Persée - Jean-Baptiste Lully

Persée - Jean-Baptiste Lully ©Arsenal de Metz - Ensemble Le Concert Spirituel
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Si une épreuve longue distance se tenait en ce dimanche matin, à Paris avec son célèbre marathon, une autre épreuve tout autant épuisante allait se jouer quelques heures plus tard sur la scène messine de l’Arsenal, celle de l’œuvre de Jean-Baptiste Lully, Persée, dans sa version remaniée datée de 1770, pour les fêtes versaillaises inaugurant l’Opéra royal et organisées en l’honneur du mariage du Dauphin, le futur Louis XVI, et de Marie-Antoinette.
Dans sa version initiale, la tragédie Persée comportait cinq actes et un prologue sur un livret de Philippe Quinault. Ce remaniement en quatre actes est signé des mains des compositeurs de la Cour, Antoine Dauvergne, Bernard de Bury et François Rebel et du librettiste Nicolas-René Joliveau afin de remettre au goût du jour ce lourd pavé de 1682. Les récitatifs accompagnés au clavecin étaient dépassés de mode. Ces quatre intrigants ont donc ajouté des arrangements orchestraux (ritournelles, ariettes pour ne citer que ces éléments), des chorégraphies ou ballets, des chœurs.

Face à une histoire bien connue, un résumé succinct peut suffire à la compréhension de cet ouvrage. Persée, fils de Jupiter et de Danaé, n’est autre que le victorieux vainqueur de la gorgone Méduse, monstre aux cheveux de serpents. Il délivre Andromède, sa maîtresse de l’emprise de cette féroce bête. D’autres personnages graviteront autour de ce « couple mythologique » comme Céphée et Cassiope, parents d’Andromède ; Mérope, sœur de Cassiope ; Phinée, frère de Céphée ; Mercure ; Vénus ou bien encore les trois Gorgones Méduse, Euryale et Sténone.

A cette « folie sportive » musicalement parlant, quel athlète pouvait relever ce défi ? Un seul se démarque… Hervé Niquet, titulaire du dossard « En résidence à l’Arsenal », ose relever le challenge! En véritable coach pour cette version concertante, il se dote d’une équipe de « gagneurs » : onze solistes aux moules vocaux bien préparés, quarante-deux musiciens aux doigts échauffés et vingt-sept chanteurs composant le chœur calé dans les blocs de départ.

L’ouverture orchestrale est brillamment menée par un vaillant Hervé Niquet à la tête de son ensemble Le Concert Spirituel, orchestre et chœur. Signature « niquéienne », sa direction est vive aux mouvements amples mais précis. L’acte I s’ouvre dans une tempête de notes aux riches couleurs. L’acoustique de la salle restitue pleinement l’exploit interprétatif de chacun des instrumentistes. Cette introduction marque avec force la volonté du maestro de porter au bout de bras cette imposante et impressionnante équipe. Le tempo peut paraître rapide, enlevé. Espérons qu’il ne nuise pas à un certain épanouissement vocal des solistes, emportés par cette cadence « démesurée »…
Cette inquiétude va se dissiper rapidement avec le premier récitatif entre Céphée, Roi d’Ethiopie et son épouse Cassiope, rôles tenus respectivement par la basse française Jean Teitgen et la mezzo-soprano Marie Lenormand. La scène 1 de l’acte I révèle la voix lyrique au timbre chaleureux de ce royal époux (Je crains que Junon ne refuse…). Ses autres interventions notamment votre incrédulité n’aura donc plus d’excuse , scène 2, acte II, confirmeront ses graves généreux et profonds. Son mode respiratoire dit costo-abdominal est doux et silencieux. On distingue à peine un très léger soulèvement des côtes flottantes. Cette position d’ouverture lors de l’expiration conforte sa projection vocale parfaite.
Son épouse la reine d’Ethiopie apporte grâce à sa voix de mezzo légèreté dans ses graves et médiums (Heureuse épouse, Heureuse mère…), scène première, acte I. Elle incarne avec conviction et force royale ce personnage dramatique (mon seul espoir d’engager Jupiter pour nous protéger et le Ciel punit mon crime, il est inexorable, j’ai besoin d’un secours dans un mortel effroi) scène, acte II. La critique internationale l’a saluée à plusieurs reprises, c’est une artiste complète.

La jeune soprano britannique Katherine Watson personnifie une Mérope tout en beauté ! Hélas, mon sœur soupire lance t’elle d’une voix au timbre clair et pur. La sœur de la reine relève le rôle avec brio grâce à sa belle musicalité. Elle soigne sa ligne de chant tout au long de ses interventions en particulier les savoureuses trilles à l’ornementation fine du Hélas! Il va périr! Dois-je en trembler (…) Je sens seulement que je l’aime et je veux m’épargner le supplice d’être témoin de vos adieux de l’acte II. Suivez de prêt ce joli visage à la carrière plus que prometteuse.
Le rôle de Phinée est confié au baryton d’origine grecque, Tassis Christoyannis. Sa diction peut apparaître inaudible voire plus incompréhensible. Est-ce dû à son emplacement sur scène ? Il dispose tout de même d’une belle puissance vocale révélée sur les airs : Persée a su lui plaire et d’une vaine excuse et S’il est si malheureux (…) l’Amour que l’espoir abandonne est moins tranquille et moins constant , scène 4, acte I. Il reçoit le message de Cassiope je vous entends, je sais quelle est votre espérance , lancé de manière franche et sûre. Il est plus en voix! Son Souffrez que ce pendant mon amour défende d’abandonner un bien si précieux de l’acte II est criant de vérité … L’amour est douloureux…
Andromède la fille unique de Céphée, quant à elle, revient à la soprano canadienne Hélène Guilmette. Ses doux accents flattent avec un certain délice les oreilles sur l’ariette le Devoir sur mon cœur vous donne un juste empire (…) peut-il être jaloux d’un malheureux rival? L’émission est claire, brillante constituant ainsi une des plus belles voix de cette distribution. Un saisissant clair obscur se crée entre ces deux interprètes, le jour naissant sur cet angélique visage et la nuit ténébreuse de ce frère à qui Andromède a été promise.

Le ténor français Mathias Vidal campe avec panache un sublime Persée, fils de Jupiter (Zeus) et de Danaé. Il se glisse avec charme dans ce rôle titre. Dans une technique vocale souple et agile, il s’adresse à sa bienaimée, Andromède ( Belle princesse, enfin vous souffrez ma présence , acte II). Sa voix, au mordant atténué, repose sur de solides fondations, appuis démontrant la force du soutien. Le ténor surmonte sans faillir airs et ensembles. Sa présence scénique et dramatique se révèle dans Je serai malheureux, désespéré, jaloux, mais je mourrai content si vous vivez heureuse .
Mercure sous les traits du ténor léger français Cyrille Dubois, développe tout comme le tenant du titre une agilité vocale. Le timbre est clair même si l’on pourrait craindre une voix nasonnée – voix chantée avec utilisation excessive du résonateur nasal –, ce qui heureusement n’est pas le cas. Il porte une attention particulière au phrasé sur l’air Ce Dieux juste et puissant favorise vos vœux, (…), Et tout jusqu’aux Enfers, vous promet du secours , acte II. Il vocalise avec souplesse en envahissant l’espace sur C’est toujours mon plus cher désir de voir l’Univers dans une paix profonde scène 2, acte III. Le timbre apparaît comme ensoleillé.

Autre voix qui mérite toute notre attention, celle de la mezzo-soprano Marie Kalinine en sublime Méduse, une des trois Gorgones. Elle se lamente sur son sort dans son air j’ai perdu la beauté qui me rendit si vaine. Je n’ai plus ces cheveux si beaux , acte III. Elle chante dans le masque, de manière à bien sentir les résonances. Le son prend naissance derrière au niveau du voile du palais au profit de la production des harmoniques.
Le second « monstre » Euryale est tenu par Zachary Wilder, ténor américain, dont la maturité vocale ravit les oreilles amatrices de Grandes Voix. Transcendant de technique et de contrôle, il s’impose scéniquement à tel point que sur le trio des Gorgones, scène 2, acte II, il prend le dessus peut-être dû à sa lumineuse aura. Pour bon nombre, cela pourrait apparaître comme un défaut, défaut estompé voire effacé par sa fine sensibilité aux accents poétiques.
Enfin la dernière des trois Gorgones, Sténone, est tenue par Thomas Dolié, baryton français, qui fait honneur à la distribution. Il dispose suffisamment de médium et de grave pour alimenter son texte de manière claire et aisée.
A cette distribution ne manque plus qu’une seule héroïne, Vénus, déesse de l’Amour, de la beauté. C’est Chantal Santon Jeffery qui l’incarne avec une grâce inouïe, rassurante sur Mortels, vivez en paix, vos malheurs sont finis . Pourvue d’une technique vocale irréprochable, elle se lance dans de vertigineuses vocalises sur l’ariette Que les cieux soient témoins acte IV, touchant ainsi le soleil du contre-ut.
Dans une profusion d’ornements C’est jouir de tous les bienfaits , Persée clôt cette version remaniée.

Face à ces athlètes de haut niveau, la qualité vocale du chœur dans sa plus noble acception, est encore bien au rendez-vous ! Aucune voix ne prend le dessus malgré le nombre, vingt-sept choristes. Lors des ses interventions, nombre de qualités émanent de cette entité: la justesse, la constance, l’homogénéité, la puissance. Dans la scène dernière de l’acte I, le chœur lance un tutti virevoltant et craintif du retour de Méduse : Fuyons ce Monstre terrible, (…) sauvons-nous, hâtons nos pas . L’exécution est particulièrement soignée dans le magnifique final de l’acte II Que l’Enfer, la Terre et les Cieux … . D’autres passages peuvent être cités notamment Courons, courons tous admirer le Vainqueur de Méduse et O Ciel inexorable ! O Malheur déplorable ! (…) O sort inexorable ! O malheur déplorable ! de l’acte IV.

Tout comme les marathoniens parisiens rôdés aux épreuves les plus éreintantes, les artistes du Concert Spirituel ont franchi avec brio la ligne d’arrivée et ce grâce à un entraîneur hors du commun, Hervé Niquet. Tous ses talents conjugués ont abouti à offrir au public messin un concert d’une exceptionnelle qualité. Pour preuve de cette victoire et saluer ces « sportifs exténués », la grande salle de l’Arsenal se remplit sous les flots d’applaudissements, de bravo, de hourras, …



Publié le 05 avr. 2016 par Jean-Stéphane SOURD-DURAND