L’Olimpiade - Vivaldi

L’Olimpiade - Vivaldi © Vincent Pontet
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L’Olimpiade fut créé à Venise en 1734, au Teatro Sant’Angelo, sur un livret du poète Métastase, d’après Hérodote. Ce livret, écrit au départ pour Caldara (1733), fut utilisé une bonne soixantaine de fois au long du XVIIIème siècle, notamment par Pergolèse, Hasse, Jommelli, Cimarosa et Paisiello. Le choix d’un livret de Métastase est pour Vivaldi un choix « commercial » car Métastase incarne l’opéra napolitain qui est alors très en vogue à Venise. Ce choix semble avoir été judicieux car Vivaldi retrouvera la faveur du public et, plus important encore, celui des commanditaires Grimani, ce qui aboutira à la composition de Griselda. Bien qu’ayant connu un succès important à sa création, l’œuvre tomba dans l’oubli, n’en sortant que très progressivement au cours du XXe siècle, renouant avec un succès que justifie pleinement cette partition qui foisonne de trouvailles stylistiques et orchestrales et d’arias toutes plus délicieuses les unes que les autres.

Le très grand succès qui a couronné la première de L’Olimpiade au Théâtre des Champs Elysées ce 20 juin – première dédiée à Jodie Devos, récemment disparue et qui devait chanter dans cette série – a même englobé, une fois n’est pas coutume, l’ensemble de l’équipe de mise en scène, emmenée par Emmanuel Daumas. Et pourtant le travail de mise en scène réalisé par Emmanuel Daumas est au bord du contresens ou de la faute de goût à de nombreuses reprises, notamment au cours de la première partie. Ainsi ce travail nous fait un clin d’œil appuyé en mettant en avant dans toute la première partie la compétition sportive sous toutes ses formes olympiques alors même que le livret, au demeurant passablement complexe et échevelé jusqu’à l’heureux dénouement final, nous compte plutôt une histoire d’honneur, d’amitié et d’amours contrariées. De même, la mise en avant de ressorts et d’effets comiques est totalement discutable tant elle semble rechercher une parenté avec une Belle Hélène d’Offenbach et tant elle relègue au deuxième plan la musique et ce qui constitue le cœur même de cette œuvre poétique sur les passions humaines. Enfin, la surexploitation du recours aux danseurs et à l’acrobate tout au long de la première partie nuit grandement à la concentration du spectateur sur la musique et est franchement agaçante, du moins pour moi, lors de la délicieuse aria di paragone d’Aristea (Sta piangendo la tortorella) ou lorsqu’Orlinski exécute un break dance pendant l’aria d’Argene… Il y a de l’énergie à revendre dans cette mise en scène et le public de cette première l’a manifestement apprécié même si, pour ma part, j’ai préféré la seconde partie, laissant toute sa place à la musique, et suis plus circonspect sur la première partie.

Jean-Christophe Spinosi se montre tout aussi fougueux et inventif que lors de la version de concert de cette même œuvre donnée ici même en 2002 (voir mon compte-rendu). Le son de Matheus est rond, équilibré, très beau et toujours minutieusement précis, par exemple dans les piano subito demandés par Spinosi à de nombreuses reprises. Le chef se livre à une lecture analytique de la partition et en révèle les beautés et l’inventivité même si parfois la recherche de rupture et de bizarre est, en accumulant cris et ricanements, un peu excessive. Mais le déroulement musical est d’une très grande fluidité, et de nombreux moments d’une intense beauté surviennent, comme, par exemple, la Sinfonia d’ouverture, le Mentre dormi, amor fomenti exécuté comme une berceuse, le poignant Non so donde viene quel tenero affetto ou le Sciagurato in faccia a morte accompagné au violoncelle solo.

Licida est interprété par Jakub Józef Orliński dont le talent à multiples facettes a manifestement largement contribué à inspirer le metteur en scène. Je reste toujours un peu perplexe face à ce contre-ténor qui a une présence indéniablement attachante sur scène, un beau legato et une voix capable de porter beaucoup d’émotion mais dont la technique et les ornements sont souvent un peu frustes, dont le timbre tend à blanchir dans un aigu peu capable de nuances et dont la longueur de souffle est un peu limitée. La mise en scène qui le fait bondir en tous sens ne lui permet guère d’affirmer une interprétation totalement convaincante même s’il réalise un Gemo in in punto e fremo impeccable et vibrant de folie.

Beaucoup plus convaincant est le Megacle de Marina Viotti, parfaite de style et d’interprétation, dans son costume de bodybuilder dont le port ressemble à lui seul à un exploit. La voix est chaude, souple, le timbre somptueux, l’ornementation est riche, inventive, le chant tout en nuances. Elle incarne parfaitement les angoisses de ce héros juvénile dont elle porte toute la dimension tragique. Elle touche à la perfection dans son dernier air (Lo seguitai felice) aux vocalises superbes malgré l’inutile lévitation que lui impose la mise en scène.

J’ai aussi beaucoup aimé l’Aminta d’Ana Maria Labin, dont le soprano se plie à une partition redoutable dont elle triomphe avec aisance et, en particulier un magistral Son qual per mare ignoto. Caterina Piva est une belle Aristea même si l’esthétique et la technique baroques lui semblent un peu étrangères. Le timbre est lumineux, la voix bien projetée et l’interprétation est le plus souvent remarquable. Delphine Galou se débat dans le rôle d’Argene auquel elle réussit, malgré le peu d’intérêt du personnage et malgré le masque et les cornes un peu gênants dont l’affuble la mise en scène, à donner une belle apparence. Clistene est interprété par un Luigi di Donato en grande forme, tout en noblesse. Sa technique solide, son timbre superbe et ses qualités d’acteur culminent dans un Non so donde viene quel tenero affetto particulièrement poignant. Enfin, Christian Senn est un Alcandro particulièrement luxueux dont le timbre se déploie avec aisance dans un superbe Sciagurato in faccia a morte.

Aux saluts, le public a fait un triomphe à cette production qui ne manque pas d’atouts même si elle comporte quelques aspects un peu déplaisants. Pour ma part, j’avais préféré, ô combien, la version de concert donnée en 2002.



Publié le 24 juin 2024 par Jean-Luc Izard