Opus infinitum - Cappella Mediterranea

Opus infinitum - Cappella Mediterranea © Bertrand Pichene
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Un dialogue original entre deux icônes du baroque

L'Abbaye d'Ambronay a accueilli au cœur de son troisième weekend un concert magistral : Opus Infinitum, dirigé par Leonardo García Alarcón. Un programme finement conçu où les œuvres de Jean-Sébastian Bach et Georg Friedrich Haendel se répondaient, se confrontaient et se complétaient.

Le chef d'orchestre argentin a ouvert la scène en partageant un moment personnel avec le public, racontant qu’il avait découvert Bach il y a huit ans à Buenos Aires. Sa confession, empreinte de sincérité, a donné le ton de la soirée, créant un lien émotionnel fort entre le chef et l'audience. Alarcón a également évoqué Haendel avec une admiration sans réserve, affirmant qu’il est impossible de « ne pas aimer » ce compositeur, tant sa musique touche profondément ceux qui l’écoutent.

Les deux compositeurs, tous deux nés en 1685 à seulement quelques centaines de kilomètres de distance, ont eu des destins parallèles mais contrastés. Malgré leur talent partagé, leurs styles se distinguent par des approches différentes : là où Bach est méthodique et introspectif, Haendel est flamboyant et théâtral. Ce contraste a été mis en avant tout au long de la soirée, où les morceaux étaient choisis pour illustrer leurs similitudes et divergences : même registre, même maîtrise du contrepoint, mais des voix distinctes qui s’expriment chacune à leur manière.

La prestation des quatre solistes a été particulièrement remarquable. Ana Vieira Leite, avec son soprano lumineux, a illuminé les arias de Haendel, apportant une clarté et une légèreté qui ont mis en valeur la profondeur de ses émotions. Logan Lopez Gonzalez, contre-ténor au timbre délicat, a déployé toute la pureté de sa voix dans les passages les plus intimes de Bach, créant des moments de contemplation intense. Samuel Boden, avec son timbre de ténor clair et cristallin, a parfaitement capturé l’énergie et la vivacité des oratorios de Haendel, tandis qu’Adrien Fournaison, basse aux accents graves et puissants, a ancré la musique dans une solidité rassurante, ajoutant une gravité majestueuse aux pièces de Bach.

Le Chœur de Chambre de Namur a démontré une maîtrise exemplaire, avec des nuances subtilement dosées et une homogénéité parfaite entre les pupitres. Les voix se sont fondues harmonieusement, donnant naissance à un tissu sonore riche et vibrant. Le dialogue entre les sections du chœur a magnifiquement incarné la dualité entre les styles de Bach et de Haendel.

Quant à l’orchestre Cappella Mediterranea, il a su accompagner les solistes avec une précision impeccable. Sous la direction inspirée de García Alarcón, les instruments ont résonné avec une clarté éclatante, chaque note semblant raconter une histoire. Le dialogue entre les différents pupitres, en particulier le basson et le hautbois, a symbolisé les échanges entre les deux compositeurs, reflétant leurs styles distincts tout en montrant une compréhension profonde de leurs langages musicaux respectifs. Les cordes, incisives et pleines de relief, se sont mariées aux bois et cuivres dans un jeu de textures d’une grande finesse.

Un des points forts du concert a été l’utilisation ingénieuse des différents instruments pour faire dialoguer les styles : le basson d’un côté pour Haendel, le hautbois de l’autre pour Bach. Ces échanges instrumentaux, placés à différents endroits de la scène, symbolisaient les conversations que ces deux génies auraient pu avoir s’ils avaient pu se rencontrer. Alarcón a comparé leurs œuvres comme deux cerveaux en constante interaction, analysant et réinterprétant le langage musical de l’autre.

Les moments de réflexion étaient nombreux, ponctués de silences évocateurs entre chaque pièce, comme des pauses méditatives laissant le public absorber pleinement la richesse des compositions. Un des moments les plus surprenants est survenu lors des Lamentos de España, quand des castagnettes se sont mêlées à la musique, ajoutant une touche de couleur inattendue et énergisante.

La fin du concert a été marquée par deux pièces en medley, mélangeant habilement Allein zu dir, Herr Jesu Christ de Bach et le Hallelujah de Haendel. Ces derniers instants ont montré l’union parfaite entre les deux compositeurs, démontrant que même leurs œuvres les plus distinctes pouvaient coexister et s’enrichir mutuellement.

Le public, conquis, a réclamé un bis. L’ensemble a donné à nouveau la musique de Haendel, vibrant et éclatant, puis celle de Bach, Wir haben keine Götter erbrecht, où les musiciens semblaient s’évader progressivement de la scène, suivant l’esprit d’évasion du texte. Cette conclusion a laissé une forte impression, imprégnant le public d’un sentiment de liberté musicale.

Les applaudissements nourris ont duré plusieurs minutes, et c’est avec un deuxième bis inattendu que la soirée s’est terminée, confirmant que malgré leurs différences, ces deux compositeurs sont unis par une même grandeur intemporelle.

(Ce concert est enregistré par France Musique pour une diffusion ultérieure dans l’émission Le concert du soir, et sera disponible en streaming sur le site de France Musique ainsi que sur l’application Radio France)



Publié le 03 oct. 2024 par Pedro Medeiros