Dormitio - Misteria Paschalia

Dormitio - Misteria Paschalia © Justin Taylor
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Le clavecin en majesté

Sous la direction artistique de Vincent Dumestre, un vent nouveau souffle sur Misteria Paschalia. Musicien (théorbe, guitare baroque, luth), chef d’orchestre, fondateur de l’ensemble Le Poème harmonique, Vincent Dumestre est un familier de Cracovie, une ville qu’il aime pour la chaleur humaine qui émane des Cracoviens et pour la richesse de son patrimoine artistique, ses musées, son château et ses palais, ses églises, ses sites exceptionnels comme celui de la mine de Wieliczka où a été édifié à 300 mètres sous terre une église creusée et sculptée dans le sel. Cracovie l’enchante depuis qu’il a été invité à s’y produire en 2007.

A la tête du Festival, Vincent Dumestre a mis à l’honneur les aspects essentiels qui définissent l’identité et l’orientation artistique qu’il souhaite donner à ce festival dont il assurera la direction artistique également pour les deux prochaines éditions : offrir au public des interprétations nouvelles d’œuvres connues du répertoire mais aussi proposer des découvertes puisées dans le registre sacré en rapport avec l’esprit de la Semaine Sainte et des fêtes pascales chères au cœur des Polonais très attachés aux traditions religieuses.

Vincent Dumestre a conçu une programmation inventive et exigeante afin de faire vivre plus intensément la musique en lien avec les richesses patrimoniales de la cité et la rendre sensible au plus grand nombre.

Du 25 mars au 1er avril s’est déroulée la vingt-et-unième édition de ce prestigieux festival voué au répertoire de la musique baroque. Durant neuf jours dans les lieux emblématiques, la musique a animé l’église de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, la superbe basilique Sainte-Marie qui veille sur la place du Rynek, la Vieille Synagogue, le palais Potocki rénové, la chapelle Saint-Kinga de la mine de sel de Wieliczka, les somptueuses salles et la cathédrale du château du Wawel.

Un festival « In » a proposé les grands concerts traditionnels et les Dormitio et un « off », initiative de cette édition, a offert les Keyboard Days au palais Potocki, où ont été exposés des claviers remarquables en présence des facteurs d’instruments et des étudiants et où ont eu lieu des récitals, des masters-classes, des rencontres, des conférences. Dans l’oreille du peintre, une autre innovation originale, a consisté en un promenade en musique au château du Wawel et au musée Czartoryski – où sont conservés la sublime Dame à l’hermine de Léonard de Vinci et le magnifique Paysage avec le bon Samaritain de Rembrandt.

En écho au grands concerts, trois Dormitio en hommage à la dormition de la Vierge, trois récitals intimes de clavecin donnés en nocturne, à la lueur des bougies, dans l’église baroque de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie ont proposé de mettre en écho Bach et les musiciens des XVIe au XVIIIe siècles, ses prédécesseurs et ceux du Siècle des Lumières. Trois clavecinistes remarquables, Justin Taylor, Pierre Hantaï et Carole Cesari se sont produits les 25, 26 et 27 mars face à un nombreux public attentif et recueilli.

Le premier récital de la série nos a permis d’écouter le jeune claveciniste franco-américain Justin Taylor (né en 1992). Il est déjà reconnu pour son immense talent qui porte haut les valeurs et les subtilités de son instrument. Après une solide formation, la carrière de ce musicien prometteur prend son envol couronnée de nombreux prix dont le prestigieux premier prix du concours international Musica Antiqua de Bruges remporté en 2015. Deux ans plus tard, il est nommé aux Victoires de la musique puis de nouveau en 2024. Ses enregistrements sous le label Alpha – dont La Famille Forqueray, La Famille Rameau, Bach et l’Italie – ont été salués par la critique et ont reçu un accueil favorable des amateurs.

Le claveciniste a articulé son programme autour d’un répertoire mal connu, un héritage souvent oublié, celui des compositeurs italiens de la Renaissance qui ont précédé Bach : Antonio Valente (1520-1580), Gioseffo Zarlino (1517-1590), Ascanio Maione (1570-1627) qui annoncent l’esprit et les couleurs de la musique baroque. Cette première partie a été suivie de pièces de Domenico Scarlatti, exact contemporain de Bach, Benedetto Marcello, et enfin de Bach… qui ont chacun selon son mode renouvelé et enrichi le langage pour clavier. Justin Taylor a défendu avec une fervente énergie ce programme original, entretenant un dialogue soutenu avec son instrument. Son jeu tout à la fois élégant et virtuose, au débit tantôt nerveux, tantôt empreint de délicatesse, a rendu un hommage à ce jeu de miroirs insufflant à ce répertoire croisé une belle énergie.


Carole Cesari

Carole Cesari a offert à son tour une nouvelle rencontre musicale, celle des musiciens français du XVIIIème siècle avec Bach. Formée auprès de maître éminents tels Kenneth Gilbert, Gustav Leonhardt ou Ton Koopman, professeur de clavecin et de pianoforte, Carole Cesari mène parallèlement une carrière de concertiste ponctuée de prix et de reconnaissance. Sa maîtrise des possibilités que recèle le clavecin, sa technique parfaite, son jeu virtuose au toucher sensible font de cette claveciniste une interprète à l’expressivité très personnelle.

Le programme de ce récital a mis à l’honneur des musiciens de l’école française de clavecin qui a vu éclore entre le XVIIème et le XVIIIème une floraison de compositeurs. Si la première période qui couvre les années 1640-1710 voit naître les pionniers du style français, style brisé ou luthé avec ses notes inégales, la seconde période qui s’étend de 1710 à 1789, apporte le renouvellement des formes, mais évolue à la fin du siècle vers le style galant à la mode.

Au cours de ce récital ont été réunis des compositeurs qui ont magnifiquement servi la littérature pour clavecin dont le répertoire s’est épanoui au cours du XVIIIème siècle mais dont le déclin s’est amorcé à la fin du siècle avec l’apparition du pianoforte et à partir de la Révolution comme symbole de l’Ancien régime. Carole Cesari a enchaîné des pièces de ces musiciens majeurs. Antoine Forqueray (1672-1745), compositeur virtuose pour la viole, avec Marin Marais, s’est produit à la Cour et dans les cercles aristocratiques. Ses pièces pour viole ont été transcrites pour clavecin par son fils. Pierre-Claude Foucquet (1694-1772), organiste célèbre, à la tribune des plus importantes églises parisiennes, a composé trois livres pour clavecin entre 1750 et 1758, l’essentiel de son œuvre. Jacques Duphly (1715-1789) a commencé une carrière d’organiste puis s’est consacré au clavecin, instrument pour lequel il a écrit, entre 1744 et 1768, quatre livres de pièces qui allient brio et sensibilité. Claude Balbastre (1724 -1799), organiste réputé, en particulier à la Cour et à Notre-Dame de Paris. Il a composé pour orgue, mais également deux livres importants pour clavecin.

Carole Cesari a accordé son jeu brillant et inspiré aux tons successifs des pièces de ces compositeurs pour donner à écouter un discours musical maîtrisé, empreint de grâce et de simplicité. Elle a restitué avec souplesse les intonations et les accents de chaque phrase des partitions interprétées, traçant les lignes précises avec une sûreté dans les traits, les enchaînements et les rythmes.


Maciej Skreczkowski © Kasia Kukiełka

Le festival « Off » voué au clavecin a été l’occasion de découvrir Maciej Skreczkowski, un superbe claveciniste de la jeune génération, lauréat en 2023 du Concours international de musique ancienne de Bruges, qui s’est exprimé dans de superbes pièces du XVIIème siècle, de Froberger et d’Anglebert en particulier. Sa musicalité et son talent s’imposent immédiatement.



Publié le 06 mai 2024 par Marguerite Haladjian