Platée - Rameau

Platée - Rameau ©Victoria Okada
Afficher les détails
Platée ou l’orchestre somptueux d’Alexis Kossenko

Le 2 décembre dernier au Théâtre des Champs-Elysées, Alexis Kossenko, qui vient de reprendre la direction musicale de La Grande Ecurie du Roy laissée orphelin par le décès de Jean-Claude Malgoire, a donné une version de concert pleine de contrastes, dans laquelle son ensemble Les Ambassadeurs a joué un rôle essentiel.

Le plus grand luxe de cette soirée était sans aucun doute le fait d’avoir pu entendre de manière aussi complète les danses. Jean-Philippe Rameau a profité, dans chaque scène, de différents prétextes proposés par le livret, pour insérer de délicieuses partitions, tantôt pour agrémenter l’intrigue, tantôt pour prolonger l’action, tantôt encore pour un pur plaisir. Certaines de ces pièces, qui révèlent, plus que l’on ne peut l’imaginer, la facture orchestrale finement ciselée du compositeur, sont souvent supprimées lors de représentations scéniques. Est-ce pour se concentrer sur le déroulement de l’histoire et sur les parties vocales, ou afin de ne pas trop charger les danseurs ? Toujours est-il que l’opéra était initialement sous-titré « ballet bouffon », comme le montre la page du titre de la partition reproduite en couverture du programme ; elle mentionne les dates des deux représentations historiques, l’une celle de la création en 1745 à Versailles (à l’occasion du mariage du Dauphin avec l’enfante espagnole Marie-Thérèse) et l’autre, celle de la première représentation à l’Académie Royale de Musique, en 1749. Il est donc tout à fait légitime de jouer ces musiques de ballet telles qu’elles ont été conçues par Rameau, étant donné qu’elles font la partie intégrante de l’œuvre ! Bravo pour ce choix qui nous a permis de goûter encore davantage la beauté de la musique de Rameau.

Alexis Kossenko a fait, non seulement de ces pages mais aussi de l’intégralité de l’opéra, une occasion d’affiner la subtilité de l’écriture et d’en vivifier le dynamisme, grâce à sa direction ample, avisée et précise. Il tire de chaque instrument ainsi que de leurs différentes combinaisons toutes les couleurs, brillantes, tendres, suaves ou chatoyantes, à tel point que cela nous convainc entièrement que la diversité et l’éclat de l’orchestration de Berlioz ou de Ravel — ou tout simplement de l’orchestre français — y trouvent leurs sources. Les vents, notamment, apportent des touches infiniment variées aux excellentes cordes, rendant à l’ensemble une somptuosité rare.

Devant cet orchestre, les chanteurs évoluent, accompagnés de gestes comiques et éloquents. Mais leur performance divise l’appréciation générale. C’est surtout dans les tessitures graves que l’on trouve le plaisir attendu de belles voix solides et larges, doublées d’une diction et d’une intonation parfaites : un Satyre au prologue et Citheron dans les trois actes suivants incarnés par Arnaud Richard ; Momus tenu par Thomas Dolié dans le prologue et ensuite par Victor Sicard et Jupiter par le même Thomas Dolié. Tous donnent à l’œuvre une épaisseur qui ajoute une véritable dimension de tragicomique.

Chantal Santon-Jeffery, en Amour/ Cupidon puis en Folie, se montre comme toujours une excellente comédienne et une grande cantatrice à la fois et remporte un franc succès. La scène de la Folie, où elle se livre à des caprices fous avec son téléphone portable, avec lequel elle ne cesse de prendre des photos, tout en se déplaçant librement derrière et devant l’orchestre et également parmi les musiciens (elle parle même à certains d’entre eux !), et tout en vocalisant en même temps comme une déesse.

Nicholas Scott (Thespis et Mercure) joue pleinement la comédie et c’est très plaisant, mais son timbre a parfois du mal à se maintenir avec assurance, et surtout sa diction est plus ou moins approximative. La même remarque s’applique à Hasnaa Bennani (Thalie, Clarine et Junon), qui peine à convaincre. Quant à Anders J. Dahlin, dans le rôle de Platée, la finesse dans son interprétation ne compense pas sa projection souvent couverte par l’orchestre ; c’est d’autant plus dommage compte tenu de la justesse de ses expressions.

Le chœur, qui était assez disparate au début, notamment sur le plan de timbre, prend progressivement l’unité et devient un bel ensemble à la fin de la représentation.



Publié le 15 déc. 2019 par Victoria Okada