Missa concertata - Cavalli

Missa concertata - Cavalli ©
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Une brillante complicité

Le 10 février 2018, un peu plus de 350 ans après sa composition (en 1660), le Galilei Consort nous proposait la Missa Concertata de Francesco Cavalli (1602—1676) à la Chapelle de Versailles. La musique concertante de cette école, initiée par Monteverdi (dont Rovetta a été l'assistant et avec lequel Cavalli lui-même a chanté), est conditionnée par l’architecture intérieure de la Basilique de Saint-Marc. Elle se caractérise par la spatialisation et la distribution des instruments et des voix d’une manière exactement concertante (de l’italien concertare : s’opposer), c'est-à-dire en face les uns des autres à différents emplacements de l’église. Dans cet esprit, une éclatante fanfare avec trompette, trombones et tambour résonna avant la Messe depuis les tribunes de la chapelle, comme si la bien attendue paix franco-espagnole descendait du ciel lui-même. Rappelons en effet que cette Messe fut commandée à Cavalli par le Cardinal Mazarin pour célébrer cet événement.

Distribué a due cori (l’orgue au milieu, les cordes du coté gauche du chœur, les trombones et cornets à droite, avec un chœur de quatre chanteurs pour chaque groupe instrumental), l’ensemble du Galilei Consort a entamé les premières notes du Kyrie avec une puissance contenue, relayée par la prononciation soignée des choristes accompagnés du son moelleux des deux violons et des trois altos.

Dans le Gloria s'est illustré le cornet d'Adrien Mabire, avec des notes aiguës parfaitement maîtrisées déchirant avec brio l'air de la chapelle. Au Sanctus, les trombones se sont fondus aux ténors et aux basses pour produire un ensemble très uni, à la fois instrumental et vocal. Rivalisant avec le cornet, le ténor Martial Pauliat soulignait l’harmonie des ensembles de son timbre à la fois cuivré et lumineux, face aux énergiques solos de la basse Renaud Bres. Leurs voix sonnaient comme un hommage aux exécutants anciens de la messe, chanteurs expérimentés de leur temps qui ont animé la Missa Concertata à Venise à l’occasion du Carnaval.

Dans la toccata Elevatio, d'un compositeur anonyme, l’orgue de Freddy Eichelberger a bâti d'impressionnants solos, emmenant graduellement le public d’un affectus à l’autre, quelquefois à partir d’une seule note pour déboucher sur de rutilants accords précédant les grands chœurs. Les deux groupes instrumentaux (cordes et cuivres) ont magnifiquement illustré le style concertant alla Gabrieli de la Canzona à 8, un des sommets de ce concert. Il convient de souligner tout particulièrement la précision des attaques et la complicité des trombones (Claire Mac Intyre, Alexis Lahens, Abel Rohrbach et Kazumasa Ono).

On retiendra aussi le violon d’Odile Edouard, tenu à la manière de l'iconographie d’époque. Il produisit un son doux mais ferme et bien présent, dont la couleur dorée a brillé pendant toute la soirée, mais spécialement à la fin du céleste Agnus Dei, repris en bis.

Après la Messe, le programme comportait encore trois autres morceaux de Cavalli. Dans un élan original Benjamin Chénier a choisi de faire confiance aux musiciens de son ensemble pour s'ajuster entre eux, se retirant momentanément de la direction. L'interprétation n'y perdit rien ; on remarqua au contraire combien même les chanteurs et instrumentistes qui ne participaient pas étaient attentifs à leurs collègues. On en retiendra tout particulièrement l’ensemble des altos di braccio (Josèphe Cottet, Géraldine Roux et Camille Aubret) et leur chant d'une belle pureté harmonique.

Mentionnons encore, dans le Laudate Dominum omnes gentes, les notes argentées de la soprano Jeanne Lefort, appuyées par les violons et les cornets, se modulant sur chaque mot de la Missa sur les indications d’un Chénier attentif aux nuances. Ainsi dans le Credo les mots coeli (ciel) et terre (terre), descendit (descendit) et ascendit (monta), mortuoria (morte) et vitam (vie) sont soulignés dans une impeccable rhétorique musicale, accompagnant les contrastes entre accords majeurs et mineurs, notes aiguës et graves.

Par leur interprétation intelligente et complice, Benjamin Chénier, ses chanteurs et ses musiciens ont magnifiquement illustré cette Messe riche, exubérante et emplie de nuances savoureuses. Et pour ceux qui n'ont pu y assister le concert était enregistré en direct, il devrait donc être prochainement disponible en CD.

Dario Moreno



En un mot : sublime !

Dans le prolongement du regard porté par notre confrère sur l’interprétation de cette magnifique partition, nous voudrions ouvrir une perspective. Ceci n’est donc pas une chronique comme nous les rédigeons habituellement. Juste un rendez-vous que nous fixons à la date (non précisée) de la parution du CD qui sera gravé à la suite du concert donné en la Chapelle Royale du château de Versailles, en cette froide soirée du 10 février 2018. A ce moment-là, nous nous délecterons d’une nouvelle écoute, plus attentive cette fois, mais assurément tout aussi enthousiaste.

Après la Messe pour la naissance de Louis XIV (voir notre chronique de décembre 2016) en grande partie composée par Giovanni Rovetta (1596-1668), un assistant de Claudio Monteverdi (1567-1643), la direction de Benjamin Chénier nous enchante à nouveau avec un autre sommet méconnu de la musique religieuse du Grand Siècle : la Missa concertata de Francesco Cavalli (1602-1676). Cette missa solemnis résulte d’une commande de Jules Mazarin (1602-1661) pour la double occasion de la signature de la paix des Pyrénées (7 novembre 1659) et du mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse d’Autriche (9 juin 1660) qui en est l’une des conséquences.

Œuvre grandiose servie par des musiciens fervents, guidés par un chef résolu. Les notes explosent en de magnifiques feux d’artifices avant de céder la place à des moments de communion spirituelle. Ici, le public frissonne sous l’effet d’un tourbillon puissant ; là, il se laisse envelopper par le moelleux des sonorités. De bout en bout, le pouvoir hypnotique des artistes le magnétise. Il est vrai que les percussions, les cuivres et les cornets à bouquin donnent à certaines séquences un caractère solennel ou flamboyant alors que les cordes apportent aux voix un soutien délicat dans les instants dédiés à l’introspection.

Le moment venu, à l’écoute du CD, nous partagerons avec plaisir notre cheminement à l’intérieur de cette œuvre qui, en partie, avait été gravée en version CD en 1997 par l’Orchestre et le Chœur de l’Angelicum de Milan, sous la direction d’Umberto Cattini. Mais d’ores et déjà, nous tenons à signaler nos coups de cœur. D’abord, ce O bone Jesu si tendrement interprété par Anne Magouët et Paulin Bündgen avec le continuo de l’orgue comme seul compagnon. Ensuite, le bouillonnant Plaudite, Cantate emporté avec frénésie par Renaud Delaigue , Vincent Bouchot et Paulin Bündgen. Sans oublier cette admirable Canzona à 8 parties dans laquelle quatre instruments à corde (deux violons, un alto di braccio et un violoncino) dialoguent délicieusement avec quatre trombones.

En réalité, il faudrait citer tous les mouvements, tant ils étaient admirablement interprétés par des ensembles vocaux et instrumentaux complices et partenaires. En revanche, l’Elevatio composée par un Anonyme et interprétée à l’orgue par le chevronné Freddy Eichelberger nous a paru erratique. De notre point de vue, cette suite de dissonances et de ruptures de rythmes évoque davantage une forme musicale qui s’est développée au XXème siècle.

Un regret, enfin, précisément à propos de la place de l’orgue dans l’interprétation d’une œuvre aussi vibrante. Quel dommage de ne pas avoir fait sonner le grand orgue de la Chapelle Royale à la place de l’orgue positif disposé sur scène. Certes, celui-ci a pleinement rempli sa fonction. Mais quel éclat supplémentaire aurait donné l’instrument placé en face de la tribune royale ! Vox Luminis (voir notre récente chronique Messe en si mineur de Bach) a démontré par l’exemple que l’usage du grand orgue dans ce type de répertoire améliore considérablement la texture sonore du continuo, en renforce la gravité et donne une allure plus affirmée à ses interventions en soliste.

C’est donc avec impatience que nous attendons le CD que la société des Amis de l’Opéra Royal de Versailles a eu le bon goût de parrainer et de financer.

Michel Boesch



Publié le 17 févr. 2018 par Dario Moreno et Michel Boesch