Le Magnifique - Grétry

Le Magnifique - Grétry © Jean-Christophe Hanché : Jeanne Zepffel (Clémentine) et Thomas Morris (Aldobrandin)
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Un savoureux vaudeville musical

Fidèle à sa démarche consistant à faire revivre le répertoire comique français de la seconde moitié du XVIIIème siècle (voir les chroniques L’éclipse totale, Guillaume Tell et Richard Cœur de Lion), la compagnie Les Monts du Reuil nous présente cette année Le Magnifique de Grétry. Cet opéra-comique en trois actes avait été composé sur un livret de Michel-Jean Sedaine, inspiré par un conte licencieux de Jean de La Fontaine : Octave, dit Le Magnifique, noble florentin, séduit l’épouse d’Aldobrandin ! Afin d’atténuer quelque peu le caractère immoral de cette trame, le librettiste modifie légèrement les situations : Clémentine n’y est plus que la pupille d’Aldobrandin, qui projette de l’épouser (situation burlesque que l’on retrouvera dans Le Barbier de Séville de Rossini ou encore dans le Don Pasquale de Donizetti, quelques décennies plus tard). Pour les besoins de la production, le livret a ici été remanié par Pierre Senges

L’action tient en quelques lignes. Clémentine et sa servante Alix observent le retour de captifs des Barbaresques, rachetés par le riche Octave, noble florentin. Alix a cru apercevoir parmi eux son époux Laurence. Elle suggère à Clémentine que son père Horace, disparu lui aussi entre les mains des Barbaresques, se trouve peut-être parmi eux. Aldobrandin vient alors révéler à Clémentine qu’il projette de l’épouser. Mais celle-ci ne l’aime pas, et n’a d’yeux que pour Le Magnifique, aperçu à l’office religieux et qui fait donner des sérénades depuis plusieurs jours sous son balcon. De son côté Aldobrandin veut acquérir un bel étalon possédé par Octave ; il a envoyé Fabio, son valet, mener la négociation. Fabio rapporte à son maître que Le Magnifique en veut deux mille ducats, mais qu’il est prêt à accepter de l’échanger contre un quart d’heure de conversation avec Clémentine. Méfiant, Aldobrandin exige d’être présent. Laurence revient voir Alix, puis disparaît à nouveau, après lui avoir confirmé qu’Horace fait également partie des captifs libérés. Aldobrandin présente à Clémentine le marché conclut avec Octave ; à sa grande surprise celle-ci accepte docilement. Octave se présente devant Clémentine,un bouquet à la main. Malgré la surveillance d’Aldobrandin, il lui déclare son amour. Clémentine, en laissant tomber une rose, témoigne qu’elle accepte sa déclaration. Elle retrouve ensuite son père, amené par Laurence. Horace interroge Aldobrandin et le met dans l’embarras : pourquoi n’a-t-il jamais répondu aux lettres envoyées pendant sa captivité ? De son côté Laurence malmène Fabio et l’accuse de les avoir vendus tous deux comme esclaves aux Barbaresques. Terrorisé, Fabio avoue mais indique qu’il a agit sur les ordres d’Aldobrandin ! Horace chasse alors le traître Aldobrandin de sa maison, et accorde la main de Clémentine à Octave.

Stephan Grögler s’empare efficacement de ce vaudeville musical, dans une démarche qui mêle concepts baroques (l’orchestre sur scène, dissimulé la plupart du temps derrière une voile translucide mais qui intervient à plusieurs reprises aux côtés des chanteurs) et techniques modernes (les vidéos de Louison Costes). Il l’agrémente des bijoux à forte valeur symbolique dessinés par Jennifer Crupi (en particulier les bagues « Ornemental Hands », constituées d’une attache et d’anneaux suspendus par des chaînettes, qui illustrent cruellement le lien conjugal proposé par Aldobrandin à sa pupille). Les costumes conçus par Patricia Flaget ont la double caractéristique d’être fabriqués à partir d’éléments recyclés avec art (les robes blanches façon mousseline de Clémentine, la grande cape noire brillante d’Octave,…) et d’évoluer avec la progression de l’intrigue. Autre clin d’œil à l’actualité : Laurence et Horace, de retour de leur captivité, sont habillés d’oripeaux tels de modernes SDF. Pendant l’ouverture, des textes projetés sur les écrans vidéos qui encadrent la scène nous présentent chacun des personnages de l’intrigue, tandis qu’ils défilent sous nos yeux. L’ensemble est agréable à l’œil, et souligne les aspects comiques de la pièce (ainsi, Alix coiffée d’une éponge et d’un gant de ménage, symboles de sa condition, et qui porte autour de la taille gants et chiffons, à l’acte I).

On retrouve avec plaisir deux chanteurs entendus l’an passé dans L’Eclipse totale de Dalayrac. La soprano Jeanne Zepffel incarne ici la jeune Clémentine, qui s’interroge ingénument sur son amour naissant pour ce Magnifique, à peine aperçu (Pourquoi donc ce Magnifique). La diction est claire, le timbre émaillé de frais éclats nacrés. Nous avons aussi beaucoup aimé son ariette au début du troisième acte Ah ! Que je me sens coupable !, précédé d’un solo de hautbois enchanteur. Le ténor Benjamin Athanase donne un incontestable relief au court rôle de Laurence, le mari captif d’Alix. Le duo avec Alix où ils échangent leurs économies (Te voilà donc !) constitue un savoureux moment comique, prestement soutenu par l’orchestre. Retenons aussi son énergique empoignade avec Fabio, au troisième acte, pour lui faire avouer son forfait (Ne me bats pas !).


De gauche à droite : Xavier Flabat (Le Magnifique), Pierre-Michel Dudan (Flavio) et Thomas Morris (Adobrandin) © Jean-Christophe Hanché

Le ténor Xavier Flabat est un Magnifique à l’imposante prestance, mais qui se garde avec raison de trop en rajouter dans son rôle de séducteur. Son arrivée sur scène, précédé de l’orchestre tout entier, est suffisamment parodique. Sa déclaration (Pardonnez charmante Clémentine) ne manque pas de panache, de même que la dispute qui suit avec Aldobrandin, pressé de mettre fin à l’entrevue.

Thomas Morris s’implique sans sourciller dans le rôle ingrat d’Aldobrandin, parfait traître de comédie, tuteur soupçonneux et libidineux. Sanglé dans un improbable costume rose bonbon, il porte avec une égale conviction les contradictions du personnage, amoureux de sa pupille mais prêt à la livrer à un entretien avec un inconnu en échange d’un cheval âprement convoité ! Son air En vérité, vous m’étonnez conclut avec brio l’acte I, et ses efforts désespérés pour éloigner Le Magnifique à la fin de l’entretien avec Clémentine lancent le trio agité qui referme l’acte II.

Les deux serviteurs apportent leur touche de rouerie à l’intrigue. Connaissant l’avarice de son maître et subodorant l’attirance du Magnifique pour les jeunes femmes, le roué Pierre-Michel Dudan (Fabio) n’hésite pas à proposer un entretien avec Clémentine en lieu et place des deux mille ducats exigés pour le cheval ! Animal dont il n’hésite pas à vanter les qualités dans son entraînante ariette Ah, c’est un superbe cheval !, émaillée de sous-entendus grivois… Tandis que Gaëlle Méchaly (Alix) vante à sa maîtresse les charmes de l’amour, et se livre (acte II) à une suggestive danse orientale, longuement applaudie. Mentionnons encore ses duos bien équilibrés avec Clémentine, et l’impayable échange avec Laurence évoqué ci-dessus.Enfin Christophe Souron est un émouvant Horace, retrouvant avec tendresse sa fille après sa pénible captivité.


Gaëlle Méchaly (Alix) et Benjamin Athanse (Laurence) © Jean-Christophe Hanché

Menant l’orchestre depuis son pianoforte, Hélène Clerc-Murgier insuffle de la verve dans les ensembles, tandis que les solos sont mis en valeur par la présence du musicien sur scène (comme le solo de hautbois qui ouvre le troisième acte). Soulignons encore la performance que constitue l’irruption de l’orchestre sur scène au second acte. La parfaite complicité entre chanteurs et musiciens a assurément conquis le public ce soir-là, qui a salué le spectacle par de chaleureux applaudissements.



Publié le 02 déc. 2022 par Bruno Maury