Madrigaux - Monteverdi
© WDR/ Thomas Kost Afficher les détails Masquer les détails Date: Le 17 nov. 2024
Lieu: Kreuzkirche – Herne. Concert donné dans le cadre des 49. Tage Alter Musik in Herne (49èmes Journées de la musique ancienne de Herne) 2024
Programme
- Geistlich Wiederaufbereitet (Weltliche Madrigale und ihre geistlichen Travestien aus dem Mailand der Gegenreformation) – (Transcriptions – Madrigaux célèbres et leurs transcriptions dans le Milanais de la Contre-Réforme)
- Aquilino Coppini (mort en 1629) : O Stellae coruscantes (madrigal à cinq voix, d’après Sfogava con le stelle, extrait de Il terzo libro de la musica di Claudio Monteverde a cinque voci fatta spirituale – Milan, 1609)
- Claudio Monteverdi (1567-1643) : Si, ch’io vorrei morire (madrigal à cinq voix, extrait du Livre IV des madrigaux à cinq voix – Venise, 1603)
- Aquilino Coppini : Vives in corde meo (madrigal à cinq voix, d’après Ahi ! Come a un vago sol, extrait de Musica tolta da i madrigali di Claudio Monteverde, e d’altri autori, a cinque et a sei voci, e fatta spirituale – Milan, 1607)
- O Jesu mia vita (madrigal à cinq voix, d’après Si, ch’io vorrei morire, extrait de Il terzo libro de la musica di Claudio Monteverde a cinque voci fatta spirituale)
- Ori Harmelin (1981) : Partite sopra l’aria di monaca (pour théorbe)
- Claudio Monteverdi : T’amo, mia vita (madrigal à cinq voix, extrait du Livre V des madrigaux à cinq voix – Venise, 1605)
- Venite sitientes (transcription pour deux voix et basse continue, extrait du Second recueil de chants sacrés à une, deux, trois et quatre voix – Venise, 1604)
- Aquilino Coppini : Gloria tua manet in aeternum (transcription à cinq voix, d’après T’amo mi vita, extrait de Musica tolta di Claudio Monteverde, e d’altri autori)
- Claudio Monteverdi : Chi vol aver felice (madrigal à cinq voix et basse continue, extrait du Livre VIII des madrigaux – Venise, 1638)
- Giovanna Baviera (1988) : Partite sopra Il ballo di Mantova, pour viole de gambe
- Claudio Monteverdi : Confitebor tibi domine III (transcription pour cinq voix et basse continue, extraite de la Selva morale e spirituale – Venise, 1641)
- Cruda Amarilli (madrigal à cinq voix, extrait du Livre V des madrigaux à cinq voix)
- Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Partite sopra l’aria di Monica, pour clavier (extraite de Toccate e partite d’intavolatura di cembalo – Rome, 1615)
- Aquilino Coppini : Felle amaro (madrigal à cinq voix, d’après Cruda Amarilli, extrait de Musica tolta di Claudio Monteverde, e d’altri autori)
- Stabat Virgo Maria (madrigal à cinq voix, d’après Era l’anima mia, extrait de Musica tolta di Claudio Monteverde, e d’altri autori)
- Claudio Monteverdi : Pianto della Madonna (transcription à cinq voix du lamento d‘Arianna, par Peter Rottländer d’après le Livre VI des madrigaux – Venise, 1614)
Distribution
- Ensemble Voces Suaves :
- Gunta Smirnova, Christina Boner (sopranos)
- Florencia Menconi (mezzo)
- Rodrigo Carreto, Dan Dunkelblum (ténors)
- Joachim Höchbauer (basse)
- Giovanna Baviera (viole de gambe)
- Ori Harmelin (théorbe)
- Aki Noda-Meurice (orgue)
Originaux profanes et transcriptions sacrées au temps de MonteverdiCe concert est consacré aux madrigaux de Monteverdi et à leurs transcriptions sur des textes religieux, dans le contexte de la Contre-Réforme à Milan. Rappelons-en le contexte historique, indispensable afin de bien comprendre cette démarche. Durant son séjour à la cour de Mantoue, entre 1590 et 1612, Claudio Monteverdi (1567-1643) avait composé une série de madrigaux, chantés en italien, dans un style musical qui introduisait des bouleversements par rapport à la musique traditionnelle. Par ailleurs, la plupart des textes se rapportaient à des situations amoureuses et nombre d’entre eux contenaient des allusions plus ou moins érotiques. Si les madrigaux ont aussitôt connu un grand succès dans toute la péninsule italienne (et rapidement au-delà), ils étaient également l’objet de critiques d’autres musiciens : ainsi Giovanni Maria Artusi, compositeur de Bologne, dénonça-t-il dans un article les dissonances contenues dans Cruda Amarilli, sans jamais nommer son compositeur…
Ces madrigaux étaient aussi parvenus aux oreilles de Federico Borromeo, archevêque de Milan depuis 1595. Le prélat en était devenu un admirateur fervent. Il était aussi un protecteur reconnu des sciences, des arts et de la culture. Mais le Concile de Trente (1545-1563) avait durci les règles que devaient observer le clergé et les fidèles. En particulier tout « élément lascif » devait être banni des musiques employées durant les offices. Afin de se plier à cet interdit tout en satisfaisant la passion de l’archevêque pour lesdits madrigaux, un lettré de son entourage, Aquilino Coppini, éminent latiniste, imagina de substituer aux textes profanes en italien des textes religieux en latin. Il publia ainsi, entre 1607 et 1609, trois recueils de ses transcriptions. Le premier, intitulé Musica tolta da i madrigali di Claudio Monteverde, e d’altri autori… fatta spirituale (que l’on pourrait traduire ainsi : « Musique des madrigaux de Claudio Monteverdi et d’autres auteurs… transcrite pour le religieux »), était dédié à l’archevêque. Le second volume (perdu) était dédié à une supérieure de l’ordre des Augustines, issue d’une influente famille milanaise ; le troisième volume était dédié à François Gonzague, fils aîné du duc de Mantoue Vincent Gonzague qui avait été le protecteur de Monteverdi. Coppini mourut en 1629.
La démarche de Coppini mérite d’être replacée dans le contexte artistique de l’époque. Ce qui serait aujourd’hui considéré comme un plagiat était alors considéré comme un hommage. Du reste, Coppini prend clairement le parti de Monteverdi contre ses détracteurs : son premier recueil débute par Felle amara, transcription latine du controversé Cruda Amarilli. Il était d’ailleurs l’ami de Monteverdi, qui n’hésitait pas à lui livrer la primeur de ses madrigaux : ainsi le troisième recueil de Coppini reprend des madrigaux des Livres IV et V, mais aussi du Livre VI, qui n’était pas encore publié. Enfin l’aventure des transcriptions des madrigaux sur des textes latins s’est poursuivie après la mort de Coppini. Nommé en 1613 à la chapelle de Saint-Marc à Venise, Monteverdi s’est lui-même livré à des transpositions de ses précédents madrigaux sur des textes latins, destinés à un usage religieux. Publié en 1641, deux ans avant sa mort, le recueil de la Selva morale e spirituale contient un grand nombre de ces transpositions.
Au plan musical, ces transcriptions étonnent dans leur principe. En effet, la grande nouveauté introduite par le madrigal était précisément d’adapter les effets produits par la musique au sens du texte, afin de démultiplier les émotions de l’auditeur. La musique était donc composée en principe pour épouser un texte précis. Comment passer d’un texte italien à un texte latin, qui comporte la même métrique, et dont les paroles s’ajustent précisément à une musique conçue pour un texte différent ? C’est évidemment tout le talent de Coppini (et plus tard de Monteverdi lui-même) que d’avoir su identifier avec soin, parmi les textes latins, ceux qui pouvaient s’adapter le plus parfaitement aux musiques existantes.
Nous avions eu l’occasion d’assister il y a quelques mois à un concert des Arts Florissants proposant le même type de programme (voir notre chronique) et nous étions fort curieux d’entendre l’interprétation de l’ensemble Voces Suaves dans ce répertoire exigeant. Dès le premier morceau, O stellae coruscantes, transcription par Coppini du madrigal Sfogava con le stelle (extrait de Il terzo libro de la musica di Claudio Monteverde a cinque voci fatta spirituale) l’ensemble affirme sa parfaite maîtrise de l’enlacement des mélismes et le bel équilibre des voix qui le composent. Nous avons beaucoup aimé le Vives in corde meo, transcription du madrigal Ahi ! Come a un vago sol (extrait de Musica tolta da i madrigali di Claudio Monteverde, e d’altri autori, a cinque et a sei voci, e fatta spirituale), qui débute au théorbe, bientôt rejoint par la viole (discrètement, puis qui s’affirme) puis par les deux ténors (Rodrigo Carreto et Dan Dunkelblum), qui y livrent une prestation tout à fait enchanteresse.
Après un O Jesu mia vita (d’après Si, ch’io vorrei morire, extrait d’Il terzo libro de la musica di Claudio Monteverde a cinque voci fatta spirituale) fort séduisant également, bien qu’accompagné par le seul orgue d’Aki Noda-Meurice, arrive une transcription pour théorbe seul, écrite et exécutée par Ori Harmelin : la Partite sopra l’aria di monaca, arrangement d’une mélodie populaire rapportant l’historie d’une jeune file que sa mère a décidé d’envoyer au couvent… L’acoustique légèrement réverbérante de la Kreuzkirche met admirablement en valeur la sonorité de l’instrument et la dextérité de son interprète.
Pour le madrigal T ‘amo mia vita de Monteverdi, une disposition appropriée des interprètes (les deux ténors et la basse d’un côté de l’autel, les deux sopranos de l’autre) offre une mise en espace qui matérialise le dialogue du texte, le rendant d’autant plus expressif. Nous avons beaucoup aimé le Venite, sitientes qui suit, transcription sacrée réalisée par Monteverdi lui-même, porté par le timbre aérien des deux sopranos (Gunta Smirnova et Christina Boner) et soutenu par un dense accompagnement instrumental. Lui succédant, le Gloria tua manet nous renvoie au T’amo mia vita dont il est tiré – et que nous avons entendu quelques minutes plus tôt, nous permettant de comparer original et transcription. Chi vol aver felice est assez représentatif des évolutions introduites par Monteverdi dans son Livre VIII : le madrigal mobilise les chanteurs (ici : ténor, basse, mezzo, deux sopranos) sur un rythme assez animé, autour d’un instrumentarium au complet (viole, théorbe, orgue).
C’est avec beaucoup d’engagement que Giovanna Baviera exécute ensuite sa Partite sopra Il ballo di Mantova à la viole de gambe. Elle la fait sonner admirablement, y compris dans les passages rapides qui démontrent sa très grande maîtrise de l’instrument. Sa prestation soliste est largement applaudie par le public.
Le Confitebor tibi, Domine III (extrait de la Selva morale e spirituale) de Monteverdi réunit quatre chanteurs (les deux sopranos, mezzo, ténor et basse) ; nous avons particulièrement apprécié le céleste Gloria Patri d’une des deux sopranos. Le public a aussi beaucoup aimé ce morceau, salué par de chaleureux applaudissements. A sa suite, le controversé Cruda Amarilli (extrait du Livre V des madrigaux à cinq voix), entièrement chanté a cappella.
Aki Noda-Meurice nous livre ensuite la Partite sopra l’aria di Monica (extraite de Toccate e partite d’intavolatura di cembalo) de Girolamo Frescobaldi (1583-1643), pour laquelle elle mobilise avec intelligence les différents jeux de son orgue portatif.
Après un Felle amaro, en miroir de Cruda Amarilli dont il reprend la mélodie, le Stabat Virgo Maria de Coppini, accompagné à l’orgue, nous enchante des entrelacs aériens des deux sopranos. Le célèbre et poignant Pianto della Madonna, transcription à cinq voix du lamento de l’opéra perdu de Monteverdi L’Arianna, clôt le concert dans un magnifique bouquet final.
Une fin de concert saluée par de chaleureux applaudissements et des rappels du public. En retour Voces Suaves nous livre un dernier morceau, Cantare, Domino, dont l’exécution réunit l’ensemble au complet (les six chanteurs et les trois instrumentistes), à nouveau récompensée par des applaudissements nourris.
Publié le 30 nov. 2024 par Bruno Maury