Grande Messe vénitienne pour la naissance de Louis XIV - G. Rovetta, C. Monteverdi, GA. Rigatti

Grande Messe vénitienne pour la naissance de Louis XIV - G. Rovetta, C. Monteverdi, GA. Rigatti ©
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De Paris à Venise

Une naissance est toujours un événement. Lorsqu'il s'agit de celle d'un héritier au trône elle devient nécessairement un sujet de réjouissances dans tout le royaume. Les circonstances qui ont entouré la naissance du futur Louis XIV la rendaient tout particulièrement attendue. Louis XIII, marié depuis 1615 à Anne d'Autriche, n'avait eu aucune descendance en plus de vingt années de mariage. Qui plus est, le roi et la reine avaient passé leurs 35 ans, ce qui constituait un âge relativement avancé par rapport à l'espérance de vie moyenne de l'époque. En 1637, le Roi avait placé son royaume sous la protection de la Vierge, pour appeler plus sûrement la naissance d'un héritier. De son côté, Monsieur, frère du Roi, se voyait déjà remplacer sur le trône son frère à la santé chancelante...
Le 30 janvier 1638, le miracle se produit : Anne d'Autriche donne naissance au jeune Louis-Dieudonné. Des Te Deum sont aussitôt chantés à Paris, où l'on fait tonner le canon en signe de joie. Louis XIII demande également à ses ambassadeurs d'organiser des réjouissances dans les pays hôtes, non sans arrière-pensée politique : cet événement au sein de la famille régnante doit être une occasion de montrer la grandeur et la puissance du royaume de France à l'étranger. Dans ce contexte, Hamelot de la Houssaye, ambassadeur de France à Venise, missionne les plus grands compositeurs de la Sérénissime : Giovanni Rovetta, vice-maître de chapelle à Saint-Marc depuis 1627, est sollicité afin de composer une messe à la gloire du Dauphin. Le grand Claudio Monterverdi y apportera sa contribution, de même que Giovanni Antonio Rigatti, prêtre, chanteur et compositeur associé à San Marc. En novembre 1638, cette messe sera le point culminant de somptueuses réjouissances étalées sur quatre jours. Une soixantaine de gondoles, avec à leur bord le Doge, son épouse, l'ambassadeur et les notables vénitiens quittent en grand apparat le Palais des Doges pour gagner l'église San Giorgio Maggiore. L'office religieux prendra place dans le superbe écrin conçu par Palladio. La journée se poursuivra par un grand banquet, suivi de ballets et de combats de taureaux sur la place Saint-Marc, et elle s'achèvera sur de grandioses feux d'artifice.
Depuis ces festivités, la Messe opus IV de Rovetta, publiée en 1639 sous l'appellation de Missa per la nascia del gran delfino n'avait plus été rejouée. Il convient donc de saluer l'initiative de l'Opéra Royal et de Château de Versailles Spectacles, soutenue par l'Association des Amis de l'Opéra Royal, de la recréer pour notre plaisir. Outre l'intérêt historique, elle offre un magnifique échantillon de l'esthétique musicale vénitienne en ce milieu du XVIIème siècle. Elle marque également le début d'échanges fructueux entre les compositeurs vénitiens et Paris, qui marqueront les débuts du règne du Roi Soleil. Rappelons ainsi que Cavalli viendra à Paris en 1660 pour composer la musique d'Ercole Amante, destiné à fêter les noces du Roi avec l'Infante Marie-Thérèse.



A la tête du Galilei Consort, Benjamin Chénier s'est attaché à reconstituer avec soin la brillante instrumentation mise en œuvre à l'époque, pour nous replacer dans le contexte jubilatoire de cet événement. Les sacqueboutes font une entrée sonore et solennelle dans l'allée centrale de la chapelle pour la symphonie d'ouverture. Elles se taisent bien vite pour faire place à l'orgue ondoyant de Marc Meisel, qui à son tour cède la place au plain-chant dépouillé de l'Introïtus. Le Kyrie Eléison voit la basse profonde de Renaud Delaigue se mesurer aux deux sopranos aux attaques incisives, dans un ensemble bien équilibré avec les instruments. Dans le Gloria le timbre chaleureux du jeune Martial Pauliat ne le cède qu'au chant aérien des sopranos. Leur succède pour la partie de plain-chant le timbre diaphane de Yann Rolland, dont la voix céleste tombe des tribunes et emplit joliment les voûtes.
La canzona de Rigatti qui suit nous offre un magnifique exemple de musique instrumentale vénitienne. Les douces sonorités de la harpe d'Angélique Mauillon contrastent avec les bouillonnants cornets d'Adrien Mabire et Benoît Tainturier, appuyés par les sacqueboutes.Chantal Santon-Jeffery brille d'un art consommé dans le O Maria, quam pulchra es : attaques bien franches, longs aigus filés, appuyés sur une ligne de chant nette qui se projette avec aisance et naturel. Le Credo donnera lieu à des beaux échanges entre les deux ténors et la basse Renaud Delaigue, tandis que le Salve Regina verra se répondre Vincent Bouchot et Martial Pauliat dans des échanges animés par un orgue bien présent. Benjamin Chénier fait chanter le violon solo dans la Sonata per l'Elevatio qui suit le Sanctus. Le motet pour instruments du grand Monteverdi brille de tous ses feux : sacqueboutes et cornets y rivalisent de virtuosité, sur l'accompagnement de l'orgue, pour transporter l'auditeur dans l'atmosphère de la fête vénitienne. Le motet vocal Adoramus te Christe voit le timbre cristallin de Chantal Santon-Jeffery répondre à la voix plus cuivrée de Stéphanie Révidat dans des échanges enchanteurs. Dans l'énergique choeur final Omnes gentes, soulignons tout particulièrement la performance virtuose des cornets, qui imposent leur rutilante sonorité au sein d'un ensemble particulièrement fourni. Enfin on ne saurait être complet sans mentionner le son agréablement flûté de la dulciane de Mélanie Flahaut, qui accompagna avec talent les passages les plus délicats de cette grandiose messe vénitienne.
Le public se montra particulièrement enthousiaste à l'issue du concert, avec de nombreux rappels : Benjamin Chénier offrit deux bis, le choeur final du Gloria, et le tourbillonant Omnes gentes. Pour les amateurs qui n'auront pas pu assister à ce concert, précisions qu'il était enregistré et qu'il devrait donner lieu à la sortie d'un CD chez Alpha dans les prochains mois : il suffit donc d'être patient !

Publié le 25 déc. 2015 par Bruno MAURY