Mozart/ Bach - Les Surprises

Mozart/ Bach - Les Surprises © Eric Lambert
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Une soirée en demi-teinte

Pour conclure la saison, en partenariat avec Le Printemps des Orgues, un concert de musique baroque était donné ce mardi 14 mai au Grand Théâtre d’Angers dans le cadre des Mardis Musicaux. Un concert des plus prometteurs, avec l’Ensemble Les Surprises dirigé par Louis-Noël Bestion de Camboulas et la soprano Marie Perbost. L’ensemble Les Surprises est un ensemble baroque crée en 2010 par le claveciniste et organiste Louis-Noël Bestion de Camboulas et la violiste Juliette Guignard. Il tire son nom de l’opéra-ballet Les Surprises de l’Amour de Jean-Philippe Rameau, et sa discographie est déjà assez conséquente et régulièrement saluée par la critique. Cette formation qui s’est forgé un nom dans le monde de la musique baroque compte désormais parmi les spécialistes de la musique du XVIIIe siècle.

Un programme comprenant des pièces de Jean-Sébastien Bach, de son fils Carl Philip Emanuel et de Wolfgang Amadeus Mozart était proposé, presque toutes extraites de An unexpected Mozart (Un Mozart inattendu), un album paru en octobre 2022 consacré à des pièces de Mozart inédites, ou tout au moins très peu jouées. Il a été tout spécialement conçu pour mettre en avant le lien musical qui unit ces trois compositeurs.

L’ensemble était ce soir composé de cinq musiciens, les violonistes Marie Rouquié et Gabriel Grosbard, l’altiste Lika Laloum, le violoncelliste Julien Hainsworth, la contrebassiste Marie-Amélie Clément et Louis-Noël Bestion de Camboulas qui assurait les parties clavier et la direction d’orchestre. Était également présente la soprano Marie Perbost, lauréate de plusieurs concours internationaux, Enschede aux Pays-Bas, Les Saisons de la Voix de Gordes, Grand Prix du Concours international Nadia et Lili Boulanger, Concours International de Genève en 2016... En cette même année, elle est nommée Révélation Lyrique de l’ADAMI ; en 2018, elle est également nommée aux Victoires de la Musique Classique dans la catégorie Révélations. Peu à peu, considérée comme une valeur montante du chant lyrique, elle remporte les Victoires de la musique classique en tant que Révélation lyrique en 2020. Quant à Louis-Noël Bestion de Camboulas, désormais bien connu des amateurs de musique baroque, il est lauréat de plusieurs concours internationaux et se produit régulièrement en récital d’orgue ou de clavecin ou à la direction de son ensemble en Europe et en Amérique.


Le Grand Théâtre d’Angers (ancienne carte postale)

Quatre sonates d’église de Mozart figuraient au programme. Ces œuvres, relativement peu jouées, résultent de commandes officielles par Hieronymus von Colloredo-Mansfeld, prince archevêque de Salzbourg au service de qui Mozart travailla de 1773 à 1777. Elles comportent toutes un seul mouvement. Les Sonates d'église no12 en do majeur K263, no1 en mi bémol majeur K67 (qui toutefois pourrait selon certaines études être antérieure à cette période), no15 en do majeur K 328 et no4 en ré majeur K 144 sont des œuvres du plus grand intérêt musical. A noter que la sonate n°1 est la seule parmi les dix-sept sonates d'église a devoir être jouée dans un tempo lent Andantino. On retrouve d’emblée dans ces quatre sonates les traits d’écriture si caractéristiques qui permettent de reconnaître la main de Mozart dès les premières mesures. Bien que l’interprétation livrée ce soir par les six musiciens soit exempte de toute reproche, l’écoute fut cependant quelque peu gâchée par un orgue positif accordé à la hâte juste avant le concert tandis que le public était déjà présent dans la salle !

Durant la soirée, on aura cinq fois le plaisir d’entendre la voix de Marie Perbost. En premier lieu, O Gottes Lamm (O Agneau de Dieu) extrait de 2 Kirchenlieder K 343, dans laquelle sa voix de soprano lyrique au timbre velouté fera littéralement merveille. La romance Colin à peine seize ans, (à écouter ici), seule pièce de Carl Philipp Emanuel Bach inscrite au programme, n’est pas vraiment représentative de l’œuvre de l’initiateur de l'Empfindsamkeit. Toutefois, ce chant composé sur des paroles en français est intéressant car il montre comment une mélodie à l’origine populaire pouvait à l’époque circuler et être arrangée de mille manières. A titre d’exemple, on retrouve notamment cette mélodie dans un Noël pour orgue de Claude-Bénigne Balbastre ! (à écouter ici). Dans cette pièce, le compositeur développe de belles variations dans l’accompagnement, lesquelles ne sont pas sans évoquer Mozart qui était un maître incontesté de l’exercice. Le Solfeggio K393 de Mozart a donné l’occasion à Marie Perbost de déployer son immense talent et plus particulièrement son art de la vocalise et de la modulation dans un air très élégant qui était à l’origine une étude vocale que le compositeur avait écrite pour son épouse Constance. Die Zufriedenheit K349 est un air écrit empreint de légèreté, accompagné à l’origine par une mandoline. Was frag' ich viel nach Geld und Gut, Wenn ich zufrieden bin ! Gibt Gott mir nur gesundes Blut, So hab' ich frohen Sinn, Und sing' aus dankbarem Gemüt Mein Morgen- und mein Abendlied (Pourquoi est-ce que je demande tant d'argent et de biens/ Quand je suis heureux !/ Dieu me donne seulement la santé/ Donc j'ai un esprit heureux/ Et chante avec un esprit reconnaissant/ Ma chanson du matin et ma chanson du soir). Faute de mandoline, c’est le clavecin dont le son est avoisinant qui a accompagné Marie Perbost, laquelle a su trouver le ton juste pour chanter un texte qui évoque l’insouciance, et peut être en filigrane la propre existence de Mozart ...

Deux ariettes plus connues, Oiseaux si tous les ans K307 et Dans un bois solitaire K308, écrites sur des textes en français, étaient également proposées au programme. Ces deux airs souvent interprétés ensemble, au répertoires de grandes cantatrices que sont entre autres Elly Ameling ou Cecilia Bartoli, étaient contrairement aux habitudes accompagnés au clavecin, ce qui a donné à ces deux pièces un éclairage totalement différent, plus léger et sans aucun doute plus proche de la façon dont elles pouvaient être interprétée à l’époque de Mozart.

Il est important de souligner l’admiration que vouait Mozart à Bach. Trois œuvres proposées ce soir ont fait le lien entre les deux compositeurs. En effet, Mozart a retranscrit quelques œuvres de Bach, comme ce fragment de Praeludium interprété avec brio par Louis Noël Bestion de Camboulas. Il demeure certain que l'œuvre du cantor de Leipzig a fortement marqué le jeune Mozart… Et si Bach était un maître incontesté de la fugue, on retrouve quelques fugues de premier ordre dans l’œuvre de Mozart, comme la célèbre fugue écrite sur le Kyrie du Requiem K626, proposée pour l’occasion dans un arrangement pour orgue et orchestre. On notera également un intéressant Adagio extrait des six adagio (ou Préludes) et fugue A404a (le programme ne précise pas lequel). Si cet Adagio est bien de la main de Mozart, il est extrait d’un cycle de six préludes et fugues composés à l’origine pour un trio à cordes, chaque prélude étant suivi d’un fugue transcrite d’après des œuvres de Bach.

Le concert prenait fin avec le Concerto en ré de Jean-Sébastien Bach. De ce concerto, il existe deux versions, l’une écrite pour le clavecin référencée BWV 1052, et l’autre sous forme de Sinfonia d’introduction de la cantate BWV 146, dans laquelle l’orgue est l’instrument soliste. C’est donc cette dernière version qui a été choisie pour tenir lieu de conclusion… Conclusion pas très heureuse du fait d’un instrument assez faux dans les aigus notamment sur la note tonique de ré, ce qui rendait son écoute quelque peu déstabilisante, malgré l’excellence des cordes de l’ensemble ! De toute évidence, l’utilisation d’un orgue positif n’est pas spécialement adaptée à l’acoustique très sèche et totalement exempte de réverbération du Grand Théâtre d’Angers. Enfin, on notera, hélas, des applaudissement inopportuns entre les mouvements d’une même pièce… Etonnant de la part d’un public de mélomanes ! Quoiqu’il en soit, il reste toujours possible d’écouter l’excellent enregistrement de l’ensemble Les Surprises (An unexpected Mozart), dans lequel l’orgue utilisé est bien évidemment parfaitement accordé, permettant ainsi à tout un chacun de réentendre ces pièces jouées par le même ensemble dans les meilleures conditions.



Publié le 29 mai 2024 par Eric Lambert