Récital Lezhneva - Vistoli

Récital Lezhneva - Vistoli © JY Grandin
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Les absents ont vraiment eu tort

La salle était malheureusement assez peu remplie, ce qui est éminemment regrettable eu égard à l’affiche de ce concert et à son programme particulièrement étudié, construit et brillant. Mais ceci contribuait à créer une ambiance de « happy few », le sentiment d’un moment un peu particulier. Les absents ont eu tort…

C’est à Julia Lezhneva que revient la charge d’ouvrir le concert. Dès les premières notes, j’ai été surpris par les évolutions de sa voix depuis la dernière fois où il m’avait été donné de l’entendre : la voix reste marquée par ce timbre brillant mais elle a gagné en puissance et en projection ; surtout elle a pris une épaisseur nouvelle qui lui permet de s’offrir quelques incursions dans un registre grave qu’elle ne pratiquait guère. Ouverture de concert donc avec Come Nave in mezzo all’onde, conduit à un train très rapide et avec des vocalises maîtrisées de bout en bout sur un souffle qui semble inépuisable. La volonté d’afficher, de façon presque provocante, l’agilité et la bravoure sont palpables.

Après cette première démonstration, Carlo Vistoli semble beaucoup plus dans la retenue dans son Mi lusinga il dolce affetto. Mais très vite, il déploie une voix puissante, bien timbrée sur tout le registre et une technique qui lui autorise de très belles audaces. Les ornements sont une vraie leçon de musique.

Le duo de Giulio Cesare qui suit est une authentique pépite, un petit miracle d’équilibre dans lequel le respect mutuel des deux interprètes et leur volonté de servir d’abord l’émotion sont une évidence.

En dépit des qualités incontestables des Accents et de la belle direction de Thibault Noally, je me suis un peu ennuyé pendant la sonate de Haendel dont j’ai trouvé l’intérêt et les qualités un peu en dessous du reste de ce somptueux programme.

Puis on a retrouvé une Julia Lezhneva moins à l’aise, plus en difficulté dans le Senza di te de Graun, avec quelques décalages et une cadence très discutable au plan stylistique et dont on a pu se demander à un moment comment l’interprète allait pouvoir la faire atterrir… Pour autant, elle a émaillé son interprétation de sublimes piani. Dans le O di spietati Numi... Tu spietato non farai de Porpora, Vistoli se montre en revanche souverain, affrontant les vocalises vertigineuses sans faillir et avec une précision époustouflante.

Après l’entracte, Julia Lezhneva se montre peu inspirée dans Vivaldi avec des trilles secs et des respirations placées de façon un peu hasardeuses. Mais, de retour chez Haendel, son Un pensiero nemico di pace est d’un style irréprochable même si la rapidité des vocalises qui veut démontrer l’incroyable agilité de cette voix, nuit un peu à l’expressivité. En Rinaldo, (Di speranza un bel raggio …. Venti, turbini), Carlo Vistoli délivre une prestation exceptionnelle qui montre l’immense talent de ce chanteur et le travail acharné qu’il fait sur sa voix. Une fois encore, le duo qui suit (Io t’abraccio de Rodelinda) est une merveille, les deux voix s’entrelaçant à l’infini dans des instants qu’on aimerait voir durer…

Les Accents et le talent de violoniste de Thibault Noally donnent toute la mesure de leur talent dans le concerto Tempesta di Mare (Vivaldi) : les sonorités sont exceptionnelles, les couleurs ont une puissance d’évocation incroyable et le deuxième mouvement est d’une immense beauté.

Vient ensuite ce qui a été pour moi le sommet de cette soirée, l’interprétation de Alto Giove par Carlo Vistoli. C’est très sincèrement, la plus belle interprétation qu’il m’ait été donné d’entendre de ce qui est un must de la musique baroque. Vistoli parvient à en drainer toute l’émotion et à nous surprendre à chaque détour de phrase, sur un souffle, une variation, un trille parfait, un changement de couleur… Enregistrer cette interprétation devient indispensable et j’espère que ce sera bientôt une réalité.

C’est à Julia Lezhneva qu’il revient de clore ce programme avec le redoutable Mi paventi il figlio indegno (Graun) : conclure sur une telle difficulté était un défi peut-être un peu excessif car la voix accuse de la fatigue, l’aigu est moins brillant et la vocalise moins facile. Mais l’exercice reste quand même très impressionnant.

En bis, les deux interprètes chanteront le très beau Caro, Dolce, …, extrait de Poro, qui est un des plus beaux duos écrits par Haendel.

Tout au long du concert, Thibault Noally a accompagné avec beaucoup d’attention et beaucoup de vivacité les deux interprètes, construisant avec eux un vrai triangle d’interprétation, les mettant parfois au défi de tempi rapides, les invitant parfois à exprimer des émotions plus intérieures.

Si Julia Lezhneva est une grande musicienne, elle s’est peut-être un peu trop laissée emporter par le jeu de la rivalité dans la virtuosité. Face à elle, Carlo Vistoli, sans rechigner à jouer ce jeu, n’a néanmoins jamais sacrifié l’expressivité à la virtuosité. Le travail constant de développement de sa voix et surtout le travail de maîtrise d’une parfaite homogénéité des registres continuent à faire progresser ce très bel interprète. Si on y ajoute une capacité à dérouler des ornements qui sont à la fois très audacieux, très personnels et du plus pur style baroque, on a en Carlo Vistoli, à mes yeux, le meilleur contre-ténor du moment.



Publié le 17 mai 2023 par Jean-Luc Izard