Platée - Rameau

Platée - Rameau © Lennart Sjöberg : Anders J. Dahlin, Sofie Asplund
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« Chantons Platée, égayons-nous »

« Barockopera om att tro att man är något », le sous-titre suédois de cette production peut être traduite en français comme « Opéra baroque sur le fait de croire qu'on est quelqu’un ». Cette phrase résume succinctement le thème de Platée, œuvre de Jean-Philippe Rameau, comédie lyrique qui raconte l'histoire d'une créature mythologique, mi-femme mi-grenouille, qui se croit être d'une grande beauté et qui aspire à séduire Jupiter, le roi des dieux. Cependant, cette illusion est rapidement dissipée lorsque les dieux se moquent d'elle et révèlent la vérité sur sa laideur. Ainsi, l'opéra explore le thème de l'illusion de grandeur et de la vanité humaine. Cela est évident dès le prologue, où Thespis tient et boit dans une statuette d'Oscar (Rendons grâce à Bacchus), symbole emblématique de réussite et de reconnaissance dans l'industrie cinématographique, et établit des parallèles entre les thèmes de la vanité, de l'illusion et de la recherche de reconnaissance présents à l'époque baroque et ceux prédominants dans la société moderne. Dans le monde d'aujourd'hui, où les réseaux sociaux et la culture des célébrités mettent souvent l'accent sur les apparences extérieures et l’estime des autres, le désir de célébrité et de reconnaissance est un thème pertinent et universel. La juxtaposition du cadre classique et des personnages de Platée avec des symboles modernes souligne le caractère intemporel des thèmes de Rameau. Elle suggère que la tendance humaine à rechercher l’estime et la reconnaissance, souvent au détriment de l'authenticité, est une constante à travers l'histoire, transcendant les frontières culturelles et temporelles. De plus, l'inclusion de la statuette d'Oscar ajoute une couche d'ironie et d'humour à l'opéra, car elle subvertit les attentes du public et introduit un élément de satire contemporaine. Ce mélange d'éléments classiques et modernes implique le public et invite à la réflexion sur la nature universelle de la folie humaine et de la quête de reconnaissance.

Paul Agnew, connu pour son interprétation mémorable du rôle-titre de Platée à Garnier il y a deux décennies, se retrouve désormais dans la fosse en tant que chef d'orchestre, dirigeant avec une expressivité remarquable. Son leadership sur scène transcende les frontières du temps et de l'espace, capturant l'essence même de la musique baroque et plongeant le public dans un tourbillon d'émotions. Avec une maîtrise exceptionnelle, Agnew guide l'orchestre avec une précision sans faille, permettant à la musique de véritablement conquérir les sens, non seulement par la musicalité de l'ensemble, mais aussi la précision et la passion avec lesquelles Agnew conduit chaque note. Son engagement envers l'œuvre est palpable à chaque mesure, créant une expérience immersive pour le public. Avec son talent indéniable, le ténor et chef d'orchestre écossais parvient à tirer le meilleur de chaque membre de l'orchestre et de la distribution suédoise (dont la diction française est irréprochable !), les incitant à jouer et chanter à un niveau d'excellence absolu.

Les costumes de Tanja Hofmann sont à la fois élégants et délicats, témoignant d'un soin méticuleux dans leur conception. L'un des aspects les plus intéressants est la réutilisation créative d'éléments du prologue, tels que le corset de parapluies, transformé en une magnifique robe de fiançailles. Cette réutilisation intelligente ne démontre pas seulement une attention aux détails de la part des costumiers, mais ajoute également une couche supplémentaire de signification à la narration visuelle de l'opéra. En réutilisant des éléments du prologue transformés, les costumiers établissent des liens visuels entre les différentes parties de l'histoire, créant ainsi une sensation de cohérence stylistique tout au long de la production.

Après le chœur Formons un spectacle nouveau, où le prologue se déroule dans un bureau, l'action est ensuite transportée dans un palais de Provence, où Jupiter règne en maître. Platée vit abandonnée dans le marais, établie dans un coin du jardin du palais où le temps semble s'être figé (représenté par des danseurs de tous âges). S’y déroule une fête avec drogues et champagne pour les invités, que Jupiter appelle « des amis » mais qu'il ne connaît pas (le chœur, moins à l'aise avec le français) – aimable satire des mœurs françaises ! On nous propose en sous-titre « Le mariage mal gardé ». Deux mondes se côtoient, celui du marais et celui des invités.


Kristian Lindroos et choristes © Lennart Sjöberg

Dans le rôle de Jupiter, Mattias Ermedahl incarne avec brio la grandeur et la puissance du roi des dieux, notamment dans Aquilons trop audacieux. Sa voix puissamment projetée et son interprétation magistrale capturent parfaitement la majesté du personnage. Ermedahl parvient à transmettre toute la force et la noblesse de Jupiter à travers chaque note, transportant le public dans un monde de mythologie et de divinités.

Anders J. Dahlin est Platée, incarnant le rôle titre avec éclat l'essence comique et tragique du personnage. Son interprétation dans l'air Que ce séjour est agréable ! montre son talent à jouer avec les nuances du rôle, mettant en évidence la laideur de Platée avec une folie délicieusement exagérée. La répétition allitérative du « t » dans On aimerait autant un sentiment plus tendre en souligne habilement son côté comique et théâtral. Dans Quittez, Nymphes, Quittez, Dahlin offre une interprétation touchante et comique à la fois, capturant parfaitement le désarroi de Platée face au rejet et à l'humiliation. Sa capacité à jongler entre les émotions contrastées du personnage montre son talent polyvalent et son engagement dans le rôle. Enfin, dans la scène du « nuage », Dahlin apporte une touche de comédie géniale en soulignant le côté grotesque et absurde de la situation. Son jeu subtil et sa capacité à trouver le juste équilibre entre le pathétique et le comique rendent cette scène à la fois hilarante et touchante.

Wiktor Sundqvist (Mercure) démontre une présence scénique captivante et une maîtrise vocale impressionnante. Dans son invocation Déesse qui régnez dans ces marais superbes, il transmet toute la grâce et l'élégance du messager des dieux, captivant l'auditoire avec son charisme naturel. Plus tard, dans la passage Sur la terre, sur l'onde, et même dans les cieux, Sundqvist déploie toute sa virtuosité vocale, illuminant la scène avec son timbre riche et sa projection puissante. Sa capacité à interpréter les nuances du texte et à exprimer les émotions du personnage fait de lui un Mercure véritablement remarquable, capable de transporter le public à travers les diverses dimensions du récit.

Sofie Asplund (la Folie) apporte une énergie et une exubérance irrésistibles à la scène. En tant que trafiquante de drogue, elle incarne une Folie aussi débridée que captivante, ajoutant une dimension de folie délicieusement excentrique à la performance. Son interprétation du Aux langueurs d'Apollon est à la fois hilarante et saisissante, avec un style de marche maladroit qui accentue le caractère comique du personnage. Asplund possède une maîtrise remarquable des notes aiguës (comme sur « victoire »), capturant avec assurance les moments les plus vibrants de la musique. Son utilisation habile d'interjections suédoises ajoute une touche de réalisme et de vivacité à la performance, ancrant le personnage dans une modernité surprenante.

Hannes Öberg (Momus), le « tout-puissant Amour », se révèle tout particulièrement dans la scène dynamique du III Acte. Enveloppé de vêtements déchirés et à demi nu, Öberg apporte une présence scénique captivante à son personnage, ajoutant une dimension de comédie et de vivacité. Sa capacité à incarner la malice et l'espièglerie de Momus est remarquable, offrant une interprétation mémorable et pleine d'énergie. Dans cette scène emblématique, Öberg illumine la scène avec son jeu vif et sa présence charismatique.

Ann-Kristin Jones exprime avec conviction les émotions complexes de la déesse Junon (Haine, dépit, jalouse rage). Chaque geste et chaque expression reflètent la rage jalouse du personnage avec une authenticité saisissante. Grâce à son engagement et à son talent indéniable, Jones donne vie à un personnage complexe et difficile.

Dans le chœur final, Chantons Platée, égayons-nous, les personnages célèbrent le mariage de manière moquée, mais Junon reste relativement imperturbable, presque partie prenante de l'intrigue et sûre de sa relation avec Jupiter. Son jeu de mariage n'est pas trop fragile. Ainsi, sa surprise n'était pas si « extrême », puisqu'elle faisait partie intégrante de l’intrigue menée par Jupiter.



Publié le 30 mars 2024 par Pedro Medeiros