Parodien - Huelgas Ensemble

Parodien - Huelgas Ensemble © WDR / Thomas Kost
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La parodie musicale, un art de l’hommage à l’original

Si le terme de « parodie » désigne de nos jours une reprise, souvent et comique, d’une œuvre, il n’en a pas toujours été ainsi. A l’époque de la Renaissance, le terme de « parodie » s’appliquait à une reprise, retravaillée et embellie, d’une œuvre généralement connue et appréciée. Cet art de la reprise s’est développé sur au moins trois siècles, du XVème au XVIIème. Les parodies concernaient aussi bien les chants populaires et les chansons savantes que la musique religieuse. L’Église catholique a toutefois assez vite considéré comme inacceptable le détournement de chants religieux, et le Concile de Trente (1545-1563) en posera l’interdit de principe dans les années 1560.

A une époque où la notion de droit d’auteur était inconnue, les compositeurs de la Renaissance se sentaient parfaitement libres d’adapter des airs connus, anonymes ou d’un autre auteur. L’adaptation n’était toutefois pas totalement libre ; elle obéissait au contraire aux règles du contrepoint, sous la forme du contrepoint imitatif : augmentation ou diminution de la durée des notes, remplacement d’un intervalle montant par un intervalle descendant (ou vice-versa),… Ces adaptations ont été plus tard également appelées « variations » (comme les célèbres Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach).

Spécialiste de la musique médiévale et de la Renaissance, l’Ensemble Huelgas nous propose d’écouter une série d’airs originaux et de « parodies » en regard, sur une période s’étendant du XVIème au XIXème siècle. Le concert s’ouvre sur une Berzerette savoyenne, à la simplicité pleine de fraîcheur. Le compositeur Josquin Desprez s’empare de ce chant populaire savoyard pour en faire un canon à quatre voix, aux polyphonies élaborées, probablement plus adaptée aux goûts d’un public plus « savant ». Tandis que son contemporain Antoine Brumel n’hésite pas à intégrer ce thème dans l’Agnus Dei (également à quatre voix, mais dans un registre beaucoup plus grave) d’une messe, toujours intitulée Berzerette savoyenne !

Reprenant l’austère chant grégorien Da pacem Domine, le compositeur Pierre de Manchicourt bâtit un motet à six voix. Deux chanteurs placés en tribune tandis que le reste de l’Ensemble chante depuis l’estrade du chœur créent un effet spatial mettant en valeur le caractère très élaboré de ce motet, plus tardif (milieu du XVIème siècle).

Probablement apparu à la cour de Bourgogne, le chant L’homme armé était devenu un grand succès populaire au XVème siècle. Son rythme marqué, aux intervalles de quartes et de quintes, le signalaient aisément aux oreilles des contemporains. Il fut donc logiquement l’un des plus parodiés. Dans la seconde moitié du siècle, Robert Morton le transforme en chant à trois et quatre voix, avec l’ajout d’un texte écrit par Symon Le Breton, comme lui chanteur et compositeur à la chapelle de la cour du duc Philippe Le Bon. Le même chant inspira pas mois d’une cinquantaine de messes, dont deux dues à Josquin Desprez. L’Ensemble Huelgas nous livre l’Agnus Dei d’une de ces deux messes, probablement écrite alors que le compositeur était chanteur à la chapelle Sixtine, dans les années 1480-1490. On retrouve là encore le développement d’une riche polyphonie à trois et quatre voix. A partir des années 1600 le succès de L’homme armé s’étiole. Mais le compositeur baroque Giacomo Carissimi en propose encore, en plein XVIIème siècle, une transformation tout à fait stupéfiante : la polyphonie à douze voix du Kyrie Eleison de sa Missa L’homme armé possède une telle densité qu’on croirait avoir affaire à un orchestre, alors qu’il s’agit d’une musique purement vocale !

Les chants populaires anciens ont aussi inspirés des compositeurs plus tardifs. Ainsi Max Reger (1873-1916) s’est emparé en 1899 d’une ballade du XVIème siècle, Es waren zwei Königskinder (Ils étaient deux enfants du roi), adaptant son thème aux inspirations musicales romantiques.

L’avant-dernière série de parodies musicales correspond à un clin d’œil facétieux de musiciens. Elle est bâtie sur l’utilisation des notes ut – ré – mi – fa – sol – la, qui correspondent aux premières syllabes de chaque ligne d’un demi-verset d’un hymne dédié à saint Jean : Ut queant laxis/ resonare fibris/ mira gestorum/ famuli tuorum/ solve polluti/ labii reatum/ Sanctae Johannes ! Roland de Lassus en fit à la fin du XVIème siècle un motet à cinq voix, et à la même époque Stefano Felis se servit également de ces notes pour l’Agnus Dei à sept voix de sa Missa super la sol fa mi re ut, riche polyphonie virtuose. La Fantasia super ut re mi fa sol la à quatre voix du peu connu Costanzo Festa nous est apparue d’une confondante modernité dans sa simplicité. L’Agnus Dei à six et sept voix de la Missa super ut re mi fa sol la de Pierluigi da Palestrina renoue avec le fil des denses polyphonies virtuoses.

D’un sobre Ave regina extrait d’un antiphonaire grégorien, Ciprien de Rore a bâti un somptueux motet à sept voix, là encore exécuté avec beaucoup de soin par l’Ensemble Huelgas. Est-il besoin de mentionner que cette musique purement vocale, aux lignes entremêlées, nécessite des départs précis et une grande concentration des chanteurs, dont les voisins immédiats développent une ligne différente ? Le public du concert – auquel il avait été demandé en ouverture de ne pas applaudir entre les morceaux, afin de ne pas interrompre la continuité de la succession des morceaux mis en regard – récompense cette belle performance par de longs et chaleureux applaudissements, qui emplissent la Kreuzkirche de Herne.



Publié le 02 déc. 2023 par Bruno Maury