Le Couronnement de Poppée - Monteverdi

Le Couronnement de Poppée - Monteverdi © Christine Vuagniaux
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Une lecture ironique en décalage

Si l’attribution de l’œuvre à Monteverdi n’est plus guère contestée aujourd’hui en dépit de l’absence de sources incontestables, beaucoup estiment que la partition est émaillée d’emprunts à d’autres compositeurs jusques et y compris le célébrissime duo final.

Le Couronnement de Poppée est le premier opéra à mettre en scène des personnages historiques et à narrer une histoire réelle, avec évidemment toutes les prises de liberté nécessaires au théâtre mais avec un grand respect somme toute pour cette histoire de pouvoir et de passions, et pour ses acteurs.

Et c’est là que cette version de concert m’a posé problème. Outre une interprétation orchestrale d’une imperturbable sagesse, pour ne pas dire placidité, l’incarnation des personnages et la compréhension même de l’œuvre m’ont semblé émaillées de contresens : Néron et Poppée sont des amants aimables et séduisants, bien loin de l’adolescent pervers et de la cynique ambitieuse que propose pourtant le livret, Sénèque est un barbon ridicule dont l’annonce de la mort prête à des effets comiques totalement hors de propos dans ce moment de pur stoïcisme, l’immoralité de l’histoire n’est à aucun moment mise en avant… L’humour et l’ironie sont omniprésents, envahissants, et finissent par détruire la trame de ce qui reste un drame de passions et d’érotisme.

Emiliano Gonzalez Toro propose toutefois une lecture documentée de l’œuvre qui conteste le contresens que je souligne ci-dessus. Il relève que cet opéra, d'ailleurs effectivement créé pendant le Carnaval, est non seulement la première œuvre lyrique à mettre en scène des personnages historiques mais aussi la première parodie, qui caricature les personnages impériaux. Cette analyse disruptive de l’œuvre explique en partie le décalage que j'ai ressenti par rapport à mes attentes. Mais, si l'on veut suivre cette analyse, alors, force est de reconnaître que le traitement musical et vocal est resté en deçà de l'intention et, en tout cas, trop subtil pour que l'intention satirique soit pleinement comprise, du moins par moi.

Quoi qu'il en soit, ce fut une belle soirée musicale. Le choix d’instrumentation d’Emiliano Gonzalez Toro est parfaitement respectueux de ce qui était probablement l’orchestration d’origine avec une formation très resserrée et centrée sur le continuo. Les couleurs d’I Gemelli sont superbes et on en regrette davantage encore le manque de fougue qui aurait dû traverser cette histoire horrible de passion.

David Hansen est un bon Nerone, même si la voix est plus à l’aise et beaucoup plus convaincante dans le haut du registre dans lequel il est éblouissant. Le medium et les graves sont beaucoup moins sonores et la ligne de chant est parfois un peu brutale. J’ai davantage apprécié la Poppea de Mari Eriksmoen. Superbe technicienne qui délivre, si on veut bien oublier le petit impair du duo final, une véritable leçon de chant. On en regrette d’autant plus qu’elle ait été choisi de gommer la méchanceté et le cynisme de Poppea pour en faire une amoureuse des plus classiques.

C’est l’Ottavia d’Alix Le Saux qui est restée la plus fidèle à son personnage et aussi la plus convaincante musicalement. Son Disprezzata Regina comme son Addio Roma étaient saisissants et pleins d’émotion.

En Ottone, Kacper Szelazek compose un personnage intéressant malgré le caractère ingrat du rôle et même si le timbre manque parfois un peu de couleur. J’ai en revanche beaucoup aimé le Seneca de Nicolas Brooymans, dont les graves sonores et très bien appuyés étaient impressionnants. En Drulsilla, Lauranne Oliva déploie un timbre d’une grande fraîcheur, et une vraie présence théâtrale. Des deux nourrices, c’est Anders Dahlin qui emporte le match, face à un Mathias Vidal décevant, trop sonore au détriment de ses partenaires et d’une ligne vocale qui en devient souvent incertaine.

Tout le reste de la distribution, entraînée par l’excellent et expérimenté Emiliano Gonzalez Toro qui assumait 5 petits rôles, était à la hauteur de la soirée, mais j’ai surtout apprécié l’Amour de Nathalie Perez et la Venere de Pauline Sabatier.

En « forme de bis », Emiliano Gonzalez Toro a fait reprendre le duo final, façon de gommer le petit incident qui avait affecté son interprétation en conclusion de l’opéra, renforçant l’enthousiasme du public.



Publié le 07 juin 2023 par Jean-Luc Izard