Orlando Furioso - Vivaldi

Orlando Furioso - Vivaldi © Jean-Yves Grandin
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Un rôle-titre éblouissant

Orlando est un des personnages emblématiques de l’opéra baroque. Vivaldi écrivit d’ailleurs dès 1714 un Orlando finto pazzo qui fut un four absolu, avant de connaître ce qui semble avoir été un succès avec cet Orlando furioso.

Assumant avec une délectation non feinte sa passion pour Vivaldi en général et cet ouvrage en particulier, Jean-Christophe Spinosi conduit cette représentation en version de concert avec l’énergie qu’on lui connaît. La direction très inspirée, toujours imaginative est très attentive aux interprètes, qu’il s’agisse d’un Ensemble Matheus en très grande forme, aux attaques d’une netteté incroyable et aux couleurs immensément variées, ou de l’équipe de chanteurs qui réunit ce qui peut se faire de mieux en ce moment pour un opéra baroque.

Dans le rôle-titre, Carlo Vistoli est éblouissant. Le timbre superbe et très coloré s’appuie sur un registre d’une homogénéité remarquable, y compris lorsqu’il va chercher ses graves en voix de poitrine. La voix est très sonore, parfaitement projetée et la technique à toute épreuve. Comme toujours l’ornementation écrite par Carlo Vistoli est particulièrement riche, inventive, savante et… redoutablement difficile. Son Orlando nous emmène dans les dédales de la passion amoureuse assumée jusqu’au délire et dans une folie furieuse à la fois pleine de pathos et d’accents effrayants. L’acteur est tout aussi stupéfiant, nous faisant oublier que nous sommes dans une version de concert tant son incarnation est puissante. Après les éclats virtuoses du I et un Nel profundo cieco mondo d’anthologie au da capo éclatant, il entre dans cette immense scène de folie, en assumant avec beaucoup d’expressivité les récitatifs et en caractérisant avec une rare intensité les ariosos comme le court mais terrible Io ti getto …. Ho cento vanni qui clôt le II. Idem au III dans lequel il conduit l’immense scène No, no, ti dico no avec une présence hallucinée et bouleversante.

L’Alcina de Marie-Nicole Lemieux est servie par les immenses qualités intrinsèques de cette voix, au timbre si séduisant, qui lui permet de varier l’expression à l’infini et, comme Vistoli, de jouer sur la palette des sentiments, tout à tour magicienne, dévoreuse d’hommes, cruelle, langoureuse, abandonnée. Mais, même si elle était ce soir plus retenue que parfois, je regrette toujours les excès auxquels elle aime se livrer et qui coupent la ligne mélodique et bousculent l’incarnation du personnage.

Filippo Mineccia est un Ruggiero qui met en avant le caractère guerrier et héroïque du personnage. L’aigu est particulièrement percutant, le timbre chaud et viril, et son Sol da te est un miracle d’équilibre et de douceur, accompagné par la très belle prestation de Julie Huguet au traverso.

La Bradamante de Margherita Maria Sala contribue au caractère exceptionnel de ce plateau. Le timbre de contralto est chaud, sombre bien sûr mais dépourvu de noirceur ; la voix est très homogène sur l’ensemble du registre, la technique solide lui permet une belle vocalisation et l’ornementation est très soignée.

Ana Maria Labin compose une Angelica dont l’indifférence et le dédain rendent crédibles la folie d’Orlando. La voix est légère, peut-être un peu trop pour ce personnage complexe, mais l’aigu est très beau et la technique semble à toute épreuve. Adèle Charvet est un Medoro servi par une voix d’une grande beauté et une technique superbe, appuyée sur un souffle parfaitement maîtrisé. Son Medoro est peut être un peu trop sage (peut-être par effet de contraste avec Vistoli et Lemieux), un peu trop adulte. Enfin Luigi De Donato est un Astolfo exceptionnel, la voix puissante, aux graves très beaux, vocalisant avec beaucoup d’aisance.

Ce fut pour moi une très grande soirée d’opéra, un de ces moments d’exception, et la salle partageait à l’évidence mon émotion. J’espère désormais réentendre Carlo Vistoli dans une version scénique de cet Orlando et un enregistrement avec cette distribution deviendrait probablement la version de référence.



Publié le 08 juin 2023 par Jean-Luc Izard