Mitridate - Mozart

Mitridate - Mozart ©Vincent Pontet
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Et vint Emmanuelle Haïm...

Composé par un Mozart de quatorze ans qui fait ses armes dans l'opera-seria, Mitridate est une succession de vingt-deux arias destinée à convaincre le public du Teatro Regio Ducale de Milan du talent du jeune prodige. Ce pari fut tenu puisque l'œuvre, créée le 26 décembre 1770, connut un grand succès avant de retomber dans l'oubli jusqu'au XXème siècle. Si l'opéra peut sembler un peu conformiste à force de vouloir respecter les conventions du seria, il offre une éclatante démonstration du génie mozartien : l'inspiration irrigue toute la composition sans fléchissement, les personnages, leurs ambitions, leurs contradictions et leurs émotions sont exposés avec une vérité troublante si l'on songe que ce travail est celui d'un adolescent de 14 ans...
Mitridate est un opéra difficile à monter au plan dramatique par la succession d'airs da capo, la quasi absence d'interaction entre les personnages, une intensité dramatique qui s'éloigne beaucoup de son modèle racinien et de nombreuses invraisemblances (par exemple le revirement de Pharnace...). Et le gant n'est pas relevé par la mise en scène de Clément Hervieu-Leger. Bien sûr, rendre hommage à Chėreau et à Racine est fort honorable, mais encore faudrait-il que cet hommage prenne sens dans cette représentation d'un opéra de Mozart. Comme ce n'est pas le cas, le parti pris devient hautement discutable. Si l'on y ajoute un décor, certes plutôt beau mais énorme, qui limite et gêne les déplacements des chanteurs et une direction d'acteurs plus que faible (que ces jets répétés de chaises étaient irritants....), on aura compris que la valeur de cette soirée ne tenait pas à sa mise en scène...
Heureusement, cette série de représentations excelle aux plans musicaux et vocaux.
A la tête du Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm dirige superbement, tout en nuances et en intensité, et donne sens à chaque note, chaque accord. Le Concert d'Astree sonne de façon splendide : cordes veloutées, bois ronds et sensuels, cors capiteux... Bref on est tellement captivé, embarqué, qu'on ne voit pas passer la première partie, d'une durée de 1h40 quand même... Pour cette belle réussite musicale, Emmanuelle Haïm sait pouvoir compter sur un plateau exceptionnel.
En Mitridate, Michael Spyres surmonte la redoutable écriture du rôle titre. Il est présent avec intensité sur l'immense étendue exigée pour ce rôle : chaleur des graves, rondeur du médium, aigu éclatant. Aidé par une belle projection et une impressionnante longueur de souffle, appuyé sur un trille irréprochable, le ténor américain prend des risques parfois au-delà du raisonnable notamment dans la recherche d'aigus et dans les impressionnants sauts de registre.
Je ne suis pas un grand fan de Patricia Petibon à laquelle je reproche une recherche trop appuyée et systématique d'effets au style discutable et un registre grave trop sec. Pourtant, force est de saluer ce soir la performance d'une interprétation très sobre et très dépouillée d'Aspasie, particulièrement perceptible et réussie dans un « Palli d'ombre» d'anthologie.
Sabine Devieilhe (Ismene) fait la démonstration d'une virtuosité dans laquelle on l'attendait : vertigineuses vocalises aux brillants suraigus et au médium caressant. Mais l'interprète est également remarquable, caractérisant une Ismene féminine et déterminée. Belle découverte que Myrto Papatanasiu en Xiphares : un timbre pur orné d'un très beau vibrato, une homogénéité du registre lui permettant d'assumer de superbes graves et une projection précise mettent en valeur une technique impeccable. Le Pharnace de Christophe Dumaux est également très soigné dans son interprétation et devient très touchant en deuxième partie. Si la puissance est parfois un peu trop limitée, on ne peut que relever la pureté de l'aigu et la beauté des ornementations. Le Marcius de Cyrille Dubois est remarquable et le ténor domine avec aisance et élégance les difficultés de son rôle, notamment les vocalises rapides de sa dernière scène. L'Arbate de Jaël Azzaretti est également irréprochable, chant sûr et belle ligne de chant.
Tout ceci concourt à faire de cette soirée très applaudie une représentation mémorable d'une œuvre rare et exigeante.

Publié le 21 févr. 2016 par Jean-Luc IZARD