Médée - Cherubini

Médée - Cherubini © Bernd Uhlig
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Médée dans les flammes

La figure de Médée, l'une des grandes figures de la mythologie grecque, est au centre des Journées baroques de cette année au Staatsoper Unter den Linden, avec deux opéras français au programme. mettant en regard le dix-septième et le dix-huitième siècle.

La différence entre les approches de Charpentier et Cherubini à la fin de l'histoire de Médée est notable. Alors que Charpentier choisit de ne pas dévier du mythe grec, suivant le chemin où Médée tue ses propres enfants, Cherubini adopte une approche plus dramatique et intense, laissant Médée en proie aux flammes à la fin de son opéra.

Dans la version de Charpentier, la tragédie est complète et irréversible, avec Médée commettant l'acte terrible d'infanticide comme une expression finale de sa douleur et de sa vengeance. L'histoire se conclut avec la protagoniste faisant face aux conséquences dévastatrices de ses actions, sans offrir rédemption ni échappatoire à la tragédie. D'un autre côté, Cherubini, en choisissant de laisser Médée en proie aux flammes, ajoute une dimension symbolique à la narration. L'image du feu peut représenter non seulement la destruction physique, mais aussi la purification, symbolisant l'intensité des émotions qui consumeraient Médée. Ce choix dramatique pourrait mettre en avant la complexité psychologique du personnage et la nature ardente de sa vengeance.

Les deux versions offrent des visions profondes et percutantes de l'histoire de Médée, mais l'approche de Cherubini ajoute un élément visuel et symbolique unique, intensifiant davantage la tragédie et la complexité émotionnelle du personnage central.

La tragédie de Médée est souvent associée à la vengeance, à la passion dévorante et à la sorcellerie, des éléments qui ont captivé l'imagination des artistes et des compositeurs. Dans le mythe, Médée est une prêtresse et sorcière de Colchide, réputée pour sa grande intelligence et son savoir magique. Elle tombe amoureuse de Jason, le héros grec, et l'aide à accomplir des tâches impossibles pour obtenir la Toison d'or. Cependant, une fois qu'ils s'enfuient ensemble, Médée est trahie par Jason, qui l'abandonne pour épouser la princesse Créüse. Consumée par la douleur et la rage, Médée se venge de manière atroce, tuant les enfants qu'elle a eus avec Jason. Le compositeur Luigi Cherubini a porté le mythe de Médée sur la scène lyrique avec son opéra éponyme, créé en 1797. Cherubini a su capturer l'intensité émotionnelle et la complexité psychologique du personnage de Médée à travers sa musique puissante et dramatique.

L’opéra de Cherubini est tiré du répertoire du Staatsoper Unter den Linden à Berlin, dans une production de 2018 créée à l'époque avec Daniel Barenboïm dans la fosse. Cette fois, l'Akademie für Alte Musik Berlin, placée sous la direction de Christophe Rousset remplace la Staatskapelle. Ce choix ajoute une couche supplémentaire d'authenticité historique à cette production, car l'Akademie für Alte Musik Berlin est reconnue pour sa spécialisation dans les instruments d'époque.

Sous la direction habile de Rousset, l'Akademie für Alte Musik Berlin interprète la partition de Cherubini avec des instruments historiquement informés, offrant une interprétation qui cherche à capturer la sonorité et l'esthétique authentiques de la période où l'œuvre a été composée. Cette approche offre une expérience unique, ramenant le public au contexte musical du XVIIIe siècle. La combinaison de la direction de Rousset et de l'exécution par l'Akademie für Alte Musik Berlin donne une interprétation vibrante et fidèle à l'esprit original de l'œuvre, mettant en avant non seulement l'expressivité dramatique de la musique, mais aussi la richesse tonale et la texture sonore caractéristiques des instruments d'époque.

La mise en scène d’Andrea Breth transporte le public dans une vision captivante du mythe, soutenue par le travail artistique impressionnant de Martin Zehetgruber (scénographie), Carla Teti (costumes) et Olaf Freese (lumières). Les costumes de Carla Teti captivent par leur détail et leur authenticité, transportant le public dans l'Antiquité grecque. Le jeu de lumières d'Olaf Freese complète habilement la mise en scène, soulignant les moments clés et créant une atmosphère visuelle enveloppante.

La distribution, menée par Marina Rebeka dans le rôle exigeant de Médée, démontre une maîtrise vocale et une expressivité émotionnelle exceptionnelles. Stanislas de Barbeyrac incarne un Jason convaincant, tandis que Peter Schöne en Créon et Maria Kokareva en Dircé ajoutent une profondeur supplémentaire aux relations complexes du drame.

En particulier, Stanislas de Barbeyrac dans le rôle de Jason, interprétant le passage Éloigné pour toujours d'une épouse cruelle, a su donner vie à la détresse émotionnelle du personnage de Jason à travers sa voix expressive et sa capacité à transmettre les nuances du texte. Il révèle le désarroi et le chagrin de Jason face aux événements dramatiques de l'histoire, soulignant la complexité des relations entre les personnages, en capturant la profondeur de l'émotion de Jason, ajoutant une couche de pathos à l'opéra.

Dans le rôle de Dircé, Maria Kokareva a livré une interprétation puissante et émouvante. L’air Hymen ! viens dissiper une vaine frayeur a constitué un moment captivant et émouvant, capturant habilement l'essence du personnage. La prestation de Peter Schöne dans le rôle de Créon, spécialement dans Dieux et Déesses tutélaires, a apporté une solennité et une puissance dramatique à la production. Schöne a démontré son talent vocal et son habileté à exprimer les émotions complexes de son personnage à travers cette pièce musicale. Il évoque souvent un appel aux divinités protectrices, suggérant peut-être un moment crucial où Créon implore la clémence ou la protection divine face à des circonstances difficiles.

La prestation de Natalia Skrycka dans le rôle de Nérine, chantant Ah! Nos peines seront communes, accompagnée par le hautbois solo, a créé une connexion émotionnelle entre les personnages, partageant leurs douleurs et leurs tourments. La voix expressive de Skrycka a transmis la profondeur de l'émotion de Nérine, tandis que l'accompagnement du hautbois a créé une atmosphère mélancolique, soulignant le caractère tragique de la situation.

Par contre, les dialogues en français (dont la présence justifie l’appellation d’« opéra-comique » pour cette œuvre au sujet tragique) ont posé quelques difficultés de compréhension pour les chanteurs non-francophones (tous sauf Jason) de la distribution. Cette barrière linguistique a généré des efforts supplémentaires pour garantir une compréhension claire et une interprétation fidèle de la production.

Le Staatsopernchor et l'Akademie für Alte Musik Berlin, dirigés par Christophe Rousset, créent une symbiose musicale qui élève l'interprétation à des sommets émotionnels. La sensibilité artistique du chef d'orchestre se manifeste dans la manière dont il met en valeur les subtilités de la partition complexe de Cherubini. En résumé, une soirée magistrale où le drame grec classique et la musique française de la fin du XVIIIème siècle s’unissent avec éclat.



Publié le 01 déc. 2023 par Pedro Medeiros