Vous voulez Rameau ? - Trio Coulicam

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Une soirée dans le salon de Monsieur de la Popelinière

Dans le cadre des 26èmes Musicales de Montsoreau (village angevin surtout connu pour son château et à travers un célèbre roman d’Alexandre Dumas), le Trio Coulicam proposait ce vendredi 30 juillet 2021 un concert autour du compositeur Jean-Philippe Rameau. Cet ensemble dont le nom fait référence à une composition de Jean-Philippe Rameau extraite des Pièces de Clavecin en Concert a été fondé par le claveciniste Mario Raskin et réunit trois musiciens : Mario Raskin lui même au clavecin, Sharman Plesner au violon baroque et Federico Yacubsohn à la viole de gambe.

La ravissante église Saint-Pierre de Rest accueillait donc ces trois musiciens pour un concert évoquant une soirée dans le salon d’Alexandre Jean Joseph Le Riche de La Popelinière (1693-1762), fermier général du roi Louis XV. Natif de Chinon, grand mécène, mélomane et musicien lui même, ce personnage richissime à l’existence plus que sulfureuse pour l’époque, organisait dans le salon de son hôtel particulier du 59 de la Richelieu, ou dans sa maison de Passy durant la belle saison, des soirées musicales courues par le tout Paris. On y rencontrait alors bon nombre d’écrivains, parmi lesquels Voltaire, D’Alembert et Rousseau, des artistes peintres tel Quentin De La Tour, des musiciens et des compositeurs de grande renommée… dont Jean-Philippe Rameau qui bénéficia très probablement d’un emploi à plein temps au service de monsieur de la Popelinière durant sept années, ce qui expliquerait les sept années de silence du compositeur. Considéré par nombre de musicologues comme le génie absolu de la musique française au XVIIIe siècle, tout laisse à penser que c’est dans les soirées mondaines des salons de monsieur de la Popelinière que Rameau rencontra Voltaire (qui le surnommera « Euclide-Orphée »), Jean-Jacques Rousseau et probablement les librettistes de ses opéras dont Louis de Cahuzac.

Vous voulez Rameau ?

L’essentiel du programme proposé ce soir par le Trio Coulicam, intitulé Vous voulez Rameau ? est tiré des Pièces de clavecin en concerts avec un violon ou une flûte, et une viole ou un deuxième violon par M. Rameau, publiées en 1741. Lors de leur publication, Rameau y adjoignait le commentaire suivant : « Le succès des Sonates qui ont paru depuis peu, en Pieces de Claveçin avec un Violon, m’a fait naître le dessein de suivre à peu près le même Plan dans les nouvelles Pieces de Claveçin que je me hazarde aujourd’hui de mettre au jour : j’en ai formé de petits Concerts entre le Claveçin, un Violon ou une Flute, & une Viole ou un 2e Violon ; le Quatuor y regne le plus souvent ». Quoiqu’il en soit, l’interprétation en trio permet indiscutablement de donner une interprétation plus intimiste de ces Concerts qui appartiennent au répertoire majeur de la musique de chambre française du XVIIIe siècle.


Frontispice des Concerts

C’est en toute logique avec La Coulicam (à écouter ici), toute première pièce du Premier Concert des Pièces de Clavecin en Concerts que débute la soirée . Un nom bien énigmatique pour cette pièce se trouvant à la première page du recueil… En effet, si le nom est supposé évoquer l’empereur de Perse Qouli Khan qui régna sous le nom de Nader Shah, et si la Perse était quelque peu à la mode du fait du succès des Lettres Persanes de Montesquieu publiées quelques vingt ans auparavant, il semblerait que ces histoires perses ne soient qu’un prétexte, le titre n’étant en réalité que l’anagramme de l’ami cocu… et quand on connaît la vie du sieur de la Popelinière et ses nombreuses conquêtes féminines pas nécessairement célibataires, nul doute que le tout Paris avait très probablement une petite idée du nom de l’infortuné cornu dédicataire de cette pièce... Écrite sur un ton à la fois martial et galant, le trio Coulicam a su restituer au mieux l’originalité de cette pièce d’où il a tiré son nom.


Partition de la Coulicam)

Juste à la suite venait un enchaînement des plus réussis entre la pièce pour clavecin seul La Livri et sa version en concert à trois instruments… Cet enchaînement judicieux permet d’en avoir une écoute totalement différente et d’en apprécier les subtilités. La Livri, universellement connue des amateurs de musique baroque est un rondeau qui compte parmi les quatre pièces extraites de cet opus transcrites par Rameau lui même pour clavecin seul : La Livri, L'Agaçante, La Timide et L'Indiscrète. Elle fut dédiée au comte de Livry, un personnage proche du pouvoir royal de par ses différentes charges, et surtout un grand amateur d’art et de théâtre. C’est probablement le succès de cette pièce qui incita Rameau à la reprendre dans son opéra Zoroastre, devenue Gavotte en rondeau gracieux sans lenteur (à écouter ici). Mais il demeure utile de préciser Rameau écrivait dans la préface de ses Pièces de clavecin en concerts que « la partie de clavier se suffit à elle-même et invite à la jouer seule »...

Un « Concert » dédié à son protecteur

L’hôte de la soirée se devait d’être honoré par une pièce écrite par Rameau en l’honneur de son protecteur. La Poplinière qui tient lieu d’introduction au Troisième Concert, accompagnée de la mention Rondement sur la partition, constitue un bel hommage à celui qui lui permit de développer son génie. L’épouse de Monsieur de La Poplinière, Thérèse Boutinon des Hayes fut d’ailleurs une élève de Rameau auprès duquel elle étudia le clavecin et l’harmonie.

Ce Troisième Concert trouve sa conclusion dans deux Tambourins, une danse d’origine provençale exécutée à l’origine avec un galoubet (flûte à trois trous) tenu d’une main et un « tambourin » frappé de l’autre. Cette danse est particulièrement présente dans l’œuvre de Rameau, dans ses opéras en particulier : on en dénombre pas moins de quarante cinq. L’interprétation plein de vivacité proposée ce soir a restitué avec bonheur l’esprit de cette danse.

Bien que l’essentiel de ce programme soit consacré à Rameau, avec le Premier, le Troisième et le Cinquième Concert, le trio Coulicam a adjoint au programme des pièces de compositeurs ayant probablement fréquenté le salon de musique du fermier général. Mario Raskin profite d’un intermède provoqué par une corde cassée intempestivement de la viole (liée à la chaleur dégagée par les projecteurs) pour offrir au pied levé au public La Rameau, une pièce dédiée cette fois à Rameau par Forqueray (père ou fils, l’attribution de la composition n’est pas certaine).

François Couperin (1668-1733) n’a pas été oublié avec les célébrissimes Barricades Mystérieuses extraite de son Sixième ordre. Mario Raskin a livré une interprétation à la fois pleine de finesse et de sensibilité dans laquelle il s’est attaché a restituer l’esprit de cette pièce au nom énigmatique. Ce rondeau caractéristique du style brisé à la française (il existe d’ailleurs des transcriptions pour le luth), au ton à la fois mystérieux et mélancolique, a suscité bon nombre d’hypothèses parfois des plus fantaisistes quant à la signification de son nom. Ce lien donne cependant l’explication qui semble la plus plausible. A noter le magnifique son du clavecin de Mario Raskin, une copie d’un instrument original du XVIIIe siècle de Jean-Henri Hemsch signée Fred Bettenhausen, facteur à Haarlem.

Un compositeur majeur injustement délaissé

Il semblait difficile de ne pas inclure à ce programme une œuvre de Jean-Marie Leclair (1697-1764), considéré comme le plus fameux violoniste de son temps. Quasi contemporain de Rameau, assassiné à Paris dans des conditions mystérieuses un peu plus d’un mois après le décès de ce dernier, il fréquenta également les salons musicaux de Monsieur de La Popelinière. Sa sonate en trio (dite Trio Sonate) en ré majeur opus 2 n°8 compte parmi ses plus belles compositions. L’élégance et l’inventivité de son écriture ne peuvent laisser indifférent, Jean-Marie Leclair démontre notamment dans le deuxième mouvement de cette sonate qu’il sait manier la virtuosité sans aller dans l’excès, dans un style toujours très italien. Le trio Coulicam a totalement su retranscrire l’esprit de cette pièce, témoignage de l’immense talent d’un compositeur majeur de l’histoire de la musique injustement délaissé.

Le Cinquième Concert tenait lieu de conclusion à la soirée. Trois pièces dédiées à des artistes de son époque à qui Rameau à voulu rendre hommage le composent. La Forqueray, écrite en forme de fugue, dédiée à toute une famille de musiciens : Antoine Forqueray, le père, Jean-Baptiste, le fils, et peut être Nicolas-Gilles, cousin de Jean-Baptiste et organiste titulaire de la prestigieuse tribune de Saint-Eustache. Le sous-titre de Fugue de la pièce permet d’ailleurs de retenir la dernière hypothèse en renvoyant à une forme musicale particulièrement présente dans la musique d’orgue...

La Cupis ensuite, dédiée probablement à la ballerine Marie-Anne Cupis de Camargo qui dansa lors de la création de son opéra Hippolyte et Aricie, à moins qu’il ne s’agisse de son frère, Jean-Baptiste Cupis, premier violon à l’Académie Royale de Musique. Enfin pour terminer, La Marais, écrite en hommage au musicien et compositeur Marin Marais (1656-1728), qui était considéré comme le plus grand violiste de son temps. La partition qui porte la mention « rondement » est une petite merveille d’écriture musicale qui témoigne du génie de Rameau. L’interprétation par le trio Coulicam a su mettre en avant cette qualité d’écriture, à travers un phrasé impeccable. A l’issue de ce concert, force est de reconnaître que l’interprétation par trois musiciens au lieu de quatre, voire plus parfois, de cette musique permet de conserver un caractère plus intimiste et plus conforme à l’idée que l’on peut se faire de la musique pratiquée dans les salons de l’époque.

Une conclusion argentine

En remerciement des applaudissements du public, l’ensemble Coulicam s’est autorisé une petite escapade hors du répertoire purement baroque en interprétant une pièce... d’Astor Piazzola dont on fête le 100ème anniversaire de la naissance en cette année 2021. Une conclusion pour le moins originale et inattendue, mais il est vrai que Mario Raskin, argentin d’origine, n’a pas résisté au plaisir d’honorer ainsi la mémoire du maître incontesté du tango, qui fut aussi l’élève de Nadia Boulanger. Et il nous a été ainsi donné de constater que cette musique sonne étonnamment bien lorsqu’elle est jouée sur instruments baroques !



Publié le 13 août 2021 par Eric Lambert