Il Matrimonio segreto - Domenico Cimarosa

Il Matrimonio segreto - Domenico Cimarosa ©Opéra national de Lorraine
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Sur la scène de l’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 31 janvier au 9 février 2017, est présenté un opéra s’inscrivant dans le pur style de l’opéra burlesque, Il Matrimonio segreto de Domenico Cimarosa.
Le genre dramma giocoso – drame joyeux – né en Italie vers la moitié du XVIIIe siècle, est en quelque sorte une passerelle entre l’opera seria et l’opera buffa. Il s’articule autour d’une intrigue sentimentale qui ne peut se solder que par une issue joyeuse.
Né à Aversa (Italie), Domenico Cimarosa reçoit dès son plus jeune âge une formation musicale complète. Il joue de plusieurs instruments (violon, orgue, clavecin). Il se montre doué dans le chant. Il peaufine sa formation par l’apprentissage de la composition près de Niccolò Piccinni (1728-1800). En 1772, il crée son premier opéra bouffe Le Stravaganze del ConteLes Extravagances du Comte –. Entre 1777 et 1781, il compose dix-huit opéras, lui conférant ainsi une notoriété dans toute l’Italie.
Sans vouloir offenser les puristes et les partisans du « Salzbourgeois », Cimarosa supplantait à cette époque le « Génie », Wolfgang Amadeus Mozart.
Il devient organiste à la Chapelle royale de Naples, puis enseigne au Conservatoire de l’Ospedaletto (Venise). Sur invitation de Catherine II de Russie en 1787, il demeure à Saint-Pétersbourg pendant quatre années. Mais c’est un an après, avec la création du Matrimonio segreto, que le nom de Cimarosa est relié à tout jamais à son ouvrage et à l’Histoire de la Musique. Nous pouvons inclure à ses nombreux succès la parodie autobiographique Il Maestro di cappellaLe maître de Chapelle, qu’il composa à sa reprise de fonction à Naples en 1793 et dans lequel il se joue de lui…
De nos jours, quatre-vingt-dix-neuf opéras, signés de ses mains, ont été recensés.

Créé au Burgtheater de Vienne le 7 février 1792, Il Matrimonio segreto, se révèle être un triomphe. A la seconde représentation, l’Empereur Léopold II fait bisser intégralement l’œuvre devant son « créateur ». Chose peu courante !
Ce dramma giocoso sera joué de nombreuses fois et disparaîtra dans les brumes de l’oubli soufflées par la « renaissance » de Mozart et les opéras de Gioachino Rossini. Ce n’est seulement en 1955 dans une mise en scène de Giorgio Strehler que l’œuvre est exhumée de sa sépulture.
Rendu à sa gloire, il apparaît de nouveau sur la scène de l’Opéra comique en 1997 et de l’Opéra du Rhin en 2015.
Il ne pouvait en être autrement, non ? Cimarosa, en trublion, s’ingénie à mettre en musique le livret de Giovanni Bertati, dans lequel les situations burlesques voire incongrues s’enchaînent en cascade.

Un jeune homme aime une pimpante jeune femme, convoitée à son tour par un noble soupirant, qui doit épouser la sœur de cette dernière contre une dot. Tout ceci se mêle et s’emmêle autour d’un père vénal et d’une tante « cougar » ! Quel sac de nœuds allez-vous dire ! Tentons de dénouer cette affaire…
Le jeune employé, Paolino, aime tellement Carolina qu’ils se sont épousés en secret et ce contre l’avis du père de la mariée, Geronimo, riche marchand. La tante Fidalma, sœur de Geronimo, est éprise du juvénile Paolino.
A ces personnages s’ajoute la sœur de Carolina, la puérile Elisetta promise en échange d’une conséquente dot au Comte Robinson, qui préfère de loin Carolina. Si cette dernière freine les ardeurs du Comte, Elisetta s’étonne de la froideur –désintérêt glacial – de celui-ci.
A partir de là en découle une série de situations aussi burlesques les unes que les autres…

L’intrigue peut apparaître simpliste, mais les imbroglios nous plongent dans une course folle surtout avec la mise en scène menée tambour battant par l’Allemande Cordula Däuper.
Initialement créée pour l’Opernhaus de Zürich, cette production se lance dans un rythme « déchaîné » avec les multiples entrées et sorties des protagonistes. Toutes ces allées et venues sont facilitées par l’astucieux décor conçu par Ralph Zeger.
Imaginez la maison de poupées de votre enfance, agrémentée de nombreuses pièces aux teintes acidulées desservies par des escaliers. Cette coquette maisonnette, en vue de coupe et montée sur tournette, permet de garder l’œil sur ce petit monde… et ainsi de ne pas perdre le fil de l’histoire !

Sans pesanteur, ni incongruité, la subtile mise en scène confère un côté caricatural, fort plaisant et divertissant en ces temps de grisaille. Ainsi les deux sœurs deviennent des poupées et en adoptent toutes les attitudes et la gestuelle : maquillage fort présent, énormes flots dans leurs cheveux bouclés, postures assises avec les jambes et bras écartés, etc.


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en bas :Carolina (Lilian Farahani), en haut : Elisetta (Maria Savastano) - © Opéra national de Lorraine

Les tons acidulés des costumes dessinés par Sophie du Vinage, ne sauraient révéler tout leur éclat sans les harmonieux éclairages réalisés par Hans-Rudolf Kunz.

Mais que seraient ces divers éléments, aussi ingénieux soient-ils, s’ils n’étaient pas servis par une distribution vocale prodigieuse ? Respectant la parité si recherchée de nos jours, trois femmes tiennent tête à trois hommes…

Du haut de sa jeunesse, la soprano Lilian Farahani campe une Carolina fort convaincante. Dans les récitatifs ou les airs, sa voix est moelleuse, souple lui permettant avec une aisance scénique incontestable de gravir sans obstacle les hauts sommets des vocalises ornant son discours. D’ailleurs le récitatif Mon bien-aimé, tu me fais espérer (acte I, scène 1) augure la fraîcheur vocale constante tout au long de l’œuvre. Nous aurons le plaisir et l’honneur de la retrouver dans une autre production…
Dans le rôle de sa sœur Elisetta, la soprane argentine Maria Savastano se montre toute aussi délicieuse vocalement. Elle apporte avec grâce un insupportable aspect puéril à cette petite « peste » à la chevelure rousse. Nous la voyons tantôt faire du cheval à bascule, sucer son pouce, faire des caprices. Elle veille avec beaucoup de soin au parfait équilibre entre sa voix et son jeu de scène. Sa bonne projection lui permet de communiquer aisément avec le public tout en répondant aux exigences de la musique.

Complétant le trio, la tante Fidalma, interprétée par la brillante contralto roumaine, Cornelia Oncioiu est tout simplement sublimissime dans son rôle de « mangeuse d’hommes » d’une cinquantaine d’années, bien que l’âge d’une Dame ne se dévoile pas. Ses qualités d’actrices sont indéniables tant elle donne vie à cette « cougar » plantureuse, dont le désir est aussi gourmand que les gâteaux charnus trônant sur l’étagère du salon. Ses graves se parent de couleurs sombres tout comme sa robe mais révèlent un organe vocal ample au timbre chaud et rond.


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Fidalma (Cornelia Oncioiu), le Comte Robinson (Riccardo Novaro), Carolina (Lilian Farahani) - © Opéra national de Lorraine

Chez les messieurs, Riccardo Novaro drape son personnage, le Comte Robinson, d’une étoffe burlesque. Admirons son jabot formé par trois éventails rose bonbon… Dès la Sinfonia d’ouverture aux flagrantes inspirations mozartiennes et rossiniennes, son entrée est remarquée. Il chevauche un destrier en bois et se livre à d’énergiques cavalcades. Son dynamisme est mis à rude épreuve tout au long de l’opéra. Il ne cesse de courir, gravir les barreaux d’une échelle, faire des pompes, etc. Sur le plan vocal, le baryton remplit toutes nos attentes. Il jouit d’une excellente musicalité, agréable à nos oreilles.
Le rôle de Chef de maison, Signor Geronimo, est confié à Donato Di Stefano. Il excelle dans les mimiques expressives. Son visage, miroir des quiproquos, marque tantôt le dépassement, la surprise, la colère, l’intrigue et la cupidité. Doté d’une forte présence scénique, il est magistral même lorsqu’il est surpris aux toilettes, journal en mains ! Dans la salle, des rires se font entendre…


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Signor Geronimo ( Donato Di Stefano), Elisetta (Cornelia Oncioiu) - © Opéra national de Lorraine

Pour achever ce tableau acidulé, il ne manque plus qu’un seul compère, le jeune Paolino. Livré à Anicio Zorzi Giustiniani, ce Paolino est tout à fait remarquable. Le ténor léger développe un timbre mélodieux. Il dispose de solides appuis vocaux même lorsqu’il se trouve recroquevillé dans un minuscule réduit sous le plancher.
Sa voix se projette aisément dans la salle de l’Opéra. Il est en constante recherche des harmoniques. Il doit pourtant se méfier de ne pas placer le son dans le nez, ce qui pourrait lui être préjudiciable. Malgré ce petit « bémol », il reste une belle découverte dans cette distribution.


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de gauche à droite: Fidalma (Cornélia Oncioiu), le Comte (Riccardo Novaro), Carolina (Lilian Farahani), Paolino (Anicio Zorzi Giustiniani) - © Opéra national de Lorraine

L’accouchement de Carolina se pare d’humour. Elle met au monde un mini-Carolina, copie conforme. Avant le tomber de rideau, des bannières sont tendues sur lesquelles sont inscrits des messages bien connus des mariés : « unis pour la vie », « just married ».
Le salut au public est également placé sous le signe de l’humour. La « cougar », célibataire, tend un écriteau où figure son 06…
L’effet recherché atteint son but grâce à cette mise en scène que nous pourrions qualifier de « déjantée ».

L’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, quant à lui, fait preuve d’une vivacité tourbillonnante nécessaire à ce livret. Chaque musicien se livre à un exercice de style dans un but entier d’homogénéité. L’orchestre soutient les interprètes avec le parfait et juste équilibre, équilibre reposant dans les mains du maestro viennois, Sascha Goetzel. Sublime !
N’oublions pas de saluer, sur scène côté jardin, la prestation de Thierry Garin dont les mains frôlent avec classe les touches du pianoforte (« ancêtre » du piano). Il ponctue le début de certains récitatifs par des citations issues par exemple de l’Ouverture des Noces de Figaro ou les premières notes du Kyrie du Requiem de Mozart.

Que nous le voulions ou non, Il Matrimonio segreto est un chef-d’œuvre !
L’énergie déployée nous embarque dans cette folle aventure, et, égraine ces deux heures trente en un rien de temps ! Cela fuse de partout…
Les rebondissements et les quiproquos, servis avec talent par cette distribution, nourrissent sans alourdir le comique de la situation. Tout est dosé avec intelligence sans ne jamais tomber dans le vulgaire.

L’Amour est donc bien une douce maison où parfois la déraison peut évoluer librement à force de trop aimer…
« L'amour le plus discret laisse par quelque marque échapper son secret. »Jean Racine, Bajazet, III, 8



Publié le 07 févr. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND