Misteria Paschalia - Cracovie

Misteria Paschalia - Cracovie ©HD. Dufaj
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Quand la musique éclaire le mystère pascal

Cracovie est l’une des plus anciennes et des plus belles cités d’Europe au riche patrimoine artistique et culturel, dotée d’une ancienne et brillante tradition universitaire dont témoigne encore le superbe Collegium Maius, fondé en 1364 par Casimir le Grand, où Nicolas Copernic étudia et qui fut la deuxième université créée en Europe centrale après celle de Prague. Son prestige continue d’attirer les étudiants des quatre coins du monde pour y suivre des cours à l’ombre du grand homme de sciences. Depuis le Moyen Âge, la capitale historique de la Pologne a été un pôle d’attraction pour les savants et les artistes. Cette cité La vitalité de la Cracovie moderne se perçoit avec bonheur à travers ce riche héritage venu du passé et un présent avide de créativités qui privilégie tous les domaines liés à la culture. Festivals, colloques, rencontres, expositions ponctuent l’année tandis que théâtres, opéra, salles de concert, cinémas accueillent un public nombreux, diversifié et fidèle.

Misteria Paschalia, une passion baroque

Dans ce contexte animé, s’est déroulée du 15 au 22 avril dernier la seizième édition du prestigieux festival voué à la musique ancienne et baroque. Cette manifestation, placée sous l’égide du Bureau des Festivals qui mène une politique active pour organiser Misteria Paschalia, bénéficie du soutien du Ministère de la Culture, de la mairie et de son maire, le Professeur Jacek Majchrowski, du service des affaires culturelles et de Robert Piaskowski directeur artistique, conseiller du maire, chargé de la culture pour la ville et dynamique programmateur et coordinateur des projets.

Depuis sa création, l’orientation du festival s’est donnée un double objectif : offrir au public des chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique et proposer des découvertes puisées dans le registre sacré en relation avec l’esprit et la pensée qui animent la Semaine Sainte et les fêtes pascales chères aux Polonais très attachés aux traditions religieuses ancestrales.

Désormais, chaque année, la programmation est confiée à un musicien de renom, représentatif du patrimoine musical de son pays. Pour cette dernière édition qui s’est achevée avec succès, l’Italie a été à l’honneur après la France et l’Angleterre. Les liens entre l’Italie et la Pologne sont inscrits dans leur histoire commune. Bona Sforza, la fille du duc de Milan devint reine de Pologne en épousant en 1518 le roi Sigismond Ier. Elle diffusa la culture et l’art italiens dans son pays d’adoption en invitant musiciens et artistes à la cour. Jusqu’au XVIIIe siècle, ils furent conviés à travailler à Cracovie, en particulier les architectes. Certains monuments de Cracovie dont des églises, en particulier, la magnifique Saint-Pierre-Saint-Paul portent la marque du style baroque romain.

Antonio Florio et la musique à Naples

La direction artistique de la programmation de cette saison a été confiée à Antonio Florio, artiste en résidence dans le cadre du Festival, qui en a conçu la programmation à travers une carte blanche principalement dédiée aux œuvres et aux artistes rompus au répertoire baroque italien et polonais. Né à Bari, tôt immergé dans la musique, il étudie le piano, le violoncelle et la composition au Conservatoire de sa ville natale, puis il s’initie au clavecin et à la viole de gambe. Il découvert l’univers fascinant de la musique ancienne à une époque où ce répertoire n’était pas apprécié en Italie et les œuvres peu souvent jouées dans les salles de concert. Les jeunes allaient souvent étudier à l’étranger. Pourtant le riche patrimoine italien ancien recèle des chefs-d’œuvre qu’Antonio Florio s’est attaché à faire connaître depuis ses débuts, principalement la musique à Naples et dans le Sud de l’Italie aux cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Dès la Renaissance, la vie musicale napolitaine s’est épanouie dans cette d’exception en fonction d’une forte demande liée à l’activité musicale au sein de ses nombreuses églises, monastères et théâtres. Naples a ainsi porté un réel intérêt au maintien de sa musique traditionnelle, parallèlement au développement de la musique savante, privilégiant l’éducation et la pratique, exerçant ainsi comme modèle une influence réelle sur la musique européenne et en particulier en Pologne. Encore de nos jours, la musique populaire fortement ancrée dans le goût du public napolitain côtoie la musique savante. Par cet état d’esprit, Naples ainsi se singularise des autres provinces italiennes.

Tout en enseignant ce répertoire et la rhétorique baroque, Antonio Florio a fondé en 1987 la Capella Neapolitana delle Pieta de Turchini, aujourd’hui dénommée la Capella Neapolitana et a mené un travail de chercheur infatigable avec Dinko Fabris, grand musicologue de réputation internationale. A eux deux, ils ont sorti de l’oubli de nombreuses partitions et permis la redécouverte de chefs-d’œuvre de compositeurs tels Francesco Provenzale, Gaetano Latilla, Francesco Boeri, Francesco Cavalli, Leonardo Vinci, Leonardo Leo, Domenico Scarlatti et bien d’autres. Séminaires, master-classes, collaborations avec des institutions comme le Centre de musique baroque de Versailles, la Fondation Royaumont ou le Conservatoire de Toulouse prolongent et maintiennent leur intérêt pour la qualité musicale de ce répertoire qu’ils souhaitent faire partager avec d’autres musiciens et le public.

Enregistrements salués par la critique et le public, récompenses telles Diapason d’or, Orphée d’Or en France, Prix Luis Garcia Iberni en Espagne pour des opéras de Scarlatti et de Leonardo Vinci, et aujourd’hui, direction du Festival de Cracovie viennent couronner le parcours d’Antonio Florio comme autant de reconnaissances des qualités d’un musicien exigeant.

Chroniques du festival

La programmation a souhaité évoquer les liens historiques qui se sont tissés de la Renaissance à l’Âge baroque entre l’Italie et la Pologne et ont forgé une sensibilité commune en particulier dans le domaine de la musique sacrée. Afin de célébrer la Semaine Sainte, la Passion du Christ et sa Résurrection, l’itinéraire musical du Festival s’est déroulé dans les églises et les salles de concert où ont été interprétés des œuvres rarement entendues et des chefs-d’œuvre italiens et polonais à découvrir.

Dans l’église gothique de Sainte Catherine d’Alexandrie, remarquable par les œuvres d’art qu’elle renferme, a eu lieu l’ouverture du Festival le 15 avril. Sous la direction d’Antonio Florio à la tête de la Capella Neapolitana, les accents de La Passion selon Saint Jean du compositeur napolitain Gaetano Veneziano (1665-1716) ont résonné majestueusement. Le Mardi Saint, dans cette même église s’est donné un concert d’arias et d’ouvertures, avec le contre-ténor Filippo Mineccia sur le thème de la Passion de Jésus-Christ réunissant des œuvres de musiciens italiens et polonais tels Nicola Conti (1739), Nicolò Jommelli (1749), Josef Myslivecek (1773) composées sur des textes de Métastase (1698-1782), poète et célèbre librettiste du XVIIIe siècle.

L’église Sainte Catherine a offert de nouveau son écrin à la soirée du Mercredi Saint consacrée à la tragédie du Christ au Mont des Oliviers par la Capella Cracoviensis. Cet ensemble de Cracovie, reconnu au-delà des frontières, s’est spécialisé en particulier dans le répertoire ancien, la polyphonie de la Renaissance et le baroque polonais interprété sur instruments d’époque. Sous la direction de Jan Tomasz Adamus, le programme a reflété cette volonté de mettre en regard compositeurs italiens appréciés à la cour polonaise dont Claudio Monteverdi (1567-1643) ou Tarquino Merula (1595-1665) et des compositeurs polonais tels Mikoloj Zielenski (1550-1615) dont les partitions étaient éditées à Venise , ou encore Bartlomiej Pekiel (1600-1670) dont les œuvres sacrées adoptent un style venu d’Italie. La soirée a rendu compte de ces échanges fructueux. Le chœur, les solistes, soutenus en particulier par le pupitre des instruments à vent et la basse continue ont donné vie à des pages peu connues dans toute la plénitude du son venu de différents groupes de chanteurs en dialogue.


Photo : Klaudyna Schubert

Le Jeudi Saint, dans la salle du Centre des Congrès de Cracovie, Rinaldo Alessandrini et son Concerto Italiano ont exécuté des pièces sacrées de trois compositeurs italiens, représentants de trois villes, trois écoles musicales, Venise, Bologne et Naples : Antonio Vivaldi (1678-1741), Leonardo Leo (1694-1744), Giovanni Bononcini (1670-1747). Un même souffle d’une religiosité sublimée, porté par le chef, les solistes (soprano, alto, ténor et basse) et un chœur polonais bien entraîné, a distillé la ferveur spirituelle d’une palette sonore intense pour animer le Credo de Vivaldi daté de 1715 et la prière Miserere mei, Deus (Seigneur, aies pitié de moi) de Leo de 1739, œuvre d’un grand dramatisme, admirée par Verdi et Wagner. Le bouleversant Stabat Mater de Bononcini d’une écriture puissante tant harmonique que mélodique allie style d’église et théâtralité. Parties vocales et plages instrumentales alternent, un chœur final s’épanche sur la souffrance de la Vierge aux pieds de son Fils crucifié. Ce Stabat Mater réalise une des plus émouvantes versions du culte marial en musique.


Photo : Klaudyna Schubert

Une salle aux dimensions plus intimes du Centre des Congrès accueille Antonio Florio et son ensemble pour le concert du Jeudi Saint. Au programme des œuvres d’Antonio Nola (1642- ?) compositeur de musique sacrée, né à Naples, ville à laquelle il resta attaché toute son existence. En 1987, le musicologue Hanns-Berthold Dietz a permis la redécouverte de ce compositeur considéré aujourd’hui comme une figure majeure de l’école napolitaine de la seconde moitié du XVIIe siècle. Cependant, peu d’éléments nous sont parvenus le concernant, nous savons qu’il exerça une influence certaine sur les jeunes générations. Formé au Conservatoire Turchini dès l’âge de dix ans, il fut organiste réputé à la cathédrale de Naples, et collabora à l’activité musicale de la somptueuse église des Girolamini comme copiste et musicien. Antonio Florio, familier du compositeur dont il a enregistré plusieurs œuvres dont un Magnificat, a consacré la soirée aux pièces sacrées de Nola, entrecoupées par un Concerto grosso de Pietro Marchitelli (1643-1729) violoniste, professeur et compositeur napolitain. Très engagé dans le propos musical, le maestro a dirigé magistralement sa Cappella Neapolitana, musiciens et solistes choisis afin d’insuffler impulsion rythmique et couleurs aux voix et aux instruments et mettre en relief toute sa densité à la profondeur mystique de ce concert vibrant.


Photo : Wojciech Wandzel

Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, la fabuleuse chapelle creusée dans la mine de sel de Wieliczka, aménagée dans des blocs de sodium, ornée d’un autel, de statues, de bas-reliefs, de lustres, sculptés par des mineurs- artistes, saisit le visiteur par la singulière beauté de ce monde minéral. Dans ce décor unique, s’est produit, le Samedi Saint, Pino De Vittorio, stupéfiant acteur, chanteur virtuose et joueur de chitarra battente, sorte de guitare rustique à cordes pincées typique de l’Italie du Sud. Ce complice d’Antonio Florio de longue date, a interprété des chants populaires napolitains sur le thème de la Passion du Christ s’accompagnant de sa chitarra battente ou accompagné de musiciens magnifiques : Elisa la Marca, luth, Flora Papadopoulos, harpe et Franco Pavan, théorbe. Depuis le Moyen Âge, les classes populaires de l’Italie méridionale, gardiennes des traditions ancestrales, expriment leur sentiment religieux en particulier lors de la Semaine Sainte et font revivre par les chants et la musique les scènes de la Passion du Christ. Une vive imagination musicale née à l’occasion de cette fête sacrée a produit un riche répertoire parfois même en dialecte local. Si cette tradition orale a été recueillie et retranscrite au cours du XIXe siècle, elle était encore méconnue jusqu’à récemment. Le théorbiste Franco Pavan et ses amis dont Pino De Vittorio se sont emparés de ce patrimoine pour dévoiler la richesse et l’inventivité mélodique et l’authentique sensibilité qui habitent ces chants émouvants, expression fervente d’une foi simple et sincère.

Notre voyage s’est achevé sur cette impression d’enchantement musical. Mais le festival s’est poursuivi jusqu’à la fin de la Semaine Sainte. Le concert du Lundi de Pâques sous la direction d’Antonio Florio face à sa formation était voué au répertoire élu du maestro. Au programme, des compositeurs napolitains tels Provenzale, Leonardo Vinci, Paisiello, dont les œuvres célèbrent et ponctuent fêtes et événements de la cité. En clôture du Festival, un bouquet musical coloré en hommage à Naples en fête !



Publié le 04 juin 2019 par Marguerite Haladjian