphaël pour les appartements du Vatican).

La singularité est de présenter dans la grande Galerie les tableaux de Capodimonte au sein même des chefs-d’œuvre du Louvre, ce qui permet d’instaurer un dialogue passionnant et fécond et de porter un regard fertilisé par le voisinage des chefs-d’œuvre... entre les peintures de Titien, Caravage, Corrège, Guido Reni, Artemisia Gentileschi et de souligner l’originalité de l’école napolitaine, celle par exemple de Ribera et Mattia Preti. Cette exposition offre aussi l’occasion de découvrir l’œuvre de Massacio, un maître majeur de la Renaissance florentine absent des cimaises du Louvre, d’admirer Giovanni Bellini, Il Parmegiano et tant d’autres merveilles, des objets d’art dont le très précieux coffret Farnese, la salière de François Ier par Benvenuto Cellini, l’extraordinaire biscuit de Filippo Tagliolini, des dessins, des gravures !

Dans le cadre de l’effervescence artistique et de la curiosité suscitée par la réunion inédite de ces deux collections, l’Auditorium Michel Laclotte a programmé en ce 7 juin, un concert d’ouverture dédié à La Giuditta, l’oratorio d’Alessandro Scarlatti, une partition captivante sous la direction de Thibault Noally à la tête de son ensemble Les Accents et un plateau vocal de jeunes interprètes de l’Académie de l’Opéra de Paris. C’est la première version à cinq voix de 1693, qui précède de quelques années la deuxième version de 1697 plus condensée à trois voix, qui a été retenue.

La Giuditta, un puissant drame biblique
Le choix d’Alessandro Scarlatti (1660-1725) semblait s’imposer dans le cadre de la magnifique exposition centrée sur les trésors du musée de Naples proposée par le Louvre, tant le très fécond musicien est le grand « classique » représentant de l’émergente et riche école napolitaine. Par son originalité, son rayonnement, la clarté et l’efficacité de son écriture pleine, dense et profonde, il a participé à la gloire de Naples, « capitale mondiale de la musique » selon Charles de Brosses (1709-1777), célèbre écrivain-voyageur, amoureux de l’Italie. Il a composé en abondance et avec une extrême facilité. Il a pratiqué tous les genres et tous les registres, de la sonate au concerto, de la messe au motet et à l’oratorio dont il fut un maître et a livré un nombre considérable d’opus à l’art lyrique, fournissant le type le plus accompli à l’opéra napolitain dont l’influence fut sérieuse et le rayonnement durable.

En Italie, l’oratorio est un genre en vogue dès la fin du XVIIe siècle, il se développera au cours du siècle suivant. Sa forme s’apparente à celle d’un opéra dramatique à caractère spirituel sur un livret en langue « vulgaire », traditionnellement en deux parties. La Giuditta, créée à Rome certainement dans un cadre privé, a été composée sur un livret du cardinal Benedetto Pamphili, grand mécène des arts et de la musique en particulier, auteur de nombreux livrets d’opéra dont certains pour Alessandro Scarlatti.

L’argument de cet oratorio est emprunté au Livre de Judith de l’Ancien Testament. Cet épisode impressionnant a inspiré nombre de compositeurs et de peintres. Il offre une figure exemplaire de femme résistante, pieuse et courageuse. Judith est cette jeune juive qui, contre le défaitisme général de ses concitoyens, décide de libérer la ville de Béthulie assiégée par les Assyriens du roi babylonien Nabuchodonosor. Usant de sa beauté, elle séduit le général Holopherne, chef des armées ennemies, s’introduit auprès de lui et le décapite dans son sommeil. Son geste assure la victoire des siens et restaure la foi du peuple juif en la puissance salvatrice de son Dieu.

Texte et musique, voix et ensemble instrumental s’accordent pour nourrir le tissu du drame musical de La Giuditta et sa vocation d’émouvoir. Scarlatti use de tous les moyens de l’écriture pour insuffler un affect particulier à sa partition et sa puissante capacité expressive. La sensualité des textures instrumentale, l’éclat des couleurs vocales, la beauté du chant tout concourent à une intensité mélodique qui traverse une œuvre contrastée entre ombre et lumière.

Sur le plan de la structure en deux parties, la sinfonia d’ouverture introduit une alternance d’arias da capo et de récitatifs d’une grande variété de tonalités suggestives qui donne corps aux cinq personnages bien campés par une distribution vocale de qualité. Les interprètes, tous chanteurs formés à l’Académie de l’Opéra national de Paris, se distinguent par leur talent et leur aptitude à incarner leur rôle. La Giuditta de la mezzo- soprano Marine Chagnon est animée d’une énergie vibrante qui dessine avec éloquence les traits du personnage, Margarita Polonskaya, dotée d’un timbre lumineux incarne Ozia avec conviction, le contre-ténor Fernando Escalona est un Oloferne tout en nuances, le Capitano du ténor Kiup Lee est séduisant, Adrien Mathonat, basse, a la noblesse qui convient au rôle de Sacerdote.

Thibault Noally mène depuis son violon cet oratorio avec une finesse, une vitalité, une sensibilité qui soulignent la dynamique des temps forts et des contrastes pour magnifier les émotions que suscite ce théâtre musical raffiné et envoûtant.

Thibault Noally, musicien complet, violoniste et chef d’orchestre


© Bertrand Pichène

Formé à la Royal Academy of Music de Londres, Thibault Noally a montré très jeune des dispositions remarquables par son assimilation des techniques et sa maîtrise du langage violonistique auquel il a insufflé rapidement des inflexions personnelles qui ont révélé une authentique personnalité musicale. Tôt remarqué pour son talent, son parcours de violoniste est jalonné de collaborations avec des formations de premier plan comme le Concerto Köln, l’Ensemble Matheus, Café Zimmermann, Les Nouveaux Caractères et surtout Les Musiciens du Louvre de Marc Minkowski, dont il a été le violon solo pendant plus quinze ans. Il est actuellement violon solo de l’orchestre Les Musiciens du Prince sous la direction de Cecilia Bartoli. Par ailleurs, il accompagne régulièrement des chanteurs renommés et poursuit son activité de soliste à travers la planète musicale, tant au sein d’importants festivals que sur des scènes réputées. Des articles enthousiastes et les ovations du public sont autant de marques de reconnaissance. Son aptitude à faire vivre la musique avec une intelligence et un raffinement rares, la qualité de son jeu, sa technique de l’instrument et sa sensibilité extrême aux œuvres qu’il interprète font de lui un immense artiste.

Désormais, parallèlement à sa carrière d’instrumentiste, il dirige également depuis son violon son ensemble Les Accents qui s’est imposé dans le panorama de la scène baroque par sa qualité musicale et son dynamisme. Plongé dans la partition pour en traduire toutes les nuances, il dirige avec souplesse de la pointe de son archer énergique et précis les musiciens en indiquant les mouvements mélodiques, les cadences de tempo et de rythme et toutes les intentions de la partition pour en épouser toutes les subtilités afin de conférer à chaque œuvre sa vibration interne, sa profondeur intime. Thibault Noally sait exploiter les registres et les timbres les plus variés, les ressources expressives de chaque pupitre, de chaque famille instrumentale de l’effectif orchestral et du plateau vocal.

Avec un engagement musical constant, Thibault Noally est un musicien généreux et charismatique qui accorde à la musique baroque sa force d’évocation à travers le vaste répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles tant vocal qu’instrumental, comme ce fut le cas en cette belle soirée avec La Giuditta , l’oratorio d’Alessandro Scarlatti.

Les Accents, un ensemble baroque

Violoniste virtuose, Thibault Noally est également chef d’orchestre de l’ensemble Les Accents qu’il a fondé en juillet 2014, avec comme objectif la défense du répertoire baroque, en particulier celui de la musique sacrée italienne et des oratorios italiens, l’exploration des œuvres méconnues de l’opéra seria de compositeurs italiens prolixes tels Caldara, Porpora (Il Trionfo della Giustizia Divina, 2015), Vivaldi (Tamerlano, 2016), Scarlatti (Mitridate Eupatore, 2017 ; San Filipe Neri, 2021 ; La Giuditta, 2022-2023) afin de donner à écouter des partitions remarquables souvent enfouies à l’ombre des bibliothèques, ou en proposant une nouvelle lecture d’opéras rares comme Rodrigo de Haendel. Le Stabat Mater de Pergolèse, Il Trionfo del tempo de Haendel, Le Bourgeois Gentilhomme de Molière et Lully dans la mise en scène de Jérôme Deschamps font date parmi d’autres succès dans les temps forts des Accents. Un événement qui s’annonce sera le Rinaldo, l’opéra seria de Haendel créé à Londres en 1711, qui sera donné au cours d’une tournée européenne. Le répertoire instrumental de l’école vénitienne, germanique, française voué au violon est également inscrit au sein du projet artistique des Accents.

La qualité musicale de cet ensemble s’est imposée sur les meilleures scènes et les festivals en France et en l’Europe où il se produit avec des artistes de premier plan tels que Philippe Jaroussky, Sonya Yoncheva, Vivica Genaux, Marie-Nicole Lemieux, Emöke Barath, et des interprètes de la nouvelle génération comme la soprano Julia Lezhneva, le contre-ténor Carlo Vistoli ou le sopraniste Bruno de Sà.

Sous le label Aparté, Les Accents ont gravé plusieurs disques, tous salués par la critique et choisis par les amateurs : Venezia 1700, oratorio, Bach and co, Martirio di Santa Teodosia de Scarlatti, Concerts en sextuor de Rameau et en préparation chez Erato, Les serpents de feu dans le désert qui réunit les contre-ténors Carlo Vistoli, Philippe Jaroussky et Bruno de Sà.



Publié le 10 juil. 2023 par Marguerite Haladjian