Messe à cinq voix - Byrd

Messe à cinq voix - Byrd © Bertrand Pichène
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Une leçon de chant a cappella

Compositeur anglais à la charnière de la Renaissance et du baroque, William Byrd (1539 /40 -1623) est aussi un témoin des influences contradictoires et des fractures qui ont traversé cette époque. Après un début de carrière effectué en grande partie en dehors de la capitale anglaise, Byrd est nommé en 1572 gentilhomme à la Chapelle Royale. Il y tient notamment l’orgue aux côtés du titulaire, Thomas Tallis (1505 - 1585), chante et compose pendant deux décennies. Il bénéficie de la confiance de la reine Elizabeth Ière (1533 - 1603), qui confie en 1575 aux deux hommes le privilège exclusif d’importer, publier et vendre des partitions pendant vingt ans. Mais les deux hommes sont catholiques, et la reine a rétabli la foi anglicane instaurée par son père Henri VIII. Ils se trouvent donc forcés d’adapter leurs compositions au nouveau rite officiel. Lorsque la relative tolérance religieuse qui subsistait prend fin, Byrd fait le choix de se retirer de la cour en 1593. Il s’établit à une centaine de kilomètres de la capitale, à Stondon Massey, au service d’un richissime aristocrate catholique, sir John Pretre. C’est pour lui qu’il composa ses trois Messes, à trois, quatre et cinq voix.

Le chef et ténor Paul Agnew s’interroge à juste titre sur les conditions d’exécution de ces œuvres : « Qui pouvait interpréter une telle musique en de telles circonstances ? […] Un tel culte, forcément secret, n’aurait certainement pas pu être interprété dans une chapelle, mais plus probablement dans une maison privée avec quelques chanteurs seulement […]. Nous sommes bien loin de l’image idéalisée de la grande tradition chorale anglaise ». Le programme bâti par Les Arts Florissants autour de la Messe à cinq voix de Byrd s’efforce de reconstituer un office catholique complet, à partir d’extraits de cette Messe, complétés d’autres extraits de compositions de Byrd (les Cantiones Sacrae et le Gradualia) et entrecoupés de parties de plain-chant (rappelons ici que le plain-chant est une récitation musicale rythmée, dont les notes sont en principe de durée et d’intensité égales).

Le programme alterne polyphonies et plain-chant, chantés a cappella donc sans l’intervention d’un quelconque instrument, mettant au premier plan les qualités vocales des chanteurs et le soin apporté à l’enchaînement et à la superposition des lignes mélodiques, créant une atmosphère de profond recueillement. Il débute par la polyphonie Vigilate, aux mélismes tournoyants, dans laquelle l’auditeur est frappé par la précision impeccable des entrées et le soigneux équilibre des voix. Le plain-chant qui suit (Salve, sancta Parens) met en valeur le parfait alignement des interprètes sur une même ligne de chant. Lui succède un Plorans, plorabit, austère polyphonie aux accents de lamentation, aussitôt suivi d’un joyeux Gaudeamus. L’Eructavit manifeste ensuite sa sérénité apaisée, avant la reprise du Gaudeamus, qui s’achève dans une chute abrupte à l’effet saisissant. Extrait de la Messe à cinq voix, le Kyrie nos frappe par sa densité.

Après le Virgo prudentissima en plain-chant, Paul Agnew lance avec énergie un Gloria en forme de longue prière polyphonique. Un peu plus loin, c’est avec vaillance que Mélodie Ruvio entame le Assumpta est. Le Credo qui suit exprime une affirmation sereine de la foi catholique ; il s’achève sur un Amen soutenu avec force par les chanteurs. Après un Sanctus Dominus recueilli, le Benedictus apporte sa dimension aérienne à l’office, suivi de la sérénité qui emplit l’Agnus Dei. La prière Ave Maria (plain-chant) est émaillée d’une sonore apostrophe de Paul Agnew sur Sancta Maria, Mater Dei. Après une courte polyphonie extraite du Gradualia (Optimam partem), l’office se conclut sur un puissant Salve Regina (plain-chant), qui confirme une dernière fois le parfait équilibre des voix des interprètes.

Au total, Les Arts Florissants nous offrent avec cette Messe de Byrd une magistrale leçon de chant religieux a cappella, dont la sérénité dépouillée forme une sorte de contrepoint aux tourments religieux de l’Angleterre élisabéthaine.



Publié le 05 oct. 2023 par Bruno Maury