Platée - Rameau

Platée - Rameau © T+T Fotografie/ Toni Suter + Tanja Dorendorf
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Un joyau baroque et un festin pour les yeux

Platée est une véritable perle du répertoire baroque, où l'humour subtil et la satire se mêlent à la grandeur de la composition lyrique. Rameau, maître incontesté de l'époque, a créé une œuvre qui explore les nuances de la condition humaine à travers des personnages excentriques et des situations comiques. L'intrigue tourne autour de Platée, une créature mythologique grotesque, qui se trouve au centre d'un jeu amoureux complexe et de quiproquos hilarants. Cette fusion entre le comique et la musique sublime crée une expérience inoubliable qui émerveille et touche le cœur de chaque spectateur.

Platée a été créée à l'occasion d'un événement aussi grandiose que romantique : des noces du Dauphin Louis de France avec l'Infante Marie Thérèse Antoinette Raphaëlle d'Espagne. En 1745, à Versailles, cette œuvre baroque a été offerte au public lors des célébrations nuptiales, enchâssant ainsi la magie musicale dans l'atmosphère somptueuse de la cour. C'était un mariage royal, unissant deux destinées sous le regard bienveillant de la couronne, et Platée a ajouté une touche sublime à cette union en capturant les émotions de l'amour, de la comédie et de la tragédie. Malgré l'accueil initial mitigé à la cour en raison de l'audace de l'intrigue, l'opéra a perduré au fil des siècles, témoignant de la puissance intemporelle de la musique de Rameau et de l'histoire captivante de Platée, la nymphe malheureuse, dans l'ombre des festivités royales.

La virtuosité de Rameau se manifeste non seulement dans ses partitions magistrales mais aussi dans sa capacité à tisser des émotions profondes à travers la musique. Les airs envoûtants, les chœurs majestueux et les orchestrations sophistiquées font de Platée un festin auditif, transportant l'auditoire à travers des paysages sonores riches et variés. Chaque acte de l'opéra révèle une nouvelle facette de l'histoire, renforçant l'engagement émotionnel du public et créant une expérience immersive qui transcende le temps et l'espace.

Platée, incarnée par un ténor haute-contre, règne sur un marais, maîtresse de nombreux reptiles, persuadée que tous les hommes doivent tomber amoureux d'elle. Mais le père des dieux lui-même ? La situation tourne mal pour la nymphe assoiffée d'amour, car les dieux jouent un jeu cruel et prémédité avec elle : Jupiter feint de s'intéresser à Platée uniquement pour guérir sa déesse Junon de sa jalousie, au détriment de la nymphe humiliée et désillusionnée.

Le prologue de Platée, comparativement à ceux de Lully, se distingue par le fait qu'il n'est pas un éloge direct du roi, comme c'était courant dans la tradition opératique de l'époque. Au lieu de cela, il célèbre l'art lui-même et l'innovation théâtrale. Jean-Philippe Rameau choisit une approche plus réfléchie, où Thespis, l'inventeur de la comédie, entre en scène et donne le coup d'envoi de l'histoire en proclamant : Formons un spectacle nouveau ! Cette démarche souligne l'importance de l'innovation artistique et du théâtre en tant que forme d'expression créative indépendante, s'éloignant de l'éloge traditionnel direct au monarque qui était commun dans les opéras de Lully. Ce choix révèle l'audace et l'originalité de Rameau à explorer de nouvelles possibilités au sein du genre opératique.

La metteuse en scène néerlandaise Jetske Mijnssen et la cheffe d'orchestre Emmanuelle Haïm poursuivent ici leur collaboration réussie, après un Hippolyte et Aricie de Rameau déjà donné à l'Opéra de Zurich. Platée est donc transporté dans l'opulent univers du théâtre : « Pour nous, Platée est le souffleur, un jeune homme qui aime le théâtre, qui souhaite s'immerger complètement dans ce monde et tombe amoureux de Jupiter, la danseuse étoile. Dans cet univers, le ballet est une chose tout à fait naturelle », explique Mijnssen.

Ballet bouffon, il est caractérisé par une profusion de ballets, des chorégraphies sophistiquées et intelligentes, une ligne galante du chorégraphe et designer suisse-canadien Kinsun Chan, l'intégration de chanteurs et du chœur lui-même. Ce genre de ballet, propre à l'époque baroque, se distingue par son mélange harmonieux de danse, de musique et de chant. Les chorégraphies délicates et ingénieuses s'entrelacent avec la musicalité raffinée, créant ainsi un spectacle où la grâce des mouvements rencontre la virtuosité musicale. La présence de chanteurs, intégrés de manière organique au ballet, ainsi que la participation du chœur ajoutent une dimension vocale captivante à l'ensemble, enrichissant l'expérience artistique et offrant une vision complète de l'esthétique.

Renato Dolcini incarne de manière captivante le personnage de Cithéron, en particulier, dans la scène sublime Dieux, qui tenez l'Univers. La basse milanaise apporte une profondeur et une expressivité exceptionnelles à ce rôle, captivant le public, chaussé d’étonnantes Birkenstock !

La Folie, au feu d'artifice de vocalises, est interprétée par la soprano anglaise Mary Bevan. Elle démontre une flexibilité exceptionnelle aux côtés des danseurs, en particulier dans l'ariette Aux langueurs d'Apollon. Sa performance éblouissante fusionne harmonieusement avec les mouvements gracieux des danseurs, créant une symbiose envoûtante entre la voix et la danse.

Mathias Vidal incarne le rôle titre, le personnage travesti qu'il a déjà chanté à de nombreuses reprises (voir notamment la chronique), exposant la finesse de son talent à travers la délicate composition de Rameau. Vidal émerge de son coquillage de souffleuse comme un véritable guide de l'action, incarnant le rôle avec une maîtrise exceptionnelle. Son interprétation de l'ariette badine Que ce séjour est agréable ! et Quittez, Nymphes, est imprégnée d'une subtilité comique, ajoutant une touche de sitcom au ballet. Vidal jongle habilement entre la légèreté du comique et la complexité du personnage travesti.

Nathan Haller dans le rôle magnifique de Mercure, déploie sa voix avec une maîtrise exceptionnelle dans l'air émouvant Déesse qui régnez. La présence scénique charismatique du canadien et son timbre vocal captivant transportent le public dans le panthéon mythologique, incarnant la divinité avec une intensité émotionnelle et une élégance raffinée.

Le baryton-basse américain Evan Hughes, déjà présent à Zurich dans Belshazzar et Don Giovanni, endosse le rôle de Jupiter. Il incarne de manière magistrale un Jupiter timide, délivrant avec grâce l’air Aquilons trop audacieux telle une mélodie céleste chantée par des cygnes. Sa voix puissante et pourtant délicate élève la scène, capturant l'essence du personnage divin. Dans le même souffle, le récitatif final Pour célébrer un nœud si légitime résonne, mais est interrompue par Junon (Katia Ledoux) - souvent présente sur scène sans chanter – qui livre avec conviction le moment final tragi-comique Arrête, ingrat ! 

Ouffe!!... s'exclame Platée, commentant avec stupéfaction les flatteuses paroles du dieu suprême Jupiter qui la courtise. Tous (y compris Jupiter dans cette production !) partagent la déconvenue et la peine de Platée lors du final.



Publié le 21 janv. 2024 par Pedro Medeiros